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Chapitre 1 : Le IIIe siècle et ses problématiques : la crise, l’armée, les Barbares

F. Méthodologie

On n’étudie pas les guerres Médiques sans parler de l’armée perse, non plus qu’on cherche à comprendre l’invasion de la France en 1940 sans se pencher sur les forces et les faiblesses relatives de la Wehrmacht et de l’Armée française. Ainsi, nous avons constaté que dans les études du IIIe siècle, et dans les ouvrages d’histoire militaire, les Barbares étaient trop souvent compris dans une acception générale du terme. Les particularismes goths, de leurs modes de vie à leur organisation militaire, ne peuvent pas être dissociés de leurs faits d’armes, de même que les mentalités romaines face à leurs ennemis européens doivent être

étudiées, ne serait-ce qu’un minimum, afin de mieux comprendre certains de leurs choix stratégiques ou tactiques.

De cette façon, cette étude se fixe pour objectif de tenter de trouver un ou des nouveaux axes de réflexion et d’apporter des réponses sur la « crise militaire » du troisième siècle romain en étudiant d’abord un de leurs ennemis, les Goths, ainsi que leurs relations et conceptions romaines sur ces Goths, et sur les Barbares en général.

La deuxième partie de ce travail aura pour tâche de reprendre les connaissances que nous avons aujourd’hui sur les Goths, de tenter de retracer leur évolution depuis leur migration jusqu’au IIIe siècle compris, et d’essayer de le mettre en rapport avec ce que nous savons par ailleurs des conceptions et des relations qu’avaient les Romains de leurs voisins Barbares – de l’ethnographie aux relations de voisinage. Ce sera notamment dans cette partie que nous analyserons la frontière autrement que sous son aspect militaire, grâce aux relations de commerce entre les deux parties du Danube. Ce sera aussi l’occasion d’étudier plus en détail les auteurs anciens, Jordanès bien sûr, mais aussi Zosime, Tacite ou encore l’Histoire

Auguste, pour voir ce que les Anciens ont écrit, pensé et peut-être voulu, pour certains,

transmettre à leurs lecteurs.

Cela nous mènera à la troisième partie, qui se veut une tentative de réconciliation entre l’étude de l’armée romaine et l’étude des ennemis de l’armée romaine. Ce sera le moment de revoir plus en détail le dispositif romain du IIIe siècle, les victoires et défaites militaires, les sièges portés par les Goths et leurs méthodes d’invasion. Notre intérêt se portera sur les décisions du haut commandement qui ont eu des conséquences majeures sur la stratégie de l’armée romaine. Il s’agira de reconsidérer avec précision certains épisodes des invasions gothiques du IIIe siècle et d’y apporter un éclairage nouveau, celui de la perception de l’ennemi goth. Car, pense-t-on, une stratégie adaptée l’est par définition relativement à un ennemi donné – encore faut-il le connaître. On verra donc, en conclusion,

s’il est permis ou non de croire que les conceptions qu’avaient les Romains de leurs ennemis ont joué dans leurs décisions stratégiques et tactiques contre ceux-ci au IIIe siècle.

Une notice méthodologique s’impose quant à l’utilisation des sources littéraires anciennes, et le lecteur devra garder en mémoire que l’étude de ces sources n’impose pas qu’on tienne pour acquis leur véracité. La vraisemblance d’un récit ne doit pas nous aveugler et n’est en rien un gage d’exactitude. Par exemple, si Jordanès est un passage obligé, il n’en demeure pas moins très suspect, et la part de vrai ou de mensonge dans son récit de l’invasion de Cniva nous échappe totalement. On l’étudiera en détail pour ce qu’il est, à savoir un historien antique qui a légué le récit le plus détaillé de la bataille de Béroé, utilisant son travail comme base de réflexion, avec toute la prudence que cela exige. On ne confondra pas un récit détaillé et un récit fidèle, de même qu’il ne faut pas associer absence de sources avec absence d’événements à raconter. Aucune certitude ne saurait émerger de l’étude de l’Histoire Auguste, mais l’analyse de certains passages pourra apporter quelques pistes, qu’il s’agisse des faits ou de la façon de les raconter. Aussi, ce n’est pas parce que Zosime se confond en redites et malentendus que son utilisation est vaine. Il est clair que les chiffres qu’il avance sont exagérés, comme toutes nos sources au demeurant, et il n’est guère sage de les diminuer arbitrairement pour mieux nous y retrouver et ainsi leur trouver un artificiel semblant de vérité. Mais on ne peut se passer de lui lorsqu’on parle des invasions gothiques et l’image qu’il nous renvoie de la période est autant importante que le nombre d’envahisseurs, à jamais inconnu et finalement anecdotique.

Ainsi donc, on utilisera les sources pour ce qu’elles sont, chacune avec ses problématiques et ses tropismes. Aucune n’est sans défaut, ne serait-ce qu’à cause des erreurs dues à la distance entre le moment de la rédaction et les événements. L’argument de la vraisemblance peut parfois être soulevé sans être décisif et ne représente qu’une hypothèse qui ne se veut jamais être un parti pris pour la source, quelle qu’elle soit, car ce n’est pas parce qu’on s’accroche à un récit qu’il en devient subitement plus vrai.