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Méthodes d’identification des enhancers chez les ascidies

B. Les régions cis-régulatrices chez les ascidies

1. Méthodes d’identification des enhancers chez les ascidies

La majorité des enhancers identifiés chez la cione sont situés à moins de 1,5kb en amont du TSS (Satoh, Satou, Davidson, & Levine, 2003). Ainsi la méthode adoptée par Corbo en 1997 a constitué une référence pour l’identification des enhancers (Corbo et al., 1997). Il s’agit de cloner en amont d’un gène rapporteur les 3kb situés en amont du TSS, puis de raffiner la compréhension de la logique régulatrice sous-jacente par des délétions successives (Figure II.6). Cette méthode a certes permis d’identifier un grand nombre d’enhancers très proches du TSS, mais a peut-être introduit un biais dans l’identification de régions régulatrices plus proches du TSS chez les ascidies que chez les autres métazoaires. Des expériences de type ChIP-seq, ATAC-seq, ou 3C et dérivés permettraient d’identifier d’éventuels enhancers plus distaux.

Figure II.6 : Les 3,5kb en amont du site d’initiation de la transcription de Brachyury contiennent plusieurs éléments cis-régulateurs. La dissection de cette région en testant l’activité des régions schématisées ci-dessus par électroporation a permis d’identifier une région importante pour réprimer l’expression de Brachiury hors de la notochorde (région autour du rectangle hachuré), une région importante pour son expression dans la notochorde (rectangle blanc) et trois TFBS qui semblent importants pour son expression dans le muscle et le mésenchyme (carrés noirs). Cette approche expérimentale a permis d’identifier et de caractériser un très grand nombre d’enhancers. (Corbo et al., 1997).

b) Clonage aléatoire

Avant 2002, en l’absence de génome annoté, une des seules possibilités pour tester l’activité

cis-régulatrice de fragments génomiques était le clonage aléatoire. Cette technique “à

l’aveugle” consiste à cloner en amont d’un promoteur basal et d’un gène rapporteur un fragment d’ADN génomique de 1 à 3kb choisi au hasard. De cette façon, sur 138 fragments de 1,7kb en moyenne, 11 enhancers actifs au cours du développement embryonnaire ont pu être identifiés par Harafuji et al., suggérant une fréquence moyenne d’un enhancer actif pendant cette période tous les 20-40kb chez Ciona intestinalis (Harafuji, Keys, & Levine, 2002). Dans une étude similaire, centrée sur les gènes Hox, Keys et ses collègues identifièrent 22 enhancers sur les 222 fragments testés (Keys et al., 2005).

Ces approches non biaisées ont un faible taux de réussite : 10% ou moins des séquences testées sont des enhancers.

c) Empreinte phylogénétique

De façon fortuite, le génome de la seconde espèce d’ascidie séquencée, Ciona savignyi (Small, Brudno, Hill, & Sidow, 2007) est à une distance évolutive de celui de Ciona intestinalis qui permet d’utiliser la conservation de séquence pour identifier des enhancers. En effet, le signal de conservation dans le non-codant est existant et non-saturé, ce qui permet de distinguer des régions non-codantes faiblement conservées (et probablement non fonctionnelles) et des régions non-codantes fortement conservées (et probablement fonctionnelles). Plusieurs enhancers ont pu être identifiés de cette manière dans plusieurs laboratoires, par exemple ceux des gènes Pitx (Figure II.7) (Christiaen, Bourrat, & Joly, 2005), sFRP1/5 (Lamy, Rothbächer, Caillol, & Lemaire, 2006), FoxF (Beh, Shi, Levine, Davidson, & Christiaen, 2007), ROR (Auger et al., 2009) ou encore Lef/Tcf (Squarzoni, Parveen, Zanetti, Ristoratore, & Spagnuolo, 2011) (Pour review, Wang & Christiaen, 2012). Les enhancers identifiés ainsi ont généralement une taille de quelques centaines de paires de bases et il existe une relation quantitative significative entre la fonctionnalité et le degré de conservation des éléments non-codants (Johnson, Davidson, Brown, Smith, & Sidow, 2004). Il existe toutefois des cas particuliers qui échappent à cette règle.

Figure II.7 : Les séquences des éléments cis-régulateurs de Pitx sont conservées entre Ciona intestinalis et Ciona savignyi. En haut apparait le taux de conservation de séquences entre les deux

espèces. En bas est schématisée la région autour de Pitx : les rectangles noirs et blancs représentent les exons (dont la conservation apparaît en bleu), les rectangles mauves représentent les éléments conservés non codants (CNS, conservation en mauve). D1 et P2 sont des enhancers qui activent l’expression de

Pitx dans le stomodéum, P3 est un module co-activateur, et les régions l1-5 pourraient être

En effet, l’identification d’enhancers par empreinte phylogénétique entre les deux ciones n’est pas possible pour tous les gènes. En effet, pour certains gènes, le niveau de conservation des régions non codantes avoisinantes n’est pas suffisant pour identifier clairement des séquences ayant potentiellement une activité enhancer. C’est le cas de certains enhancers de FoxA-a (Irvine, 2013). Le récent séquençage du génome de Ciona intestinalis type B (résultats non publiés du laboratoire), plus proche du type A que celui de Ciona savignyi pourrait permettre d’identifier des enhancers dans de telles régions. De plus, toutes les régions non-codantes conservées ne sont pas des enhancers embryonnaires. Des régions conservées n’ayant pas d’activité enhancer à un certain stade peuvent être actives plus tard pendant le développement ou même pendant ou après la métamorphose. Ces régions pourraient également être des éléments cis-régulateurs fonctionnels tels que des silencers ou des insulateurs dont la validation expérimentale est moins évidente. Enfin, certaines de ces régions pourraient constituer d’autres types d’éléments, comme des gènes non-codants.

d) Clusters de sites de fixation pour des facteurs de transcription

Une autre méthode utilisée chez les ascidies pour identifier des enhancers est la recherche de clusters de sites de fixation pour des facteurs de transcription dans les régions non-codantes de gènes co-exprimés. La logique sous-jacente est que des gènes exprimés dans les mêmes cellules ou tissus seraient régulés par les mêmes facteurs de transcription, et leurs enhancers contiendraient donc les mêmes sites de fixation pour ces facteurs de transcription (Haeussler, Jaszczyszyn, Christiaen, & Joly, 2010).

Kusakabe et ses collègues ont recherché les motifs sur-représentés dans les régions non-codantes d’une cinquantaine de gènes exprimés dans le muscle des larves de Ciona intestinalis. Ils ont ainsi identifié dans ces régions un enrichissement en sites de fixation pour les facteurs de transcription CREB et MRF (Kusakabe, Yoshida, Ikeda, & Tsuda, 2004).

Il est intéressant de noter que la majorité des clusters de sites de fixation potentiels de facteurs de transcription ne confère pas d’activité enhancer à la région du génome où ils se trouvent. S’ils sont nécessaires, leur seule présence n’est pas suffisante pour l’activité d’un enhancer, ce que je discuterai plus tard.

e) Analyse de la structure chromatinienne

De part le faible nombre de cellules présentes dans les embryons d’ascidies et l’absence de culture cellulaire pour les invertébrés marins, les approches analysant la structure chromatinienne n’ont pas été autant exploitées que chez d’autres organismes modèles.

Une approche de ChIP-seq comparative chez Ciona intestinalis et Phallusia mammillata au stade de la jeune gastrula a été menée au sein de l’équipe. Les combinaisons de modifications d’histones ont permis une annotation fonctionnelle des éléments régulateurs à l’échelle du génome chez la jeune gastrula (Gineste en préparation). Toutefois, l’obtention de données de ChIP-Seq requiert pour l’instant une très grande quantité d’embryons et cette méthode n’a pas encore été utilisée de façon systématique chez les ascidies.

Le récent développement de techniques haut débit de caractérisation de la structure chromatinienne nécessitant moins de matériel biologique, telles que le ChIP-seq sur une cellule (Rotem et al., 2015) ou l’ATAC-seq, devrait permettre de caractériser de nouveaux enhancers potentiels.

f) Combinaison de ces méthodes

Plusieurs études ont combiné certaines des méthodes listées ci-dessus.

Par exemple, Johnson et ses collègues ont cherché dans le génome de Ciona intestinalis des regroupements de sites de fixation potentiels de facteurs de fixation pour MyoD, CRE et Tbx6 caractéristiques des enhancers actifs dans les précurseurs musculaires précédemment identifiés. Ils ont sélectionné 269 enhancers candidats contenant au moins un segment de séquence conservé avec Ciona savignyi (plus de 75% d’identité sur plus de 20pb). Environ 30% de ces enhancers sont actifs dans des précurseurs des cellules musculaires (Johnson et al., 2005). Khoueiry et ses collègues ont associé la conservation de séquence à la présence d’une combinaison de TFBS. Sur 20 séquences testées, 4 nouveaux enhancers neuraux ont pu être caractérisés (Khoueiry et al., 2010).

Haeussler et ses collègues ont testé des séquences enrichies en motifs dupliqués, conservées entre Ciona savignyi et Ciona intestinalis et situées aux alentours de gènes exprimés dans le système nerveux central antérieur. Sur les 23 séquences testées, 10 sont actives dans le système nerveux central antérieur et leurs différences de profils d’expression s’expliquent par la présence de TFBS additionnels, les seuls pentamères GATTA n’étant pas suffisants pour activer la transcription dans le neuroectoderme antérieur (Haeussler et al., 2010).

Ces approches combinées ont permis d’améliorer l’efficacité de la recherche d’enhancers chez l’ascidie, mais leur “rendement” n’a pour l’instant jamais dépassé les 45% (Tableau II.2). Le nombre croissant d’enhancers validés expérimentalement a permis de dégager certaines caractéristiques des enhancers d’ascidies, qui peuvent évoluer avec l’utilisation de nouvelles méthodes pour les identifier.

Méthodes et filtres Fragments testés Taille (kpb) Positifs Enhancers identifiés Références Clonage aléatoire 138 1,7 11 (8,0%) 5 (3,6%) (Harafuji et al., 2002) Clonage aléatoire + gènes Hox 222 ~3 29 (13,1%)