• Aucun résultat trouvé

2 Processus moléculaires

3 Méthylation de l’ADN chez les plantes

3.4 Méthylation, processus transgénérationnels et évolutifs

L’héritabilité des marques de la chromatine par méiose permet la transmission de cette information sur une ou plusieurs générations. On parle alors respectivement d’épigénétique intergénérationnelle et transgénérationelle. Les études les plus concluantes à ce sujet ont été réalisées à partir de lignées epiRIL, lignées isogéniques qui possèdent des profils de méthylation de l’ADN divergents ; obtenues par le croisement d’un plant témoin avec un plant mutant met1 ou ddm1 (Reinders et al., 2009;

Johannes et al., 2009). Les modifications de la méthylation induites inhibent l’expression des gènes en engendrant la compaction de la chromatine. Ces marques sont à la fois dépendantes de l’environnement et héritables sur plusieurs générations (i.e, ≥ 8) (Reinders et al., 2009; Johannes et al., 2009). Ces études ont mis en évidence : i) une héritabilité stable des variations de la méthylation de l’ADN qui peut avoir lieu au niveau d’un grand nombre de sites sur tout le génome (Reinders et al., 2009); ii) la stabilité des épiallèles induits qui est plus ou moins importante au cours des générations (Fortes & Gallusci, 2017). De plus, contrairement aux variations de la méthylation de l’ADN qui ont lieu au cours du développement, les variations transgénérationnelles de la méthylation de l’ADN impliquent une absence de réinitialisation du profil de méthylation au niveau des cellules germinales ou de l’embryon précoce et pourraient ainsi refléter un échec de reprogrammation (Fortes & Gallusci, 2017).

Plusieurs études ont essayé de comprendre l’implication de cette marque dans la plasticité transgénérationnelle (Meyer, 2015; Herman & Sultan, 2016). Quelques travaux ont mis en évidence chez une plante pérenne Boechera stricta une meilleure tolérance de plantes descendantes de parents ayant déjà changé la méthylation de leur ADN en réponse à une sécheresse (Alsdurf et al., 2016). La méthylation de l’ADN est aussi impliquée dans la tolérance transgénérationelle lors de différents stress tels que lors d’un stress salin chez Arabidopsis (Boyko et al., 2010; Bilichak et al., 2012), ou d’un déficit en nutriment chez le riz (Kou et al., 2011) ou encore d’une résistance à une attaque d’un pathogène chez le tabac (Kathiria et al., 2010). Ainsi, il est désormais admis que les plantes possèdent la capacité de maintenir une mémoire suite à l'exposition à un stress et de la transmettre à la génération suivante (Figure 32 ; Wibowo et al., 2016; Crisp et al., 2016; Bilichak & Kovalchuk, 2016). Les mécanismes moléculaires sous-jacents à ce phénomène ne sont pas encore tous élucidés (Wibowo et al., 2016). Il reste à expliquer comment s’effectue le choix de cette transmission, et si un tel processus est aléatoire ou dirigé et séquence spécifique (Bilichak & Kovalchuk, 2016). A ce sujet, une étude récente sur des mutants d’Arabidopsisis ddm1 et mom1 a révélé une fonction importante de ces enzymes précédemment non identifiée. En effet, DDM1 et MOM1 sont impliqués dans la réinitialisation rapide des états épigénétiques induits par le stress et ainsi prévenienent la transmission par mitose de ces

Figure 32 : L'utilisation de motifs de liaison ADN-ADN fusionnés à l'ADN méthyltransférase pour l'introduction des motifs de méthylation de l'ADN au niveau de sites spécifiques. Les domaines de liaison d'ADN modifiés, y compris TALEs et dCas9, peuvent être fusionnés soit aux domaines d’ADN méthyltransférase soit aux domaines d’ADN déméthylase afin d'introduire ou d'éliminer la méthylation de l'ADN à des loci sélectionnés. Autant sur la transformation stable que sur l’expression transitoire des constructions recombinantes dans les cellules végétales, nous nous attendons à ce qu'une empreinte spécifique de méthylation de l'ADN soit établie, conduisant à la régulation négative ou une régulation ascendante de l'expression des gènes en fonction de la construction utilisée. Dans le cas d'une transformation stable, les plantes de la génération T1 seront des plantes transgéniques hétérozygotes. Les étapes suivantes comprendront la séparation du transgène et la sélection des plantes avec une altération de leur profil de méthylation de l'ADN au niveau des loci ciblés (Bilichak & Kovalchuk, 2016).

A

états (Iwasaki & Paszkowski, 2014).

Au final, ces études ne permettent pas de parler d’évolution car souvent elles se limitent à deux, voire trois générations ou bien elles montrent que les modifications de la méthylation de l’ADN disparaissent progressivement au bout de quelques générations (Akimoto et al., 2007; Wibowo et al., 2016). Il a cependant été montré que les profils de méthylation de l’ADN sont transmis sur plus de 30 générations chez arabidopsis ce qui ouvre les discussions sur un possible rôle de la méthylation de l’ADN au niveau micro-évolutif1 (Figure 35 ; Schmitz et al., 2011; Becker et al., 2011; Schlichting &

Wund, 2014; Rey et al., 2016).

La plasticité de l’épigénétique héréditaire jouerait donc un rôle important dans la réponse immédiate de l’organisme aboutissant à la mise en place d’un phénotype avantageux qui pourrait être fixé durablement par des processus génétiques (i.e., canalisation ou assimilation génétique) pour aboutir à une adaptation (Waddington, 1942a,b; Mirouze & Paszkowski, 2011; Schlichting & Wund, 2014; Rey et al., 2016). Un étude récente chez Arabidopsis a ainsi montré le lien fort entre les profils de méthylation de l’ADN chez plus de 1000 collections et leur adaptation à leur climat d’origine (Figure 33; Kawakatsu et al., 2016). Une autre étude a aussi montré, cette fois-ci sur le chêne, que les SNP retrouvés dans les loci qui contenaient des variants de la méthylation de l’ADN (SMP) montraient une différentiation plus importante. Ceci est en accord avec un rôle de la méthylation de l’ADN dans l’adaptation locale (Platt et al., 2015). Une autre étude récente a montré que les SMP sont localisés près des gènes et sont en déséquilibre de liaison avec les variants uniques des nucléotides (SNP), tous deux agissant sur l’expression des gènes (Meng et al., 2016). Néanmoins, ces auteurs concluent que la régulation épigénétique, bien que significative, apparait faible en termes de nombre de loci affectés et d'ampleur des effets comparée à l'effet des SNP.

Le challenge principal pour la théorie de l’adaptation épigénétique est donc d’identifier des loci génomiques qui engendrent des changements épigénétiques en réponse aux conditions environnementales altérant leur expression de manière héritable et qui amélioreraient la capacité de la plante à s’adapter aux nouvelles conditions (Meyer, 2015). Ces études participeraient à mieux comprendre qu’elle est la part des mécanismes épigénétiques dans le cadre de la théorie de l’évolution, un sujet qui fait actuellement polémique (Danchin et al., 2011 ; Miska & Ferguson-Smith, 2016).

1 Relatif à l’évolution sur une période de temps réduite (quelques générations) au sein d’une même espèce ou d’une population donnée (Rey et al., 2016)

Figure 34 : Illustration de l'intervention de l'empreinte et du rôle de l'épigénétique dans l'amélioration de la production des cultures et de la qualité des aliments (Rodríguez López &

Wilkinson, 2015).

Une autre application de ces travaux se situe dans le cadre de l’amélioration des plantes cultivées (Figure 34 ; Rodríguez López & Wilkinson, 2015; Bilichak & Kovalchuk, 2016). En effet, la capacité de fixer la « mémoire du stress » au travers des générations mais aussi l’identification de gènes affectés lors de la réponse au stress représentent des outils pertinents pour les sélectionneurs (Rodríguez López & Wilkinson, 2015). Une composante épigénétique de traits complexes (epiQTL) a d’ailleurs été rapportée chez Arabidopsis en exploitant les fameuses epiRIL (Cortijo et al., 2014).

Certains auteurs envisagent enfin de coupler ces données en épigénétique avec les biotechnologies émergentes [TALE (effecteurs de type activateur de transcription) et dCas9 (nucléase faiblement désactivée)] pour modifier les profils de méthylation sur des loci spécifiques en vue de générer des plantes plus tolérantes aux contraintes environnementales (Bilichak & Kovalchuk, 2016).

Figure 35 : L’effet lors de l’évolution de l’activation de la machinerie des ET et de la composante épigénétique dans les cellules souches et germinales en réponse au stress. (A) Lors du stress, l'activation de la machinerie des ET et de la composante épigénétique dans les cellules somatiques induit des réponses plastiques au travers: (i) de la méthylation et / ou des modifications des queues d'histones; (ii) de la transcription des ET codée par des ARN non codants (ncRNA); et (iii) de la levée de la répression épigénétique et la mobilisation des ET dans les cellules somatiques, menant à la mosaïque somatique. (B) les modifications épigénétiques induites dans les cellules germinales. Les phénotypes résultant peuvent être stabilisés au cours des générations (héritage épigénétique transgénérationnel). (C)

III. Problématique de l’équipe d’accueil et objectifs de la thèse