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Dans cette thèse, nous mettons en œuvre essentiellement des outils économiques pour analyser les différentes décisions concernant la gestion à long terme des déchets radioactifs. Les aspects sociaux ou éthiques, bien entendu, ont une influence décisive sur les choix politiques. Pourtant, certains restent inobservables …et le resteront donc, limitant ainsi la portée de nos travaux (par exemple les liens entre faisabilités sociotechniques locales et décision nationale n’ont pas été explorés dans ce travail).

Concernant les questions du long terme, ici pour le stockage profond des déchets radioactifs, une des ambitions du calcul économique est de contribuer à déterminer les actions qui maximisent le bien-être collectif intergénérationnel sous contrainte de rareté des ressources disponibles. A première vue, la technique peut apparaître simple, puisqu’il s’agit de réaliser les actions dont la somme des bénéfices excède la somme des coûts. Pourtant, en prenant en compte le long terme, se pose la question de la valeur relative des biens et services et, en particulier, de l’évolution de cette valeur relative dans le temps.

La problématique et les questions de recherche sont traitées en 3 étapes, présentées ci-dessous :

1ère étape : Quelles sont les spécificités de la prise en compte économique du long

terme de la gestion des déchets radioactifs ?

L’objectif de la première étape est d’apporter des éclairages sur la prise en compte économique du long terme de la gestion des déchets radioactifs. Quelles sont ses spécificités ? Quelles sont les méthodes économiques à utiliser ? Pour ce faire, nous insistons tout d’abord sur l’importance du calcul économique dans l’évaluation des politiques publiques pour le long terme ; puis nous examinons les méthodes économiques pour prendre en compte le long terme, dans lequel s’inscrivent de nombreux projets du développement durable. Enfin nous retiendrons la méthode la mieux adaptée à notre cas d’étude.

L’évaluation économique des politiques publiques a pour ambition d’objectiver l’utilité des dépenses publiques en ramenant notamment l’ensemble des effets d’une décision ou d’un investissement à une même utilité de mesure (souvent en termes monétaire). Elle doit mettre en regard les avantages et les coûts, de manière à s’assurer que les ressources économiques rares sont efficacement utilisées par la réalisation des investissements, et que le prélèvement sur

49 celles-ci, que traduisent les coûts, est justifié par des avantages reçus en retour. Une telle démarche se concrétise classiquement par la réalisation de bilans coûts-avantages. Le traitement du temps est classiquement réalisé via un taux d’actualisation. Le choix de ce taux devient plus complexe dès qu’il s’agit de projets dont la durée et l’horizon des impacts pourront dépasser l’échelle d’une génération (comme celui du stockage profond des déchets radioactifs). La question de la prise en compte économique du temps long devient délicate. Les risques et les incertitudes du long-terme ont aussi incité à la reconsidération des outils économiques classiques. Nous y reviendrons dans le Chapitre II.

Concrètement, quant à la prise en compte économique du long terme de la gestion des déchets radioactifs où la littérature est très limitée, développer les calculs économiques dans ce domaine devient très intéressant et stimulant. En outre, divers points doivent être appréciés dans notre cas d’étude, non seulement le long terme mais aussi les externalités (leurs prix et leurs évolutions), ainsi que les incertitudes. Ces différents points militent plutôt pour retenir des taux d’actualisation assez faibles dans les calculs économiques du stockage profond des déchets de haute activité et à vie longue. Par ailleurs, le projet de stockage comporte aussi des risques et des incertitudes considérables concernant l’impact d’une telle décision sur le plan économique, socio-politique et environnemental. Une part de ces risques/incertitudes est directement liée au projet lui-même (i.e. les risques des accidents éventuels en entreposage ainsi qu’à la mise en stockage, les incertitudes sur les coûts du projet ou sur le progrès technique, etc.). Ces risques/incertitudes spécifiques ne peuvent pas se satisfaire d’un taux d’actualisation qui intégrerait un risque moyen ; par contre, ils seront pris en compte séparément à travers des analyses de sensibilité. Une autre part de ces risques/incertitudes concerne le contexte dans lequel le projet de stockage s’inscrit (ex. incertitudes sur la croissance de l’économie à long terme). Ces incertitudes liées au contexte économique seront intégrées directement dans la détermination du taux d’actualisation à long terme.

2e étape : Evaluation économique du choix de la temporalité du stockage profond

pour la gestion durable des déchets radioactifs ?

L’objectif de la deuxième étape est d’analyser économiquement les choix de la temporalité du stockage profond des déchets radioactifs. Plus précisément, de comparer les différents calendriers envisageables dans le but de rechercher s’il existe une date optimale pour la mise en stockage profond.

Nous proposons tout d’abord un modèle de comparaison simple des coûts actualisés du projet de stockage profond selon les différents calendriers. Cette méthode classique utilisée souvent en sciences économiques nous permet de donner une simple illustration de l’ordre de grandeur de la différence entre les deux stratégies de gestion des déchets radioactifs : entreposage à longue durée et stockage en couche géologique profond.

Pourtant, pour les choix politiques comme celui concernant la gestion à long terme des déchets radioactifs, le décideur public ne peut, comme le fait l’investisseur privé, se limiter à l’examen de la rentabilité purement financière par la seule prise en compte des flux financiers en termes de dépenses ou recettes. Au contraire, le décideur public doit s’attacher à la rentabilité socio- économique qui traduit l’intérêt général d’un projet pour la collectivité dans son ensemble (état, usagers, collectivité, entreprises, …) en faisant intervenir d’autres éléments que les seuls flux

50 financiers tels que la sécurité, les pollutions ou nuisances, la raréfaction des ressources naturelles, le progrès technique, l’impact sur le climat, les risques économiques et sociaux, ou les comportements des consommateurs, etc. Autrement dit, dans le processus de décision, il faut se focaliser sur la problématique de l’utilité économique du projet, compte tenu d’une part de son coût de réalisation et d’exploitation, d’autre part de ses avantages attendus et des inconvénients des autres impacts du projet. Il ne faut pas oublier non plus de montrer sa complémentarité avec la prise en compte des impacts non monétarisés.

Plus concrètement, quant à la gestion à long terme des déchets radioactifs, la mise en œuvre rapide de de cette gestion (i.e. : le stockage profond) permet, à court terme, de consolider la confiance du public dans le recours au nucléaire, et à moyen et long terme, de limiter le report de charges sur les générations futures. Ainsi, notre calcul économique vise tout d’abord à prendre en compte tous les flux quantifiables du projet de stockage profond (par exemple : coût de la mise en œuvre du centre de stockage, coût de l’entreposage, coûts des accidents éventuels en entreposage ou à la mise en stockage, R&D,…), et ensuite à ramener, autant que possible, l’ensemble des flux non marchands à des valeurs monétaires (ex. la valeur du maintien de l’option nucléaire, comme nous le proposons dans la thèse). Ensuite, en agrégeant le maximum d’effets quantifiables, notre analyse permet de se prononcer sur le bilan global d’un projet de stockage profond. Ce bilan s’écrit sous forme d’une fonction que nous pourrons dériver par rapport au paramètre faisant l’objet de la décision (la date de la mise en service industrielle du stockage profond dans notre cas69) pour déterminer le choix optimum.

Si un coût ou bénéfice ne donne pas lieu à échange sur un marché, on cherchera néanmoins à lui donner une valeur monétaire. Si, par ailleurs, certains bénéfices ou certains coûts sont aléatoires, on cherchera à calculer un « équivalent certain ». Enfin, si ces bénéfices ou ces coûts sont obtenus dans le futur, on cherchera, dans cette thèse avec un taux d’actualisation, à quantifier ces valeurs futures par une valeur présente. Ce type d’exercice a bien entendu des limites.. Par exemple, dans notre cas d’étude, la valeur sociale d’un stockage profond « rapide », liée à la satisfaction de ne pas laisser cette charge aux nos « petits-enfants », apparaît très difficile à mesurer dans la pratique. Même avec ce type de limitation, le calcul économique peut alors donner une illustration utile de la valeur d’un stockage profond et de sa sensibilité aux différents calendriers. Si une partie de la valeur sociale des choix restera non mesurable, il est possible de travailler sur des ordres de grandeurs ou des signes des effets des paramètres non observables. Ainsi par exemple, si le résultat d’un calcul est que le stockage au plus tôt apparait souhaitable, et si les valeurs non observables sont réputées augmenter avec la proximité de la décision, le résultat obtenu peut-il paraître disposer d’une certaine robustesse. A l’inverse, si la décision d’un stockage « rapide » est basée plutôt sur les critères politiques et sociales que les aspects économiques, il est toujours intéressant de savoir quels sont nos efforts pour atteindre ces objectives. Comme le dit Marcel Boiteux dans son rapport (2001)70, « L’intérêt de faire du bilan socio-économique non le critère mais le noyau de l’estimation de la valeur d’un projet, c’est de permettre une analyse des raisons pour lesquelles on est conduit à s’écarter de la

69 : D’autres paramètres affectant le bilan d’un projet de stockage profond : la date de fermeture, le rythme d’exécution (flux de stockage), le degré de réversibilité, le niveau de sûreté, etc.

70 : Marcel Boiteux. 2001. « Transports : Choix des investissements et coût des nuisances ». Commissariat général du Plan. La documentation française.

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solution à laquelle ce seul bilan aurait conduit, et de pouvoir ainsi chiffrer le surcoût de la décision ».

3e étape : Analyse économique de l’influence des choix de stockage français sur le

cycle du combustible usé ?

L’objectif de cette dernière étape est d’évaluer les différentes options du cycle à disposition des décideurs en tenant compte non seulement des aspects économiques (tel que le prix de l’uranium, le coût du traitement, le coût du stockage, …) comme le font la plupart des études existantes, mais aussi des choix de la temporalité ainsi que les problèmes de rareté liés au projet de stockage. Plus concrètement, nous regardons ici non seulement la minimisation des coûts mais aussi les externalités environnementales des différents choix (volume des déchets notamment).

Nous avons utilisé un modèle de décision dans un univers risqué, au travers d’un arbre décisionnel, calculant le prix de l’uranium au seuil de rentabilité pour le traitement des combustibles usés, ce qui est susceptible d’apporter aux décideurs des éléments guidant leurs choix d’investissement dans les futures usines de traitement. La compétitivité du traitement des combustibles usés à court, moyen et plus long terme dépend des technologies des réacteurs (réacteurs à eau ou à neutron rapide), des perspectives de raréfaction de l'uranium - et donc d’augmentation de son prix - selon des scénarios de croissance du parc électronucléaire mondial qui restent à écrire et, enfin, des éventuels problèmes de rareté du stockage profond. Notre modèle, très simplifié, est dynamique : il tient compte des choix successifs que la Puissance Publique sera amenée à faire au cours du temps, en fonction de l’évolution de la technologie des réacteurs (réacteurs à eau ou à neutron rapide), du traitement (effet d’apprentissage sur la construction et l’exploitation des usines de traitement), et, donc, du problème de rareté éventuel du stockage profond des combustibles usés.

Vu les limitations d’accès aux données internationales, dans ce cadre de cette thèse, nous ne nous intéressons qu’au cas de la France. En termes de méthode employée, nos modèles peuvent néanmoins être appliqués à d’autres contextes.