• Aucun résultat trouvé

L’importance du calcul économique dans l’évaluation des politiques publiques pour le long

Depuis près d’un siècle, les sciences économiques abordent le rapport aux générations futures à travers des études des politiques publiques. A titre d’exemples récents, nous pouvons citer : Vandenbergh et al. (1991)71, Toman (1994)72, Lesser et al. (1996)73, Attali (2013)74, etc.

En règle générale, les auteurs s’accordent sur trois grands principes pour les choix de politique publics de long terme:

- L’efficacité socio-économique, - L’équité intergénérationnelle,

- La primauté de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel.

Le calcul économique aide le décideur public à prendre en compte dans ses choix les grands principes ci-dessus et apporte un éclairage sur l’efficacité socioéconomique de l’utilisation des ressources rares mobilisées et des fonds publics investis. Il objective et facilite donc l’élaboration des choix collectifs en répondant à la question de savoir si la collectivité, lorsqu’elle consacre des ressources à tel ou tel projet, crée ou détruit de la richesse.

D’un point de vue macroéconomique, aujourd’hui, une des fonctions essentielles des politiques publiques consiste à assurer une croissance à la fois économiquement, socialement et environnementalement durable. Pour résoudre les problèmes de pauvreté et de sous- développement ou plus simplement pour améliorer le bien-être des ménages, il convient de contribuer à une croissance économique continue et globale. Mais, la croissance économique s’accompagne toujours de contraintes pour l’environnement puisqu’elle exerce des pressions sur les ressources naturelles. Cet état de fait, même s’il soufre quelques contestations, ne peut être ignoré dans les réflexions de long terme. Ainsi, des courants sociaux prônent une nouvelle ère de croissance économique, s’appuyant sur des mesures politiques qui protégeraient les ressources et l’environnement de manière à assurer un progrès durable à longue échéance et à garantir la survie de l’humanité.

L’écologie et l’économie sont étroitement liées – c’est un écheveau inextricable de causes et d’effets. Depuis quelques temps, nous nous soucions des effets de la croissance économique sur l’environnement. Par exemple, certaines politiques agricoles peuvent être responsables de la dégradation des sols, de l’eau ou des forêts ou des politiques énergétiques peuvent provoquer des émissions de gaz à effet de serre ou l’acidification des pluies ou des océans. D’ailleurs, on peut s’inquiéter sur le fait que ces agressions pourraient, en retour, menacer nos perspectives économiques. Il faut donc intégrer l’économie et l’écologie dans la prise de décisions et dans le processus législatif, non seulement pour protéger l’environnement, mais encore pour protéger et favoriser le développement économique. « L’économie, ce n’est pas seulement produire des

71 : J. Vandenbergh et P. Nijamp. 1991. « A dynamic economic-ecological model for regional sustainable development ». Journal of environmental systems.

72 : M. A. Toman. 1994. « Economics and sustainability: balancing trade-offs and imperatives ». Land economics. 73 : J. A. Lesser et R. O. Zerbe. 1996. « What can economic-analysis contribute to the sustainability debate? ». Contemporary economic policy.

74 : Groupe de réflexion présidé par J. Attali. 2013. « Pour une économie positive ». La documentation Française.

65

richesses ; l’écologie ce n’est pas uniquement protéger la nature ; ce sont les deux ensemble qui permettent d’améliorer le sort de l’humanité » (Commission Brundtland (1987)).

Au plan opérationnel, les choix que nous ferons dans la thèse ne reposent pas sur une analyse de la croissance française ou mondiale, de façon à rapporter les décisions sur le stockage profond à un scénario comportant explicitement des impacts de divers types sur l’environnement. En toute logique, une telle démarche pourrait se justifier dès lors que les décisions en termes de stockages auraient des conséquences importantes sur cette trajectoire d’ensemble. Nous pouvons supposer que non (eu égard aux rapports des flux économiques concernés), à l’exception d’un point qui est le lien entre la réalisation du stockage profond est les choix de production d’électricité. Ce point sera abordé explicitement. Cette section a seulement pour objet de mettre en regard les travaux existants portant sur la décision publique et le long terme, lesquels trouvent justement leur justification dans le lien entre activité humaine et impact sur l’environnement (climat, ressources, notamment).

Ce lien étroit entre l’économie et l’écologie est en effet le sujet de nombreuses études. L’un des exemples les plus fameux est le rapport de Stern (2006) sur l’économie du changement climatique. Il constitue un tour de force dans le sens où il a placé la science économique au centre de l’analyse des politiques publiques. Ce rapport a évalué des investissements environnementaux. Stern a estimé que pour éliminer les conséquences de l’effet de serre, nous devrions être prêts à sacrifier dès maintenant une part de notre consommation mondiale qui pourrait être comprise entre 5% à 20%. Nous pourrions citer aussi de nombreux autres exemples, tels que : le rapport de la New climate economy (2015)75, les très nombreux de

travaux de W. Nordhaus, dont son étude de 2007, idem pour A. S. Manne (citons son papier de 200576), les études en France du Commissariat Général du Plan (2001)77, etc.

Par ailleurs, sous une contrainte de budget, afin d’optimiser le bien-être de la population, les politiques publiques nécessitent d’arbitrer entre les différentes actions collectives de l’éducation, de la santé, des retraites, de la protection de l’environnement,…, qui ont un impact présent et futur sur ce bien-être. Les effets de certaines de ces décisions se manifestent à court terme, d’autres au contraire se font sentir sur des périodes beaucoup plus longues. Ainsi, dans un monde où les ressources sont limitées, il est indispensable – tant que faire se peut - de procéder à une sélection et à une hiérarchisation des projets de manière cohérente par rapport à leurs effets temporels et de déterminer les combinaisons d’actions qui maximisent le bien-être collectif intergénérationnel.

De plus, le calcul économique a aussi pour ambition d’objectiver l’utilité sociale des dépenses publiques en ramenant notamment l’ensemble des effets non marchands d’une décision ou d’un

75 : New climate economy. 2015. « Seizing the global opportunity: partnerships for better growth and a better climate ». Ce rapport présente les actions à mener pour rester sous les 2°C de réchauffement climatique. Il est disponible sur le site http://newclimateeconomy.report/2015/wp-content/uploads/sites/3/2014/08/NCE- 2015_Seizing-the-Global-Opportunity_web.pdf

76 : A. S. Manne et R. G. Richels. 2005. « Merge: an integrated assessment model for global climate change ». Cet article presente un nouveau modèle d’évaluation des effets locaux et régionaux des réductions de gaz à effet de serre.

77 : Commissariat général du plan, Marcel Boiteux. 2001. « Transport : choix des investissements et coût des nuisances ». En suivant la démarche de monétarisation, ce document évalue les principaux impacts des nuisances à prendre en compte dans les bilans socio-économiques de projets d’infrastructure de transport.

66 investissement à une même unité de mesure (souvent en termes monétaire), afin de s’assurer que les dépenses sont utiles et que les avantages attendus du projet valent les dépenses engagées et les coûts qui seront supportés par la collectivité. L’utilité sociale d’éléments souvent déterminants dans les projets est pourtant fréquemment difficile à évaluer. Il nous faut donc mobiliser des travaux de recherche spécifiques et une mobilisation, par exemple secteur par secteur, pour établir des règles d’usages élémentaires adaptées à chacun de ces secteurs. On pourra aussi chercher une harmonisation communautaire pour traiter les projets de coopération bilatéraux ou internationaux.

A première vue, la technique du calcul économique des politiques publiques peut apparaître simple puisqu’il s’agit d’évaluer et classer les actions via la somme des bénéfices socioéconomiques induits (au sens large, les bénéfices ne se limitant pas au seul volet financier, loin de là) excède celle des coûts à consentir. Pourtant, ce calcul devient complexe dès qu’on cherche à le mettre en pratique, surtout pour des problèmes de développement durable : comment faire des choix dans l’allocation de ressources rares à des besoins futurs de la société dans un univers incertain ? La présence d’externalité, l’horizon long et les incertitudes

associées constituent les trois caractéristiques communes de ces problématiques.

En première lieu, il faut estimer le rendement social des projets, en intégrant l’ensemble des externalités positives ou négatives qui y sont associées au cours du temps. Ainsi, la première difficulté de l’évaluation économique des projets d’investissement, dans le cadre des politiques de développement durable, réside dans l’estimation des valeurs relatives à l’ensemble des biens et des services engagés : certains sont en effet mal ou pas quantifiables. Un autre inconvénient majeur tient au fait qu’il oblige à comparer des bénéfices et des coûts très hétérogènes (marchands ou non marchands, certains ou risqués,…), parfois dans des périodes de temps très différentes pour les dépenses et les recettes. Par exemple, dans le domaine de la santé, les coûts sont souvent monétaires alors que les bénéfices se mesurent en termes de vies gagnées ou de réduction de la morbidité.

En outre, s’agissant de projet dont la durée de vie et l’horizon des impacts sont particulièrement longs, nous faisons face à un autre défi qui est l’évaluation des bénéfices et des coûts globaux sur plusieurs générations : comment comparer des flux économiques à différentes périodes de temps. En effet, la question de la valeur relative des biens et services et, en particulier, de leur évolution dans le temps se pose dans les choix public. Par ailleurs, en tenant compte du long terme, il faut déterminer les méthodes avec lesquelles des euros dépensés ou gagnés à des dates différentes peuvent se comparer les uns aux autres ; comme précisé plus haut, le moyen le plus utilisé est le taux d’actualisation. Pourtant, comme nous le verrons plus tard, la détermination de ce(s) taux n’est pas toujours facile et provoque de nombreuses controverses. Ces débats ont essentiellement porté sur ce paramètre reflétant les conditions dans lesquelles les générations présentes sont prêtes à diminuer leur bien-être en prenant en compte celui des générations à venir.

En outre, la prise en compte des risques et des incertitudes apparaît également comme un des points les plus délicats dans l’analyse des investissements à long terme : certains projets ont des bénéfices sûrs mais des coûts incertains, ou inversement. La dimension risquée des projets ainsi

67 que le caractère incertain de l’avenir dans lequel ils s’inscrivent se combinent pour créer des incertitudes très spécifiques qui nécessitent une attention particulière.

Pourtant, malgré ces limites, le calcul économique reste un outil très utile pour expliquer les enjeux des investissements publics, pour alimenter le débat et pour préparer les arbitrages de la gouvernance publique dans le long terme. Il apparaît ainsi comme un instrument essentiel de cohérence à utiliser par les administrations tant pour l’ordonnancement de leurs activités internes que pour la compréhension des décisions des autres administrations ou des collectivités.

En effet, avant la prise d’une décision définitive, toutes les partie-prenantes du projet doivent être informées au mieux de ses effets socioéconomiques tels qu’ils peuvent être évalués par le bilan socioéconomique, donc de son efficacité et du bon usage des fonds publics (M. Lehtonen et al (2017))78. Il s’agit de se focaliser sur l’utilité sociale ainsi que sur la rentabilité économique

du projet, compte tenu, d’une part, de son coût de réalisation et, d’autre part, de ses avantages et inconvénients attendus pour les usagers et les autres agents économique. Parfois même l’impact sur la nature comme entité à part entière est pris en compte. Le calcul économique permet d’indiquer qui gagne, qui perd et en quelle proportion ; cela peut donc éclairer la décision des différents agents.

Autrement dit, grâce au calcul économique, l’Etat a la capacité de renforcer et de créer en son sein des dispositifs, espérons-le appropriés, d’évaluation de politiques publiques et d’assurer leur diffusion et leur promotion vers les corps constitués impliqués dans cette évaluation (Cour des comptes, Parlement, Conseil d’Etat, …) ainsi que vers les différentes collectivités territoriales ou régionales. Ces évaluations constituent donc un bon moyen de préconiser, voire d’imposer si nécessaire, des cadres de référence pour traiter certains problèmes difficiles. Nous pouvons trouver facilement de nombreux exemples d’études économiques sur les questions climatiques et sanitaires, tels que le Projet ExternE (Commission Européenne, 1995), l’étude déjà citée de N. Stern (2001), J-M. Harris (2014) et de nombreuses études de l’Organisation de la Coopération et du Développement Economique, etc. Pourtant, il convient également de développer et de renforcer l’usage du calcul économique, y compris dans des domaines où il est encore peu utilisé, tels que l’exploration spatiale ou la gestion des déchets radioactifs - l’objet principal de cette thèse. Ces sujets constituent des nouveaux défis lancés à l’analyse coûts-bénéfices des politiques publiques.

2. La mise en œuvre du calcul économique pour le long terme: