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3 Méthodes de mesure de l'activité cérébrale

Dans cette section, nous allons présenter les diérentes méthodes pour mesurer l'activité électrique neuronale, dites méthodes électrophysiologiques.

L'électrophysiologie est l'étude des phénomènes électromagnétiques ayant lieu dans des orga-nismes vivants. Ces mesures peuvent se faire à diérentes échelles spatiales et temporelles, entre les canaux ioniques individuels [Sakmann and Neher, 2009] et les électrodes de surface. Les phé-nomènes mesurés peuvent être de nature électrique ou magnétique. Nous n'allons pas aborder ce dernier cas (la magnétoencéphalographie - MEG) et nous allons nous focaliser sur l'électrophy-siologie classique, utilisable pour mesurer les champs électriques dans ou autour d'un cerveau vivant. Encore plus précisément, les échelles spatiales et temporelles concernées sont comprises entre les mesures extracellulaires par des micro-électrodes (ayant une surface de l'ordre de la dizaine ou centaine de µm2) et les mesures de surface électroencéphalographiques (EEG), faites avec des électrodes ayant une surface de l'ordre du cm2. Clairement, une partie de ces mesures sont invasives et donc leur utilisation chez l'Homme se fait dans un cadre médical strict et elle est limitée aux patients pour lesquels les autres modalités d'exploration se sont révélées insusantes pour le diagnostic. Plus précisément, les signaux qui nous intéressent (et qu'on cherchera dans cette thèse à modéliser et à analyser) sont enregistrés sur des patients épileptiques au CHU de Nancy, essentiellement en SEEG et micro-électrodes.

3.1 Méthodes électrophysiologiques

L'électroencéphalographie (EEG)

La EEG est sans doute la technique la plus connue en neurosciences car elle est la plus ancienne6. Elle consiste à enregistrer le signal électrique produit par une population de neurones au cours du temps et joue un rôle important dans le diagnostic de maladies neurodégénératives notamment l'épilepsie. L'EEG possède une résolution spatiale sur le scalp de l'ordre du millimètre et une résolution temporelle de l'ordre de la milliseconde. Il existe de nombreux modèles de casques EEG possédant plus ou moins d'électrodes - leur nombre variant de 16 jusqu'à 256, voire plus. C'est une méthode très standardisée où chacune des électrodes possède une position xe selon une norme internationale : système 10/20 et dérivés.

L'électroencéphalographie stéréotaxique (SEEG)

La stéréo-encéphalographie est une méthode qui a été développée à Paris dans les années 1950 à l'hôpital Sainte-Anne [Guenot et al., 2001]. Cette méthode consiste à enregistrer l'activité neuronale via des capteurs placés à l'intérieur du cerveau. Ces capteurs ne sont pas ponctuels et présentent une surface latérale conséquente (gure 1.13). Contrairement à la EEG, la SEEG n'est pas du tout standardisée ce qui implique que le nombre de capteurs en profondeur varient en fonction de la cartographie de la zone épileptogène suspectée et des constructeurs. Généralement, une électrode peut contenir entre 10 et 15 capteurs - nombre discuté par les neurochirurgiens et les neurologues au préalable et dépendant du matériel utilisé et de la zone implantée.

Contrairement aux autres types d'électrodes, les électrodes SEEG sont particulièrement ef-caces pour localiser les foyers épileptiques notamment dans le lobe temporal profond et dans le lobe frontal. Quasiment tous les évènements physiologiques liés à l'épilepsie sont visibles : les décharges, les pics inter-ictaux ou encore l'activation précoce des crises.

6. En 1924, le neurologue allemand Hans Berger, considéré comme le père de l'EEG, fut le premier à enregistrer le signal électrique produit par les neurones chez l'Homme.

Capteurs

0.8 mm

2 mm

1.5 mm

Figure 1.13  Schéma d'une électrode SEEG utilisée à l'hôpital central de Nancy. L'implantation des électrodes SEEG n'est pas sans danger chez le patient du fait que ce soit une technique extrêmement invasive. Avant toute implantation, les neurologues et les neurochi-rurgiens se réunissent an d'estimer le ratio risques/bénéces et tous les patients ne sont pas éligibles à être implantés. Le risque le plus important est celui d'une hémorragie lorsque les élec-trodes sont retirées, cependant, le pourcentage de patients touchés est relativement faible et varie entre 0.5% et 4% [McGonigal et al., 2007] [Cossu et al., 2005]. Le deuxième risque majeur est l'apparition d'infections. Avec le développement des techniques chirurgicales et la stérilisation des appareils, les cas d'infections sont extrêmement rares. Le dernier risque majeur est l'apparition d'un foyer épileptique provoqué par la position des électrodes. Ces cas existent mais le risque est relativement faible (moins de 2.4 % des patients sont touchés).

La limite majeure de ces électrodes est la résolution spatiale intracérébrale. Du fait de l'as-pect très invasif, le nombre de multicapteurs implantés est très limité. Les électrodes en montage référence commune capturent l'activité d'une large zone volumique et il est donc dicile de connaître l'origine exacte de cette activité, même si en principe il est possible de les utiliser pour localiser des sources éloignées des zones implantées [Caune, 2017] [Le Cam et al., 2017]. Enn, il est possible de générer des stimulations électriques à partir de 2 électrodes contiguës qui deviennent générateur. L'objectif de la stimulation électrique intracérébrale dans ce cadre est de deux ordres : d'une part, localiser la zone épileptogène en l'excitant localement et d'autre part de s'assurer de la cartographie fonctionnelle ou plutôt non fonctionnelle du volume épileptogène incriminé. Il est également possible d'inhiber les foyers épileptiques : plusieurs études ont mon-tré que l'activité de ces derniers diminuait de manière signicative [Guenot and Isnard, 2008] [Stypulkowski et al., 2011].

Les micro-électrodes

Les micro-électrodes sont des électrodes de la taille du micromètre capables d'enregistrer l'activité d'un neurone unique (SUA) ou de plusieurs neurones voisins (MUA). Leur technologie est née dans les années 1970 [Thomas Jr et al., 1972] pour des expérimentations animales et s'est depuis considérablement développée. Avec la miniaturisation de la technologie, plusieurs congurations de micro-électrodes ont été développées ces dernières années : nous pouvons citer notamment les MEA, les congurations laminaires ou encore les N-trodes (avec N le nombre de contact de mesure - parmi les plus populaires, nous pouvons citer les tétrodes (N=4)).

La gure 1.15 est une illustration de l'un des systèmes de matrice de micro-électrodes les plus populaires : un Utah array, développée conjointement par l'université d'Utah, USA et de Bla-ckRock MicroSystems. Il s'agit d'une matrice composée d'une centaine de capteurs (généralement 128) pouvant être implantée sur le cortex cérébral et être capable de faire des micro-stimulations électriques.

A. B. C. D.

Figure 1.14  Diérentes congurations de micro-électrodes. (A), (B) et (C) Micro-électrodes laminaires (illustration extraite et modiée du site de Cambridge NeuroTech). (D) Tétrodes. Illustration extraite du site Thomas Recording.

Figure 1.15  Matrice de micro-électrodes - MEA. Illustration extraite du site de BlackRock Systems.

Les micro-électrodes peuvent être utilisées seules mais généralement elles sont associées avec des macro-électrodes SEEG (voir la section 3.1 et la gure 1.16). Ce type de conguration a l'avantage d'enregistrer l'activité neuronale à des échelles spatiales diérentes ce qui permet d'étudier une activité très locale (SUA) avec une activité plus globale (MUA) i.e., comment l'activité d'un neurone individuel est liée à celle d'une population. Les 8 micro-électrodes de la gure 1.16 (7 de mesure et une de référence) sont déployées dans un très petit volume lorsque la profondeur voulue est atteinte.

Figure 1.16  Macro et micro-électrodes. Illustration extraite du site d'ADTech.

Dans cette conguration, les 8 micro-électrodes sont reliées à l'électrode SEEG via des ls exibles ; il est donc impossible de connaître leurs positions respectives de manière exacte dans

cette conguration. L'activité de plusieurs neurones peut être osbervée sur une même micro-électrode s'ils sont tous situés dans son voisinage (<50µm) et de pouvoir même les classier [Buzsáki and Draguhn, 2004]. C'est souvent le cas pour les micro-électrodes laminaires et les MEA. Cependant, au-delà d'une certaine distance (>50µm et <140µm), l'activité des neurones est toujours visible mais il est impossible de pouvoir les classier [Toth et al., 2016].

3.2 Diérents types de montage

L'activité électrique mesurée correspond toujours à une diérence de potentiel - une électrode mesure le potentiel par rapport à une autre électrode, l'une des deux électrodes est considérée comme l'électrode de référence [Libenson, 2012]. Cette dernière n'est pas à potentiel nul mais si elle est éloignée des autres électrodes (ou si elle enregistre des signaux de nature diérente), il est alors possible de considérer le potentiel de référence comme indépendant des autres potentiels. Une autre situation est lorsque l'électrode de mesure et l'électrode de référence sont proches l'une de l'autre. Dans ce cas, le potentiel de référence ne peut pas être considéré comme indépendant des autres potentiels [Salido-Ruiz, 2012].

Quand plusieurs électrodes de mesure sont référencées par rapport à une même électrode commune, les mesures sont connues sous le nom de mesures ou montage en référence commune (CRM). Les signaux bruts sont en général sous cette forme et donc sont inuencés par le potentiel (inconnu et potentiellement variable) de l'électrode de référence.

An d'éliminer la référence, plusieurs techniques existent, comme par exemple le montage en référence moyenne (ARM), qui consiste à estimer le potentiel de l'électrode de référence comme la moyenne des signaux mesurés et le soustraire ensuite des mesures [Picton et al., 2000] [Dien, 1998], ou encore des techniques plus développées basées sur l'hypothèse d'indépendance entre référence et mesure [Ranta et al., 2010] [Madhu et al., 2012] [Ranta and Madhu, 2012] ou sur des modèles biophysiques de propagation (type problème inverse) [Yao, 2001] [Zhai and Yao, 2004]. Une méthode alternative de l'élimination du potentiel de référence est le montage bipolaire (BM), qui consiste à simplement soustraire les potentiels électriques mesurés par deux électrodes proches. La mesure devient alors locale car toutes les sources lointaines qui contribuent identi-quement sur les deux électrodes seront soustraites l'une par rapport à l'autre. Contrairement aux deux autres montages gardant le même nombre de canaux de mesure, le montage bipolaire a la particularité de supprimer une voie d'enregistrement. Ainsi, s'il y a m canaux d'enregistrement initialement, il n'y aura plus que m − 1 canaux à la n.