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B. Les méthodes qui permettent d’atteindre cet objectif

1. La méthode naturelle

La méthode naturelle est présentée comme centrale dans la pédagogie de Freinet, et comme organisant « la rencontre des processus individuels dans le contexte social et politique de la coopération »98.

L’ennui à l’école a pour conséquence la mise en place de la discipline, de la sanction ce qui engendre l’inégalité face à l’apprentissage menant parfois à l’échec scolaire. Freinet explique que ces certains élèves « ne s’ennuient pas parce qu’ils doivent travailler, c’est au contraire parce qu’ils ne travaillent pas qu’ils s’ennuient »99. Le travail ne doit pas être perçu comme forcé, aliéné, mais comme création et développement de soi et de ses désirs, ainsi le travail devient plaisir. Le projet de Freinet est avant tout philosophique : le travail devient une réalisation du principe de vie, une réalisation de soi. L’être vivant, en grandissant, ne cesse de rechercher et de créer. Cette puissance de vie est liée au potentiel qui est différent pour chacun. Lorsqu’un enfant propose une de ses créations et qu’il est applaudi, il ressent un « sentiment de jubilation »100 qui augmente sa puissance de vie, sa puissance créatrice et donc son désir de créer à nouveau, donc de travailler d’autant plus. La méthode naturelle passe donc par la création : il est nécessaire pour une personne qui apprend à lire et à écrire de faire

98 Nicolas GO, « La Méthode Naturelle de Freinet », Principes pédagogiques, Laboratoire de Recherche Coopératives de l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne, 2009, p. 28.

99 Ibid, p. 29. 100 Ibid.

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des créations écrites très rapidement. Elle a pour but de toujours augmenter cette puissance, ce désir de création chez chacun de ses élèves.

Cette augmentation du désir passe par la coopération car c’est par elle que s’amplifie le désir d’apprendre des deux personnes qui coopèrent. Il ne s’agit pas d’une relation de pouvoir car il y a pouvoir quand l’augmentation du désir et de la puissance de vie de l’un provient de la diminution du désir et de la puissance de vie de l’autre. Dans le cadre de la coopération cette augmentation chez l’un entraîne cette même augmentation chez l’autre.

La coopération permet aussi l’apprentissage par l’imitation qui est un phénomène naturel, l’individu ayant besoin d’accorder ses gestes, ses comportements à ceux de son entourage : l’imitation est un phénomène social. En reproduisant ce que ses camarades font, l’enfant comprend et intègre l’objet dans son intégralité et dans sa complexité. L’imitation comme coopération est ce qui permet de s’approprier l’intégralité de cet objet d’apprentissage, contrairement à l’imitation dans une situation de pouvoir et de domination lorsque l’enfant prend la place du dominé et qu’il recopie sans s’approprier ce que l’enseignant, en situation de dominant, lui inculque.

La méthode naturelle est donc une démarche expérimentale :

La méthode naturelle crée un tel milieu complexe où prolifèrent les évènements, les puissances, les intensités, sous l’effet de leur activité créatrice et coopérative. […] Il n’y a pas de leçons programmées ni de progressions contrôlées : il y a une prolifération d’évènements dans l’incertitude, organisés par le travail en coopération, où s’effectuent et se rencontrent des puissances à l’œuvre101.

La méthode naturelle rompt avec les méthodes éducatives traditionnelles que l’on peut définir comme scolastiques, c’est-à-dire que l’on doit passer par la théorie et la maîtriser avant de pouvoir passer à la pratique. Par exemple, il s’agit d’apprendre « les lois du langage et de l’écriture avant de prétendre parler et écrire »102.

Les éducateurs n’ont aucune sagesse. Il leur serait pourtant si simple de s’imprégner de la confiance des mamans qui ne désespèrent jamais si leur enfant tarde à parler… Il n’en sera peut-être que plus intelligent. Mais il apprendra à parler comme tout le monde. Pourquoi n’apprendrait-il pas à parler ? Et tous les enfants apprennent à parler, alors qu’ils n’apprennent pas tous à lire par les méthodes arbitraires habituelles103.

101 Ibid, p. 31. 102 Ibid, p. 30.

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La méthode naturelle permet la pratique avant la théorie, la pratique comme expérimentation, et donc d’une certaine manière, la pratique fait elle-même office de théorie. L’apprentissage ne se fait donc plus à partir du programme de l’enseignant mais à partir des propositions des élèves qui deviennent alors « auteurs de leurs propres tâches et co-auteurs de la vie sociale dans la coopération »104. L’enfant parle pour se faire comprendre et écoute pour comprendre, non pour l’amour du langage lui-même. Pouvoir communiquer est ce qui augmente sa puissance de vie, ce qui lui donne le désir d’approfondir le langage en apprenant à lire et à écrire pour avoir encore plus d’opportunités de communiquer.

L’expérimentation consiste à essayer plusieurs possibilités au hasard, de répéter celles qui fonctionnent. Ces possibilités qui fonctionnent deviennent alors des habitudes, des automatismes. L’expérimentation est un tâtonnement. Il faut donc supprimer les itinéraires conçus par l’école traditionnelle qui n’ont pas de sens pour l’individu en cours d’apprentissage.

Le processus de tâtonnement […] rassemble aussi bien la manière dont l’eau de pluie se fraie un chemin pour s’écouler au sol, que celles dont les bêtes choisissent la meilleure nourriture, dont les enfants apprennent, dont les mères éduquent, dont les scientifiques font des recherches et des découvertes… C’est dire « naturel » non pas simplement parce que ça a lieu dans la nature, ou selon la nature, mais parce que ça se fait ainsi partout et tout le temps (sauf scolastique, scientisme, mécanisme, exploitation)105.

La méthode est dite naturelle par opposition à artificielle : le processus de tâtonnement est un processus naturel et universel. Dans ce sens, il est évident qu’il est la meilleure méthode d’apprentissage ayant pour objectif l’émancipation de l’apprenant.