Sébastien Kwiek est éducateur et art-thérapeute de formation, et travaille au Centre de Médiations éducatives pour Adolescents depuis 1999. Avant chaque séance, nous nous rencontrions avec Sébastien, médiateur et meneur de jeu, pour discuter l'avancée de l’aventure, ce qu'il y avait à travailler avec tel ou tel adolescent au travers du jeu de rôle. Au décours de la séance nous revenions sur ce qui s’était joué tant sur le plan groupal qu’individuel, tant dans le réel que dans le virtuel du jeu. Au cours de l’année de médiation JDR, nous avons observé à la fois l’évolution d'Alix au cours de l’année, le travail du médiateur-meneur de jeu et également ma propre position dans le jeu et le groupe.
L’observation d'Alix se faisait sur deux plans : d’une part l’évolution d'Alix dans le JDR au travers de son personnage, et d’autre part l’évolution de son état de santé psychique et de son rapport aux autres. L’observation de Alix dans le JDR au travers de son personnage reposait sur:
- le choix de son personnage
- l’histoire qu’elle a créé autour de son personnage
- le positionnement de son personnage dans le groupe de personnages - les actions et prises de décisions qu’elle mettait en place dans le jeu - l’évolution de son personnage au cours du jeu.
53 L’observation de son état de santé psychique et de son rapport aux autres se faisait sur l’observation:
- de son comportement
- de ses expressions faciales et corporelles
- de la verbalisation de ses pensées, choix, émotions, désirs - la place que Alix prenait dans le groupe d’adolescents
- sa socialisation en séance et en péri-séance (moments informels d’attente, de repas).
Alix faisait partie d'un groupe d'adolescents avec lequel elle intergissait. Nous ne pouvions donc pas en faire abstraction, d'autant que le groupe a une place majeure dans cette médiation. Aussi durant les séances, nous observions également:
- l'arrivée au CMA des adolescents
- la salle d’attente, les contacts sociaux pendant l’attente, l’attention l’empathie dont ils pouvaient faire preuve à l’égard des autres adolescents - leur place autour de la table
- les relations dans la salle avant de commencer à jouer - les phénomènes groupaux en jeu et hors-jeu
- la mise en place du groupe dans le jeu, la place que chacun prenait - la capacité des adolescents à se différencier de leur personnage
- les moments d’empathie dont ils pouvaient faire preuve dans le jeu à l’égard de leur propre personnage
- leur capacité à s'identifier à leur personnage - Leur capacité d'absorption5 dans l'histoire
5 L’absorption correspond à un état profond d’engagement dans l’activité lié à un épisode d’attention et
de concentration totale (expérience optimale) qui « absorbe », focalise, entièrement les ressources cognitives de représentation (perceptuelle, énactive, imaginative, idéative) Autrement dit c’est une « focalisation exclusive, extrême et apaisante, liée à un état de concentration totale » (23). Ce type d’attention intense est lié à un sens intense de la réalité de l’objet attentionnel, à l’imperturbabilité aux évènements extérieurs, à un sens de la réalité modifié en général, incluant un sens du soi modifié sur le plan de l’empathie. L’absorption est corrélée à la suggestibilité, ou de capacité de se laisser « hypnotiser » (24).
- les moments d’empathie à l’égard d’autres personnages : leur capacité à se mettre à la place d’autres personnages à la fois psychiquement (émotions, pensées) mais également spatialement (lieux de la carte différents, ou quand ils sortaient de la pièce)
- les moments d’empathie à l’égard des autres joueurs - les comportements prosociaux en jeu et hors-jeu - le relationnel quand ils se quittaient.
L’observation du travail du médiateur-meneur de jeu se faisait lors des séances et lors des temps d’échange avant et après séance. Nous discutions de ce qui se jouait dans le jeu et hors-jeu pour les adolescents et plus particulièrement pour Alix. Nous observions les problématiques dévoilées et réfléchissions à comment les travailler. J'observais comment il adaptait le déroulement de l’aventure en tant que meneur de jeu pour amener Alix à travailler ses difficultés.
L’observation de ma propre position dans le groupe se faisait au travers de la manière dont les adolescents investissaient ma présence en tant que médecin et en tant que joueuse. Comme nous l’avons expliqué précédemment, nous avons fait le choix que je sois joueuse justement pour mieux observer les phénomènes groupaux de l’intérieur. Je les observais à la fois avec le regard clinique d’interne en pédopsychiatrie, mais également avec le regard de l’animatrice que j’étais, plus habituée au fonctionnement des groupes d’adolescents. Ainsi j'analysais mes propres émotions à l’égard des jeunes et les mouvements psychiques qu’ils pouvaient provoquer en moi. En dernier lieu, j’essayais d’observer mon propre vécu de joueuse, ce que le jeu pouvait me faire vivre, tant sur le plan de l’imaginaire que des émotions ressenties dans le jeu, ce qui m’a permis d'approcher ce que les jeunes peuvent vivre et ressentir au travers de cette médiation.
Nous avions pensé à enregistrer au dictaphone les séances, mais cela aurait été entravant pour les adolescents. Ils se seraient probablement sentis moins libres de faire ou dire ce qu’ils voulaient à cause de l’enregistrement. Ils auraient pu au contraire exagérer leur place. Et cela aurait contre une des règle majeure de centre qui est : « ce qui se passe au centre, reste au centre ». Le risque de l’enregistrement aurait été de les projeter dans une postérité, dans un après lié au travail de transcription, or c’est dans le moment présent de l’atelier que l’adolescent peut se permettre d’être celui qu’il veut être.
55 Après avoir présenté le choix du cas clinique et le travail d’élaboration transdisciplinaire, nous allons vous présenter le cas clinique de Alix et comment l’équipe du CMA a été amenée à la rencontrer.
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