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2.6) Méthode de conception mécaniste-empirique

2.6.1) Principe

Une approche empirique de conception est avant tout expérimentale. Il s’agit d’observer et de mesurer la réponse de plusieurs structures pour différentes conditions climatiques et de trafic, et ce à long terme. Les méthodes empiriques sont actuellement les procédures les plus utilisées pour la conception des chaussées. Elles sont cependant basées sur des expériences passées très spécifiques et ne s’appliquent pas forcément pour toutes les conditions. Par une volonté d’améliorer la rigueur dans la conception des chaussées, les méthodes dites mécanistes- empiriques tendent à devenir la pratique recommandée de nos jours dans le sens où ce sont des méthodes plus « universelles », c’est-à-dire applicables et adaptables à un grand nombre de situations.

La démarche mécaniste-empirique associe des modèles de comportement analytiques à l’expérimentation. Cette approche consiste, d’un côté, à mener des essais concrets pour des sols bien définis afin de mesurer leur performance réelle. D’un autre côté, elle consiste à élaborer en parallèle un modèle mathématique qui permettra de calculer la réponse des chaussées sous charge et d’obtenir un critère général de conception pouvant être mis en lien avec les mesures expérimentales. L’expérimentation permet de caler le modèle mécaniste sur les conditions réelles, car le volet analytique repose habituellement sur plusieurs hypothèses simplificatrices. Les sections suivantes présentent un code de calcul pour la détermination des contraintes et des déformations dans une structure de chaussée qui subit un chargement. Des modèles empiriques d’évolution de la déformation permanente des matériaux granulaires de chaussées sont également présentés. Enfin, un exemple de méthode mécaniste empirique pour la conception des routes à faible volume est décrit.

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2.6.2) Calcul des contraintes et des déformations 2.6.2.1) Modèle de Boussinesq :

En 1885, Boussinesq propose un modèle pour le calcul de la distribution des contraintes et déformations dans un massif uniforme sous une charge ponctuelle ou distribuée sous une plaque souple.

Ce modèle permet de calculer la contrainte axiale σz (équation (12)), la contrainte radiale σr (équation (13)), la déformation axiale εz (équation (14)) et la déformation radiale εr (équation (15)) en fonction de la charge appliquée en surface σ0, du module d’Young E, du coefficient de poisson μ, du rayon de la plaque de chargement a et de la profondeur z. (Équations tirées de Doré, 2015) σz= σ0(1 − z3 (a2+ z2)1,5) (12) σr= σ0 2 [(1 + 2μ) − 2(1 + μ)z (a2+ z2)0,5+ z3 (a2+ z2)1,5] (13) ϵz =(1 + μ)σ0 E [(1 − 2μ) + 2μz (a2+ z2)0,5− z3 (a2+ z2)1,5] (14) ϵr=(1 + μ)σ0 2E [(1 − 2μ) − 2(1 − μ)z (a2+ z2)0,5+ z3 (a2+ z2)1,5] (15)

Ces équations s’appliquent pour un massif de sol homogène, isotrope et présentant un comportement élastique linéaire. Ces hypothèses sont simplificatrices et ont leurs limites dans le sens où un sol granulaire est hétérogène et anisotrope (variation des tailles et des géométries des particules). Dans le cadre d’une analyse mécaniste-empirique, on peut faire ces hypothèses à condition de mener en parallèle une expérimentation afin de caler le modèle sur la réalité. Cependant, les équations de Boussinesq ne sont pas suffisantes car une chaussée comporte typiquement plusieurs couches avec des modules différents. Il convient alors d’introduire le modèle d’Odemark permettant de transformer un système multicouches en massif de Boussinesq par la méthode des épaisseurs équivalentes.

2.6.2.2) Principe des hauteurs équivalentes d’Odemark :

La méthode des hauteurs équivalentes a été proposée par Odemark. Le principe de la méthode consiste à transformer un système de plusieurs couches avec des modules différents en un système équivalent homogène où toutes les couches ont le même module et ainsi pouvoir appliquer la théorie de Boussinesq au système. Notons que cette méthode ne peut être appliquée que pour un système dans lequel les modules sont décroissants avec la profondeur. De plus, l’épaisseur des couches doit être au moins égale au rayon de la plaque de chargement.

Considérons une couche de hauteur h1, de module d’Young E1 et de coefficient de poisson μ1 placée sur une couche de module d’Young E2 et de coefficient de poisson μ2. La transformation d’Odemark consiste à transformer la première couche en une couche d’hauteur équivalente he, de module d’Young E2 et de coefficient de poisson μ2 (Figure 23).

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Figure 23 : Transformation d’Odemark (Doré, 2015)

Cette transformation doit permettre de conserver la rigidité de la couche, à savoir l’équation (16) :

I × E

1 + μ²= cste (16)

Avec 𝐼 =𝑏×ℎ3

12 .

On obtient donc l’équation (17) :

he3× E2

1 − μ2² =

h13× E1

1 − μ1²

(17)

Cela permet de calculer la hauteur équivalente, en considérant un facteur de correction f (équation (18)) : he = f. h1[ E1 E2× 1 − μ22 1 − μ12] 1 3 (18)

Avec : f = 0,9 pour un système bicouche 0,8 pour un système multicouche

1,0 pour la première interface d’un multicouche 1,1 pour la première interface si r>h

(Équations tirées de Doré, 2015).

2.6.3) Modèles mathématiques de déformation permanente des matériaux granulaires

Il existe dans la littérature plusieurs relations mathématiques pour prédire le comportement en déformation permanente des matériaux granulaires utilisés dans les chaussées flexibles. Ces relations peuvent également s’appliquer aux chaussées non revêtues, les paramètres des modèles n’ayant dans ce cas-là pas les mêmes valeurs que pour les chaussées revêtues. Ces modèles décrivent l’accumulation de déformation permanente en fonction du nombre d’applications de charges. Les principaux modèles développés jusqu’à présent sont présentés au Tableau 5.

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Tableau 5 : Modèles mathématiques de déformation permanente (Lekarp et al., 2000b)

Auteur Modèle Équation

Barksdale (1972) ϵp= a + b × 𝑙𝑜𝑔 (N) (19) Veverka (1979) ϵp= aϵrNb (20) Khedr (1985) ϵp N = aN−b (21) Paute (1988) ϵp= a√N √N + b (22) Sweere (1990) ϵp= aNb (23)

Wolff et Visser (1994) ϵp= (cN + a)(1 − e−bN) (24)

Paute (1996) ϵp= a(1 − ( N 100) −b ) (25) Dresden (1997) ϵp= a ( N 1000) b + c(ed( N100)− 1) (26)

ɛp : Déformation permanente ɛr : Déformation réversible N : Nombre d’applications de charges

a, b, c, d : Paramètres du modèle

Barksdale (1972) a étudié le comportement des matériaux granulaires en conditions triaxiales et a remarqué que la déformation permanente était fonction du logarithme du nombre d’applications de charges (équation (19)). Une étude entreprise par Veverka (1979) permet de relier la déformation plastique à la déformation réversible (équation (20)). C’est cependant la seule étude permettant de trouver une corrélation entre ces deux paramètres, les autres études démontrant que la déformation permanente n’est fonction que du nombre d’applications de charges.

Sweere (1990) est le premier à dépasser 1 000 000 d’applications de charges en conditions triaxiales (Barksdale s’était contenté de 100 000 applications) et il a montré que la relation entre la déformation permanente et le nombre d’applications de charges serait plutôt de type log-log (équation (23)). Cette relation est d’autant plus pertinente qu’elle apparaît également dans la modélisation de Dresden (1997).

Le modèle de Dresden (équation (26)) comporte un premier terme de type log-log provenant directement du modèle de Sweere et un second terme exponentiel correspondant à la phase de rupture. Le paramètre a correspond à l’accumulation de déformation permanente obtenue après 1000 cycles de chargement, le b correspond au taux de déformation permanente à long terme, tandis que c et d sont les paramètres de rupture.

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2.6.4) Exemple de méthode mécaniste-empirique

L’article « Mechanistic-empirical approach for design of low volume pavements » parut dans l’International Journal of Pavement Engineering (Gupta et al., 2014) décrit une approche de conception mécaniste-empirique des routes à faible volume. Les auteurs ont effectué en parallèle l’instrumentation de chaussées et une analyse par éléments finis avec le logiciel ANSYS.

Les tests expérimentaux, sur 20 sections de chaussées pendant 4 ans, ont consisté en des mesures de déflexion, DCP, d’orniérage et de rugosité.

Le modèle éléments finis a été élaboré pour déterminer la déformation plastique qui apparait sous forme d’orniérage (modèle élastoplastique non linéaire). Le but étant de développer un critère de performance reliant le nombre d’applications de charges à l’orniérage.

C’est le modèle k-θ qui a été choisi pour exprimer le Module Réversible en fonction de la contrainte totale dans la couche granulaire (Équation (27)) :

MR(MPa) = 3,47. θ0,7375 (27)

Avec θ en kPa.

Une macro itérative a été créée, les propriétés des matériaux changent à chaque itération, en rapport à l’état de contrainte de chaque élément, jusqu’à arriver au critère de convergence utilisé par Sahoo et Reddy (2010) présenté à l’Équation (28) :

∑N |Enewi− Eoldi|

i=1

∑Ni=1Eoldi

× 100 ≤ 5 (28)

Avec : N = nombre d’éléments de la couche

Enewi = Module de l’élément i pour l’itération

Eoldi = Module de l’élément i pour l’itération précédente

Pour le sol d’infrastructure, le modèle utilisé est présenté à l’Équation (29) :

MR(MPa) = 300. σd−0,5 (29)

Avec σd la contrainte déviatorique en kPa.

La macro utilise le même critère de convergence que précédemment. L’approche mécaniste-empirique consiste en deux points :

_Calcul de la réponse des matériaux aux charges appliquées. _Prédiction de la performance en considérant ces réponses.

La profondeur maximale d’ornière admissible est fixée à 25mm. Le critère mécaniste à établir est l’estimation du nombre de répétitions de charges d’essieu simple pour atteindre une telle ornière.

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L’étude permet l’obtention du critère suivant (équation (30)) :

ϵz= 0,0058. N−0,171 (30)

Avec : εz = déformation verticale sur le sol d’infrastructure induite par un passage de roue N= nombre de répétitions de charges (ÉCAS) amenant à l’ornière de 25mm.

Les auteurs comparent leur critère avec les travaux de Shell (1978), TRRL (1987), Theyse et al. (1996), Austroads (2004) et Sahoo (2009). La comparaison est illustrée en Figure 24. Ces travaux sont relatifs aux routes à faibles volume de circulation, pavées ou non.

Figure 24 : Comparaison entre différents critères d’endommagement des routes à faible volume (Gupta et al, 2014)

Ainsi, la démarche de conception est la suivante : Le nombre de cycles que doit subir la chaussée est initialement connu, la déformation verticale limite sur le sol d’infrastructure est donc déduite avec l’équation précédente. Il s’agit ensuite de regarder quelle épaisseur minimale de couche granulaire permet d’atteindre cette déformation verticale (avec le modèle éléments finis).

La Figure 25 montre les courbes de conception obtenues en appliquant le critère pour des pneus de pression 0,56MPa appliquant chacun une force de 20kN sur la chaussée, une couche granulaire de Module d’Young 250MPa et de coefficient de Poisson 0,35 et un sol d’infrastructure de coefficient de Poisson 0,45.

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Figure 25 : Courbes de conception, critère mécaniste-empirique de A. Gupta et al. (2014)