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Chapitre 3 Synthèse de biphénylènes

I. Etat de l’art

2. Méthodes de préparation

Depuis la première synthèse en 1911,248 différentes stratégies ont été développées pour accéder à des structures biphénylèniques.45,252 Elles peuvent être classées en quatre grandes catégories (voir Figure 26).

a. Couplages C-C oxydants

Utilisée par Lothrop pour réaliser une des premières synthèses de biphénylènes,251 cette méthode fait intervenir un biaryle dihalogéné en positions ortho et ortho’. Elle nécessite la présence d’une source oxydante de cuivre (voir Schéma 69) ou procède par transmétallations successives via un intermédiaire zincique (voir Schéma 70).253

Si cette stratégie permet de synthétiser des biphénylènes avec de très bons rendements, allant jusqu’à 81%, elle n’est cependant pas sélective et le tétraphénylène correspondant est systématiquement produit, parfois même exclusivement. De plus, elle ne tolère que peu de groupements fonctionnels sur le biaryle de départ.

Figure 26 : Grandes méthodes de préparation des biphénylènes

Schéma 70 : Synthèse de biphénylènes par couplages C-C oxydants

X X R R = N2,SO2 X = I, Br couplages C-C oxydants réarrangements dimérisation d'arynes cyclotrimérisation d'alcynes

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b. Réarrangements

Cette stratégie est basée sur des réarrangements intramoléculaires conduisant à l’élimination de petites molécules volatiles telles du dioxyde de soufre ou du diazote. Elle permet de synthétiser divers biphénylènes avec de très bons rendements, mais également des hétérobiphénylènes (voir Schéma 71).254–256

Si cette approche permet l’introduction de quelques substituants sur les biphénylènes, la synthèse des précurseurs n’en reste pas moins complexe. Le problème majeur reste cependant l’accès aux moyens matériels nécessaires à la fabrication des biphénylènes. La pyrolyse sous vide (FVP) ou l’utilisation de plasma à basse pression requiert en effet des équipements spéciaux, dont la plupart des laboratoires ne disposent pas.

c. Dimérisation des arynes

Avec le développement des précurseurs d’arynes dans la deuxième moitié du XXème siècle (voir Chap1.I) de nombreux groupes ont constaté la formation de biphénylènes par dimérisation du benzyne généré in situ, parmi d’autres sous-produits (voir Schéma 72).44,257

Bien que le but originel n’ait pas été la synthèse de biphénylènes, ces derniers ont été formés dans de nombreuses réactions faisant intervenir des arynes, parmi d’autres sous-produits tels que des dérivés de triphénylènes et des produits de réactions variées entre le benzyne et les réactifs de départ. Les mécanismes réactionnels semblent impliquer une dimérisation concertée pour les biphénylènes mais

la formation de triphénylènes s’opèrerait vraisemblablement en plusieurs étapes successives.258 Des

études mécanistiques récentes vont en ce sens en attestant l’habilité des arynes à réaliser des Schéma 71 : Synthèses de biphénylènes par réarrangements intramoléculaires

Schéma 72 : Formation de biphénylène par dimérisation des arynes

R N N X X X X X X X X X X X X X X X X R = SO2,X = H, 71% R = N2,X = H, 70% R = N2,X = Cl, 71% N N N N 38%

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réactions de dimérisation sur une gamme de températures donnée.259 Ces réactions étant la plupart

du temps conduites à hautes températures, la dimérisation est donc possible dans ces conditions réactionnelles.

Intrigués par les propriétés des biphénylènes (voir I.3), de nombreux groupes se sont intéressés à leurs synthèses par FVP en utilisant divers précurseurs d’arynes.25,260,261 Outre la formation simultanée et quasi systématique de triphénylènes, la limitation majeure reste, comme pour la section précédente, l’accès aux appareils nécessaires pour réaliser ces réactions. Quelques biphénylènes fonctionnalisés

ont toutefois été synthétisés par cette méthode,262,263 mais de manière générale les rendements ne

dépassent pas les 20-30%, exception faite de quelques rares exemples.22,264

Cette technique est cependant restée la plus répandue jusqu’à la fin des années 80 pour être ensuite remplacée par une nouvelle approche par cyclotrimérisation d’alcynes. Une récente découverte fortuite grâce à un nouveau précurseur laisse néanmoins la porte entrouverte à l’accès aux

biphénylènes par dimérisation d’arynes dans des conditions douces.265

d. Cyclotrimérisation d’alcynes

La chimie des biphénylènes, difficiles d’accès jusqu’alors, connaît un renouveau grâce aux travaux du groupe de K. P. C. Vollhardt. Dans cette nouvelle méthodologie d’accès, l’accès aux biphénylènes se fait par une réaction de cyclotrimérisation [2+2+2] impliquant trois entités alcyne (voir Schéma 73).252

Les substrats, aisément synthétisés par réactions pallado-catalysées, permettent de synthétiser directement les biphénylènes souhaités en présence d’un catalyseur au cobalt. Les produits de la réaction sont souvent facilement fonctionnalisables, permettant l’introduction de nouveaux motifs pour former les [N]phénylènes. Suite aux premiers travaux sur les biphénylènes publiés en 1982,266 le groupe s’est ensuite intéressé aux [3]phénylènes,267 puis aux homologues [4],268–270 [5],269–271 [6],272 … tout en jouant sur les formes des macromolécules, parfois linéaires, angulaires, courbées, ramifiées ou même en zigzag. Le groupe a exploré la quasi-totalité des géométriques possibles,252 seulement freiné par des rendements de plus en plus faibles et inversement proportionnels à l’augmentation de la taille des structures.

127 Pour aller encore plus loin, le groupe s’est intéressé à la synthèse de phénylènes circulaires mais également hélicoïdaux (voir Figure 27).252

Si la synthèse de phénylènes circulaires reste encore aujourd’hui un défi synthétique non relevé, le groupe de Vollhardt peut s’enorgueillir d’avoir accompli de nombreuses prouesses. Non content de la quantité de structures synthétisées, le groupe a réussi à isoler divers héliphènes,272 ainsi que le remarquable [4]phénylène triangulaire.273,274 Ce dernier possède des propriétés très intéressantes, à l’image de la famille toute entière des phénylènes (voir I.3).

Si les travaux réalisés par l’équipe de Vollhardt ont permis une avancée incontestable concernant la chimie des [N]phénylènes, la réaction de cyclotrimérisation ne tolère que peu de groupements fonctionnels, malgré la simplicité de post-fonctionnaliser les produits de réactions. L’élément le plus simple de la famille des [N]phénylènes, le [2]phénylène ou biphénylène souffre donc toujours de l’absence d’une méthodologie d’accès directe qui permette une haute fonctionnalisation de la structure. D’autres techniques ont été récemment développées dans le but de résoudre ce problème.

e. Autres méthodes récemment développées

Suite au regain d’intérêt pour les biphénylènes impulsé par le groupe de Vollhardt, plusieurs équipes ont tenté de trouver des synthèses alternatives. Le groupe de T. M. Swager a ainsi développé une méthodologie basée sur des réactions de Diels-Alder successives (voir Schéma 74).275,276

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Dans cette stratégie, l’étape clé de formation du cycle à quatre membres est réalisée par FVP. Outre les problèmes précédemment évoqués concernant cette technique, le cyclobutène obtenu n’est pas stable à l’air et demande donc des précautions particulières concernant sa manipulation. De plus, peu de substituants ont été introduits jusqu’alors et cette technique ne permet pas l’accès à des biphénylènes simples mais comportant systématiquement des motifs acènes.

Le groupe d’Y. Xia a développé une approche par annellation pallado-catalysée pour la construction du motif cyclobutane, baptisée CANAL (voir Schéma 75).277,278

Schéma 74 : Stratégies de Swager pour accéder aux motifs biphényléniques

Schéma 75 : Stratégies de Xia pour accéder aux motifs biphényléniques

O R R FVP R R O Diels-Alder O O R R O O O H H H H H H Diels-Alder R R O H H R R + Diels-Alder

129 Cette technique permet de synthétiser de nombreux dérivés biphényléniques substitués en seulement deux étapes à partir de substrats facilement accessibles et pouvant être fonctionnalisés. La réaction offre de très bons rendements mais doit toutefois être réalisée à haute température dans des tubes scellés et sous pression. Cet élément non négligeable, associé au fait que les produits obtenus comportent systématiquement un motif napthyle, ne permettent pas à cette stratégie de se poser en alternative solide pour la synthèse de biphénylènes.

Le groupe d’Y.-T. Wu a de son côté développé une approche originale, s’apparentant à une réaction de couplage aryne intramoléculaire (voir Schéma 76).279

Cette technique permet la synthèse de nombreux biphénylènes substitués avec de très bons rendements. Il est également possible de former des [3]phénylènes en partant de terphényles et de former les deux cycles cyclobutadiène en une seule et même étape. Cette approche nécessite toutefois la construction préalable de biaryles hautement fonctionnalisés, ce qui peut représenter un frein à son utilisation. De plus, la présence d’un groupement ortho-directeur R en position meta du biaryle de départ est indispensable pour pouvoir réaliser la lithiation, sans quoi l’aryne ne peut pas être formé. Contrairement à la plupart des autres techniques précédemment présentées qui nécessitaient le recours à des températures très élevées, cette approche requiert un contrôle très précis des températures entre -100 °C et -50 °C.

Dans un registre plus spécifique, le groupe de S. Yamaguchi a réalisé la cyclodimérisation formelle intramoléculaire de deux alcynes pour former des biphénylènes substitués.280 Une étude sur les formes allotropiques du carbone prédit également la possibilité de synthétiser des graphènes constitués de réseaux de biphénylènes à partir de pentagraphène.281

Toutes ces réactions très récemment développées démontrent le regain d’intérêt de la communauté scientifique pour les biphénylènes. Cette tendance peut s’expliquer par la démocratisation de l’accès à cette famille de molécules rendue possible par le groupe de Vollhardt. Grâce à ces travaux, certaines propriétés intéressantes leur ont en effet été découvertes mais nombre d’entre elles restent méconnues, attisant la curiosité des chercheurs.

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