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La valeur d’une forêt

En 2004, une étude intitulée "Forêt et société", réalisée par l'ONF et l'université de

Caen/LASMAS (Dobré et al. 2006) révélait que la protection de l'air, de la forêt et du sol par

la forêt serait considérée comme une fonction prioritaire pour les Français, loin devant la

production de bois, l'activité économique et l'emploi (83% contre 27%). Quelques années

auparavant, Xu et al. en 1997 et Schaberg et al. en 1999 obtenaient les mêmes résultats aux

Etats-Unis.

L'existence des biens et services non marchands fournis par la forêt semble donc être

reconnue et incontestée ; cependant il reste difficile de quantifier leur valeur en termes

monétaires. Ces biens et services sont nombreux, et, faute de marchés, leur action est le plus

souvent difficile à isoler et à estimer. La forêt a notamment une influence sur la production

d'eau (en qualité et en quantité), la qualité de l'air, la stabilisation des sols et le contrôle de

l'érosion, mais aussi sur la régulation du climat et la séquestration du CO2, le maintien de la

biodiversité et la production de produits non-bois (champignons, produits

pharmaceutiques…). Enfin, il ne faut pas oublier qu'elle possède également des valeurs

récréationnelles, touristiques et culturelles.

Il est indispensable de chiffrer la valeur de ces biens et services : d'aucuns soutiennent

à l'inverse que les écosystèmes et les espèces ont un droit inhérent à exister indépendamment

de l'usage qu'en a l'humanité, et que chercher à leur donner un prix est une démarche sans

fondement (Goulder et Kennedy, 1997). On peut leur opposer qu'une telle position conduira

inévitablement à l'exploitation irraisonnée et finalement à la disparition de ces espèces et de

ces écosystèmes : c'est d'ailleurs souvent quand les biens environnementaux disparaissent que

l'on s'aperçoit qu'ils avaient une valeur. Il est intéressant également de constater que le

bénéfice issu par exemple du défrichement d'une parcelle de forêt va à quelques individus,

alors que les conséquences de ce défrichement (perte de biodiversité, inondation, impact

esthétique…) sont supportées par une communauté beaucoup plus vaste.

Les économistes en général et les économistes de l'environnement en particulier ont

donc développé plusieurs méthodes pour tenter d'estimer la valeur des biens et services

produits par un écosystème.

La méthode des dépenses de protection

Les méthodes d'évaluation sont généralement classées en deux catégories. On trouve

d'une part les méthodes indirectes, souvent fondées sur l'observation de comportements, et

d'autre part une méthode directe, consistant à interroger les individus sur leurs préférences,

formalisées par leur consentement à payer ou à recevoir (Bontems et Rotillon, 2003). La

méthode des dépenses de protection appartient au premier groupe.

Le principe en est simple : sont considérées comme dépenses de protection les

dépenses engagées pour contrer les effets néfastes de la pollution. Le rapport des Nations

Unies (UN 1993) donne une définition un peu plus précise, selon laquelle les dépenses de

protection sont "les coûts réels de protection environnementale engagés pour prévenir ou

neutraliser une baisse de la qualité environnementale, de même que les dépenses

effectivement réalisées pour compenser ou réparer les impacts négatifs d'un environnement

réellement dégradé". Cette méthode est généralement appliquée aux ménages, et l'achat d'eau

en bouteille, la réalisation de travaux d'isolation phonique ou encore la consommation

préventive de médicaments constituent des exemples d'application classique.

Des critères plus fins ont été définis par Jerret en 1996 (Jerret 1996a). Selon lui, pour

qu'une dépense soit de protection, elle doit satisfaire à au moins quatre critères sur les sept

proposés :

1. la dépense doit être évitable (les dépenses engagées pour se prémunir de la faim ou

du froid sont donc exclues)

2. les dépenses sont réduites à celles faites pour défendre l'environnement, lequel est

défini par l'air, la terre, les bâtiments, et les autres capitaux attachés à la terre, l'eau

aussi bien que les plantes, la vie animale, humaine y compris, et toute relation

entre deux ou plus de ces éléments

3. les dépenses doivent êtres liées aux dégradations environnementales causées par

ou raisonnablement imputées aux activités humaines

4. ces dépenses incluent celles faites par tous les acteurs

5. le but premier de ces dépenses doit avoir été la protection de l'environnement

6. le but actuel de ces dépenses doit être la protection de l'environnement

7. le résultat de ces dépenses doit être la protection de l'environnement.

Le boisement d'un périmètre de protection de captage répond a minima aux critères 1., 2., 3.,

5. et 7. En effet :

1. ces travaux ne sont pas inéluctables, puisque des solutions alternatives comme

l'approvisionnement sur une autre ressource ou la construction d'une usine de

traitement sont envisageables.

2. L'environnement à préserver correspond ici à la santé humaine.

3. L'approvisionnement en eau potable est mis en péril par une pollution d'origine

humaine, pour cette étude le plus souvent par des nitrates issus de l'agriculture.

5. Le but premier du boisement est principalement la préservation de la santé humaine

via la qualité de l'eau, même si d'autres intérêts comme l'accueil du public ou la

production de bois ont pu venir s'ajouter.

7. Enfin, le résultat est bien celui attendu puisque, sauf contexte hydrogéologique

particulier, la suppression ou l'évitement d'une source de pollution sur le périmètre de

captage conduit à une stabilisation voire à une baisse des polluants.

La méthode des dépenses de protection peut donc être légitimement appliquée au

boisement de périmètres de protection de captage. Le fait que l'entité considérée soit le

service d'eau et non les ménages n'est pas un problème : raisonnement et démarche restent

identiques (Jerret 1996 b).

Le prix du service rendu par la forêt pour la production d'eau potable peut donc être

approximé par la somme que les services d'eau ont consenti à payer pour disposer de ce

boisement. Il faut cependant tenir compte de certains biais inhérents à la méthode. Tout

d'abord, comme le font remarquer Desaigues et Point (1993), "l'observation d'une diminution

de ces dépenses de protection ne peut être considérée comme une mesure correcte d'une

amélioration de la qualité de l'environnement" – cette diminution peut en effet découler de la

baisse de revenu du sujet ou d'une importance moindre accordée à ce paramètre. Ensuite et

surtout, la comptabilisation de ces dépenses ne permet d'avoir accès qu'au consentement à

payer minimal du sujet (Courant et Porter, 1981). De fait, si seule la méthode curative,

souvent plus chère que la préventive, était disponible, les fonds nécessaires à sa mise en

œuvre seraient débloqués. Enfin, la somme dépensée par le sujet correspond à un bien, mais

dont les multiples services ne sont pas pris en compte : par exemple, comparer le coût de

construction d'une usine et celui d'un boisement ne permet pas de prendre en compte la valeur

de ce dernier comme espace de loisirs ou son rôle dans la limitation de l'érosion des sols.

Cependant, évaluer un bien environnemental n'est pas une fin en soi, et un des

principaux intérêts de cette évaluation est la prise en compte de l'environnement dans les

décisions publiques (Bontems et Rotillon, 2003). Estimer la valeur des dépenses de protection

relatives à un problème donné permet aux décideurs de comparer les coûts de différentes

stratégies environnementales (Carlinet al. 1992) (cf. encadré 4).

Encadré 4: Boisement ou traitement : le choix de quatre villes américaines

Le bassin versant de Catskill (24 000 hectares) permet d'alimenter en eau potable

environ huit millions de New Yorkais. A la fin des années 1990, l'Etat de New York et le

gouvernement fédéral ont attribué 1,4 milliards de dollars à la protection de la qualité de l'eau

dans le bassin versant. Ce faisant, ils ont évité la construction d'usines de filtration estimée de

4 à 6 milliards de dollars, ainsi que les coûts de fonctionnement associés, chiffrés à 300

millions par an.

L'état du New Jersey a quant à lui préféré consacrer 55 millions de dollars dans la

protection du bassin versant de la forêt de Sterling plutôt que de dépenser 160 millions (coût

estimés) en opération de filtration.

La ville de Portland, dans l'Oregon, dépense chaque année environ 920 000 dollars

pour protéger le bassin versant de Bull Run, mais évite ce faisant les 200 millions que

coûterait la construction d'une usine de filtration.

Enfin, Portland, dans le Maine, consacre annuellement 729 000 dollars à la protection

du bassin versant qui l'alimente, rendant inutile la dépense de 25 millions de dollars pour la

construction d'une usine, et celle des 750 000 dollars nécessaires à son fonctionnement.

Source : Douglas J. Krieger, Ph.D.

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