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Chapitre 1 : État des lieux et problématique

1.2 Problématique, méthodes et sources

1.2.2 Méthode, principaux concepts et axes de recherche

Le fil conducteur de notre enquête est l’évolution de la culture politique des étudiants durant la période allant de la fin des années 1950 au seuil des années 1970. Par culture politique, nous entendons un ensemble « de savoirs, croyances et valeurs qui donnent sens à l’expérience routinière que les individus ont de leurs rapports au pouvoir qui les régit et aux groupes qui leur servent de référence identitaire »237. On pourrait aussi définir cet ensemble comme la portion politique du processus de socialisation des individus. Si la culture politique de chaque individu est partiellement différente de celle de son voisin, cela n’empêche pas que « ceux qui expérimentent des conditions concrètes d’existence analogues […] vont partager une culture commune. » Il s’ensuit que la situation partagée des cohortes successives d’étudiants leur forge une certaine culture politique commune – ou un ethos.

Or, la situation des étudiants change évidemment dans le temps; leur culture politique évolue en conséquence. Pour paraphraser Bourdieu, on parlera alors d’ethos générationnel. En suivant l’évolution de la culture politique des cohortes d’étudiants à l’Université de Moncton entre 1955 et 1972, on cherchera à discerner les changements significatifs qui surviennent à ce niveau durant la période. À quel(s) moment(s) se produisent-ils, combien de fois? À partir de nos observations, nous avons divisé nos étudiants en cohortes distinctes, chacune représentant une génération dans le sens sociologique ou historique (plutôt que démographique) du terme238. De fait, les historiens qui théorisent sur ce sujet

définissent généralement une génération comme étant « an age group shaped by history »239 ou par un « social moment »240.

Pour chacune de ces cohortes étudiantes, nous nous proposons de dresser un portrait de ce que j’appellerai le « leadership » étudiant. Ces cohortes incluent évidemment les membres des associations étudiantes officielles (du campus et des facultés et écoles) et ceux du comité de rédaction des journaux, mais ne s’y limitent pas. Les activités sur le campus seront scrutées à la loupe; tout individu qui montre un engagement politique, para-politique et culturel – par l’organisation d’activités, de clubs, de manifestations, etc. – sera inclus dans la cohorte. On ne prétend pas être en mesure de dresser un portrait complet de la culture politique de l’ensemble des étudiants, mais bien d’une minorité agissante qui a des effets sur l’ensemble du groupe.

C’est à partir des opinions, des actions et des comportements de ces leaders que nous tenterons de dresser les contours de leur culture politique

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Il est intéressant de noter que durant la phase formative (1957-1963), ce sont des jeunes pré- boomers qui fréquentent l’Université, pendant que durant le premier mouvement étudiant, né avec la phase libérale (1964-1967), ce sont des boomers qui fréquentent l’Université.

239 Anthony Esler, Generations in History : An introduction to the concept, Anthony Esler,1982,

p.44

240 Owram, Born at the Right Time …, p.159. C’est aussi pour cette raison que François Ricard,

quand il parle de sa « génération lyrique », se réfère uniquement à « l’oeuvre des premiers nés du baby-boom » (La génération lyrique…).

commune pour chacune des périodes. Nous avons soumis tous les textes à notre disposition à une analyse de contenu. Ces analyses sont notre source première d’information. Les actions des étudiants ainsi que les réactions du milieu (de l’administration universitaire, de l’administration municipale, des quotidiens francophone et anglophones et du gouvernement provincial) aideront aussi à comprendre en quoi les multiples discours étudiants diffèrent les uns des autres et quelles influences ils ont sur les sociétés civiles francophone et anglophone du Nouveau-Brunswick.

Quatre axes de recherche, distincts mais reliés, ont été identifiés pour analyser le corpus.

L’identité de l’étudiant. Quelle image projette-t-on de l’étudiant? Quels sont ses attributs souhaités? Quels rôles joue-t-il dans la société? Quels buts devrait-il viser? À quel(s) groupe(s) social(aux) appartient-il? À qui rend-il des comptes? Et surtout, cette image de l’étudiant change-t-elle au cours de la période choisie? Nous avons analysé le vocabulaire utilisé par les étudiants, ainsi que la façon dont celui-ci change avec le temps, surtout en ce qui a trait aux questions d’identité collective. Quand on dit « nous », on le dit avec quels mots? Quel ensemble de personnes le terme désigne-il? Par ailleurs, quelles choses condamne-t-on le plus souvent au nom de ce « nous »?

Les valeurs politiques. Quelles sont les valeurs politiques des étudiants et comment changent-elles? Comment conçoivent-ils l’individu et la collectivité, les sources de l’autorité légitime et celles de la vérité (savoir traditionnel versus pensée rationnelle), les droits et les devoirs? Quel est leur degré d’ouverture ou de fermeture à l’extérieur? Que considèrent-ils comme des modes acceptables de participation et de stratégie politiques? Tels sont des thèmes qui seront abordés dans cet axe.

Les pratiques politiques. Cet axe relie le deuxième au quatrième. Comment et par quels moyens les étudiants extériorisent-ils leurs valeurs et leurs idéologies politiques? Comment s’expriment-ils? À qui s’adressent-ils? Quels médiums utilisent-ils à ces fins? S’expriment-ils en privé ou en public? Essaient- ils de convaincre uniquement par les paroles ou avec l’action? Comment les autres acteurs sociaux réagissent-ils à ces pratiques étudiantes?

Les idéologies politiques. Cet axe se centre plus sur le rapport des étudiants avec les discours politiques présents dans leur environnement. Ces rapports (qui peuvent aller de l’adhésion exclusive au rejet total) sont normalement exprimés de façon plus explicite que les valeurs politiques, dont plusieurs aspects demeurent dans le non-dit ou sont exprimés sous le mode de l’évidence. Par cet axe, on essaiera de décrire les rapports des différents groupes d’étudiants avec plusieurs courants idéologiques : traditionalisme, conservatisme, libéralisme, socialisme, communisme, anarchisme, féminisme, les divers types d’autonomisme, etc. Quelles positions retrouve-t-on sur le campus? Lesquelles semblent être dominantes? Avec quels groupes extérieurs partage-t-on ces courants idéologiques?