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Méthodes composées pour l’évaluation de la qualité sonore

2.3 Évaluation de la qualité sonore

2.3.2 Méthodes composées pour l’évaluation de la qualité sonore

La question qui se pose à présent est : « Quelle procédure expérimentale utiliser et comment as- socier la mesure de qualité obtenue à des descripteurs acoustiques ? » Pour le choix du type de test, tout dépend du contexte et des objectifs de l’expérience : grandeur à mesurer, nombre de stimuli,

durée admissible de l’expérience, etc. Bien souvent, dans un but de précision, plusieurs procédures expérimentales sont associées entre elles. C’est en ce sens que l’on parle ici de « méthode composée ». La première a alors comme objectif de définir les attributs perceptifs pertinents pour les sons consi- dérés. La seconde tente d’associer ces attributs à l’information recherchée.

On peut tout d’abord classer de nombreuses utilisations des différentiels sémantiques dans les méthodes composées. En effet, comme expliqué en section 2.1.1, cette méthode des différentiels sé- mantiques est souvent précédée d’une expérience de verbalisations libres afin de définir les échelles sémantiques à évaluer et qui représentent les attributs verbaux pertinents pour la perception. Par la suite, on conduit l’expérience de différentiels sémantiques en y associant également une échelle de qualité dont la dénomination varie d’une étude à l’autre (« gênant », « agréable », « désagréable », « plaisant », etc. . .). L’analyse par la technique PCA est alors appliquée à l’ensemble de ces échelles, échelle de qualité comprise, mais également à un ensemble de descripteurs acoustiques suscep- tibles d’être corrélés à certaines de ces échelles, et dont les expérimentateurs soupçonnent qu’ils ex- pliquent les jugements de qualité. Les composantes principales issues de cette analyse permettent donc d’identifier les attributs verbaux, ainsi que les descripteurs explicatifs, associés à la qualité so- nore. Toutefois, outre les inconvénients de la méthode des différentiels sémantiques, déjà évoqués en section 2.1.1 – nécessité de présupposer des attributs pertinents pour la perception des sons étu- diés, et utilisation d’un vocabulaire dont l’exhaustivité et l’univocité ne sont pas assurées –, on peut également objecter que ce type de méthodologie mélange échelles descriptives et caractérisation hé- donique (qualité sonore) d’une part, et évaluations perceptives et descripteurs du signal ou de la source sonores d’autre part. En effet, aucune distinction n’est faite entre ces échelles lors de l’Analyse en Composantes Principales, et elles sont considérées par l’algorithme comme des paramètres d’en- trée de même nature. De plus, les résultats issus d’une telle méthodologie sont plus d’ordre informel, et ne permettent pas toujours d’établir un indicateur numérique fiable de la qualité sonore.

Par ailleurs, l’utilisation des techniques psychoacoustiques classiques de mesure de qualité so- nore, évoquées en section 2.3.1, soulève les mêmes problèmes que dans le cas de l’étude du timbre. Par exemple, l’utilisation des procédures d’estimation de grandeur et d’évaluation absolue (qui se retrouve par ailleurs dans la méthode des différentiels sémantiques), voire d’évaluation comparée passent également par une explication verbale aux auditeurs de la tâche à effectuer, et notamment une définition précise et univoque de l’attribut du son qu’ils doivent évaluer. Or, comme expliqué en section 1.2.3, la définition du terme « qualité » peut varier d’une étude à l’autre en fonction de l’ob- jectif visé, et, de manière générale, échappe au consensus. De plus, on trouve dans la littérature de nombreux attributs perceptifs dont le lien avec la qualité perçue a été établi, bien souvent à l’aide de sons de laboratoire parfaitement maîtrisés mais non-représentatifs de l’ensemble des sons de l’en- vironnement. Rien ne garantit que les indicateurs de qualité établis pour des sons de laboratoire, souvent synthétiques, soient aussi performants pour expliquer les jugements pour les sons de l’en- vironnement. En effet, à trop limiter le nombre de paramètres acoustiques variant sur un corpus de sons synthétiques, on pose l’hypothèse que ces paramètres sont effectivement pertinents pour les jugements de qualité des auditeurs, et, dans le même temps, on incite involontairement les auditeurs à évaluer les sons sur les échelles perceptives correspondant à ces paramètres plutôt que sur celle de la qualité, ce qui ne permet pas de confirmer l’hypothèse posée.

Une autre approche a été développée afin de répondre à ces critiques en associant étude du timbre et étude des préférences. Elle a été souvent employée ces dernières années pour l’étude de la qualité sonore de produits industriels (Susini et McAdams [141, 104] sur les habitacles automobiles,

Susini et al. [143] sur les unités de climatisation, Parizet et al. [115] sur les claquements de portières automobiles, . . .). Cette technique est expliquée de manière plus générique par Susini et al. [142]. Son originalité provient de l’idée que l’étude de la qualité sonore passe par l’identification initiale des pa- ramètres pertinents pour la perception des sons considérés. En effet, si l’on cherche à identifier les paramètres acoustiques pertinents pour expliquer la qualité perçue, il paraît logique de les trouver parmi ceux permettant de les différencier, dans un espace de timbre en l’occurrence. Si un paramètre s’avère avoir peu d’importance pour les jugements de similarité, il ne peut, en toute logique, pas avoir plus d’importance pour les jugements de qualité. Ainsi, les procédures expérimentales adoptés sont : mesure de similarités (voir section 2.1) et comparaison par paire.

Dans une étude de la qualité sonore, il importe, afin de relier la mesure de qualité effectuée à la description physique du son, d’identifier un ensemble de descripteurs acoustiques permettant d’ex- pliquer les variations de qualité perçue. Or, les descripteurs existants ne manquent pas et la possibi- lité de tomber sur un descripteur corrélé de manière fortuite n’est pas négligeable. En d’autres termes, une bonne corrélation ne signifie pas nécessairement que le descripteur en question est un bon pré- dicteur de l’échelle mesurée, surtout si l’on a testé beaucoup de descripteurs – on peut facilement dépasser la centaine – sur un nombre faible de stimuli, souvent entre 10 et 20 pour une expérience de comparaison par paire. De plus, il est fort possible que l’échelle mesurée soit en théorie liée à plu- sieurs attributs perceptifs. En conséquence, la variance de l’échelle serait partiellement expliquée par chacun des descripteurs correspondant à ces attributs. Il est alors fort probable que le coefficient de corrélation de chaque descripteur ne soit pas significatif. Certaines méthodes statistiques, telle que la régression multilinéaire (voir section 2.3.3), permettent d’expliquer une variable dépendante (ici l’échelle mesurée) par un ensemble de variables indépendantes (ici les descripteurs). Toutefois, il est nécessaire de nouveau d’avoir au préalable identifié les quelques descripteurs pertinents (2 ou 3 tout au plus), compte tenu du nombre de combinaisons possibles de descripteurs.

Pour résumer, l’étude du timbre (expérience de mesure des similarités) permet d’obtenir l’es- pace perceptif des sons du corpus étudié, et donc les attributs qui émergent de leur perception, et l’étude des préférences (expérience de comparaison par paire) relie les attributs de cet espace à la qualité sonore. Le gros avantage de cette méthode est que les procédures expérimentales utilisées sont très peu « verbeuses » : les seules questions posées aux auditeurs sont aussi simples et neutres que « À quel point les deux sons sont-ils semblables ? » (pour l’étude du timbre) et « Quel son préférez- vous ? » (pour l’étude des préférences). Cette neutralité assure que les auditeurs ne seront pas influen- cés par la terminologie utilisée. De plus, les valeurs mesurées sont assez précises et la méthodologie est statistiquement valide, car on ne fait aucune hypothèse de départ sur les descripteurs audio asso- ciés à la qualité sonore.

En revanche, les deux procédures expérimentales utilisées présentent une certaine « lourdeur » de mise en œuvre pour deux raisons principales : d’une part, elles font intervenir des jugements par paire, ce qui rend les expériences à la fois longues et limitées en nombre de stimuli étudiés ; et d’autre part, cette simplicité/neutralité des questions posées rend ces procédures assez rébarbatives, ce qui peut entraîner un manque d’implication des auditeurs et indirectement allonger également la durée des expériences.

Enfin, une autre méthodologie provient, à l’origine, d’une technique souvent utilisée dans l’in- dustrie agro-alimentaire : l’analyse sensorielle [106]. Cette technique a depuis peu été transposée au domaine de l’évaluation de la qualité sonore, notamment dans le domaine de l’industrie automobile. Comme les méthodes précédemment évoquées, elle implique 1) une étape visant à fournir une des- cription de la perception d’un ensemble de produits : l’analyse descriptive aboutissant à un ensemble

de profils sensoriels ; et 2) une étape dont le but est d’évaluer les préférences des utilisateurs sur cet ensemble de produits : l’analyse hédonique. L’originalité de cette méthode réside dans les procédures expérimentales particulières pour chacune de ces deux étapes.

Pour l’étape d’analyse descriptive, l’hypothèse posée est qu’il est possible d’obtenir une mesure de sensation objective à partir d’un panel d’auditeurs pouvant être considéré dans son ensemble comme un instrument de mesure. Cette hypothèse nécessite de rejeter tout jugement de préférence ou d’ordre hédonique, souvent subjectif, et implique que les auditeurs concernés soient « experts », c’est-à-dire entraînés par une phase préliminaire d’apprentissage. Cette phase d’apprentissage a pour but d’entraîner les auditeurs à exprimer verbalement leurs sensations de manière claire, et à éven- tuellement prêter attention à certaines sensations dont ils ne sont pas conscients naturellement. En revanche, cette « expertise » des auditeurs permet de réduire le panel d’auditeurs entre 10 et 20 envi- ron pour obtenir les profils sensoriels.

Pour l’étape d’analyse hédonique, on s’intéresse cependant aux utilisateurs finaux. L’attitude vis- à-vis des auditeurs concernés est donc très différente. En effet, on préfère alors des auditeurs « naïfs », c’est-à-dire n’ayant pas bénéficié d’un apprentissage spécifique pour la tâche à accomplir. En consé- quence, le panel d’auditeurs doit être bien plus nombreux (un minimum de 60 auditeurs est requis) et être représentatif de la population visée. Par ailleurs, les auditeurs de la première phase ne peuvent participer à cette phase, puisque, ayant bénéficié de l’apprentissage, ils ne sont plus représentatifs des utilisateurs finaux. Les auditeurs sont interrogés cette fois-ci uniquement sur leurs préférences.

Les procédures correspondant à ces deux étapes sont régies par des règles standardisées pour la sélection et l’apprentissage des participants [7] et pour le traitement de l’analyse descriptive et l’éta- blissement des profils sensoriels [5]. Il existe en revanche peu de publications dans ce domaine, ce qui s’explique par l’orientation industrielle de l’application de cette méthode, et par les contraintes de confidentialité qui en découlent. On peut toutefois citer la thèse de Bézat [40] portant sur la per- ception des sons de claquement de portière automobile, la récente étude de Bergeron et al. [16] por- tant sur les sons émis par le roulement d’automobiles sur différents revêtements routiers, ou l’étude, plus ancienne, réalisée sur les sons d’unités de climatisation de Siekierski et al. [133], parallèlement à l’étude, évoquée précédemment, de ces mêmes sons par la méthode associant étude du timbre et étude des préférences de Susini et al. [143]. L’étude de Siekierski et al. a permis d’identifier un en- semble de 12 descripteurs verbaux permettant de décrire exhaustivement les profils sensoriels cor- respondant aux sons étudiés qu’ils ont reliés aux jugements de préférence par une analyse en compo- santes principales. Par la suite, comme elles portaient sur le même corpus de sons, les résultats obte- nus par les deux méthodes (analyse sensorielle [133], et étude du timbre et des préférences [143]) ont été comparés par Junker et al. [85]. Il est apparu que les résultats des deux études étaient similaires et que les deux méthodes étaient à peu près aussi efficaces. On constate tout de même que si la l’ana- lyse sensorielle donne des informations plus complètes que l’étude du timbre et des préférences, les résultats semblent en revanche plus difficiles à interpréter.

En résumé, on peut distinguer trois grands types de méthodologie de la l’étude de la qualité so- nore :

– une approche descriptive ou verbale, qui emploie souvent des procédures de verbalisations libres et de différentiels sémantiques, et des Analyses en Composantes Principales ;

– une approche comparative, qui emploie souvent des procédures de mesure de similarités et de comparaisons par paires, et des outils de MDS et de modélisation des préférences ;

– une approche d’analyse sensorielle, méthode intermédiaire des deux précédentes, de part le fait qu’elle fait intervenir des verbalisations mais dont la décomposition analyse descriptive /

analyse hédonique ressemble plus à celle de l’approche comparative.

Bien entendu, certaines approches peuvent diverger de ces trois méthodologies, notamment dans les procédures et analyses employées, mais celles-ci correspondent plus à des grandes lignes directrices pour l’étude de la qualité sonore.