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Je souhaiterais par ailleurs poursuivre ma réflexion sur la circulation et l’ancrage territorial des mémoires douloureuses. En Europe et dans le monde, les violences de masse et les génocides ont constitué une caractéristique imposante du vingtième siècle. Si ces thématiques sont amplement travaillées par l’histoire, l’anthropologie, la sociologie ou la psychologie, elles font très rarement l’objet d’analyses spatiales. Pourtant, le travail mené sur les musées et mémoriaux urbains consacrés à la Shoah a montré combien la dimension géographique, à différentes échelles, reste incontournable pour comprendre le présent de ces passés. Où et comment ces mémoires sont-elles commémorées ? À quels endroits précisément ? Sur les lieux des crimes ou dans des mémoriaux urbains ? Sous la pression de quels jeux d’acteurs ? Les diasporas ont-elles joué, jouent-elles encore un rôle dans le fonctionnement de ces musées/mémoriaux ? S’appuient-ils, ou créent-ils, des mythologies nationales ? Sont-ils fondateurs d’idéologies ? S’inscrivent-ils dans le débat politique contemporain et les grandes questions de relations internationales ? Réservent-ils une place aux autres génocides ? Lesquels et pourquoi ? Se projettent-ils dans l’avenir ? Oeuvrent-ils dans le sens d’un appel à la paix ? Ces mémoires sont-elles instrumentalisées et à quelles fins ? Comment les cheminements à l’intérieur des musées sont-ils organisés ? Qui visite ces lieux ? Que sont devenus les anciens quartiers et lieux de vie habités par les populations juives avant la Shoah ?

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L’analyse des résultats du premier tour des élections présidentielles du 22 avril 2012 est fort intéressante. Si l’on excepte Alès et Pézenas, qui classent les trois premiers candidats selon le même ordre que les résultats nationaux (bien que dans les deux cas Marine Le Pen fasse une score supérieur à la moyenne nationale : respectivement 20,90% et 19,93%) les autres communes offrent toutes des résultats différents. Saint-Hippolyte-du-Fort, qui a vécu depuis l’après-guerre jusque dans les années 2000 au rythme de l’entreprise familiale de la chaussure professionnelle de sécurité Jallatte (900 emplois), et qui a contribué, grâce à elle, à la prospérité de la région, place Marine Le Pen en première position, avec 26,26% des voix. Dans les années 2000, la délocalisation et la fermeture des entreprises voisines, Well ou Éminence, ont passablement contribué à la mise en place de profondes modifications sociales, économiques, culturelles et sociétales. À Lodève et à Clermont-l’Hérault, Marine Le Pen arrive en seconde position derrière François Hollande, tandis qu’à Bédarieux et au Vigan, c’est Jean-Luc Mélenchon le « deuxième homme ».

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Ces questionnements seront en partie repris pour aborder prochainement deux autres thématiques concernant les mémoires douloureuses : celles du 11 septembre et celles des crimes du régime Khmer rouge.

• Celle du 11 Septembre tout d’abord. Depuis les attentats, à l’occasion de mon travail de terrain portant, entre autre, sur le musée juif de New York, je me suis rendue à plusieurs reprises sur le site de Ground Zero. J’ai pu mesurer l’avancée des travaux, mais aussi des réflexions sur ce qu’il convenait ou pas de commémorer. J’ai alors été frappée par la ressemblance avec les questionnements que pose la mémoire de la Shoah, et par la rhétorique que ce « nouveau culte » emprunte à celui des victimes de l’Holocaust. Un vocabulaire identique se trouve mobilisé, mais cette fois-ci les victimes sont de confessions variées. D’ailleurs, en attendant que le musée soit terminé, c’est à l’intérieur de la Chapelle Saint-Paul que différents artefacts se trouvent exposés. Les pompiers représentent indubitablement les héros150 de cette tragédie. Exténués, c’est ici qu’ils venaient se reposer151, et éventuellement prier. Certains se sont même assis sur le banc de prière de George Washington152, le temps que des bénévoles les soignent, notamment au niveau des pieds, comme le précise une annotation écrite à l’endroit des touristes. Elle précise à cet égard qu’il ne s’agissait pas là d’actes sacrilèges, car les soldats de Washington Valley Forge, n’ayant pas de chaussures à l’époque, avaient semblablement souffert des pieds. Comme à Yad Vashem le jour de Yom

HaShoah153, la cérémonie de commémoration du 11 septembre 2011 a été marquée par la lecture des noms des victimes, prononcée par de nombreuses personnes. Aux abords du chantier, des témoins de l’événement racontent leur histoire et font visiter le quartier. Daniel Libeskind, architecte notamment des musées juifs de Berlin et de San Francisco, a été retenu, en raison de ses compétences en architecture « mémorielle », pour la reconstruction du World Trade Center. Il s’agira donc de suivre l’édification des différentes structures commémoratives et de les analyser, à différents niveaux scalaires, selon une méthodologie identique à celle employée dans le cadre du volume inédit de cette Habilitation à Diriger des Recherches.

• Celle des crimes du régime Khmer rouge ensuite. J’envisage également de m’intéresser à cette nouvelle catégorie de mémoire douloureuse. Pour l’instant, il s’agit d’un projet ; un long travail bibliographique m’attend, avant d’entreprendre les premières """"""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""

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Même s’ils sont aussi des victimes. 151

Un lit exposé en témoigne. 152

George Washington s’y asseyait, lorsque New York était la capitale des États-Unis. 153

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approches sur le terrain. La dimension anti-urbaine, et spatiale, durant ces années particulièrement sombres, a sans conteste été fondamentale. Durant quelques temps, une carte du Cambodge, réalisée à partir d’ossements de victimes, a été exposée au musée de Tuom Sleng, l’ancien lycée situé à Phnom Penh, transformé entre 1975 et 1979 par les Khmers rouges en centre de détention, torture et exécutions. Il est plus connu sous son nom secret : Sécurité 21, ou S-21.

• Plus généralement, les violences de masse, de leurs mémoires et de leurs traces spatiales et territoriales paraissent sans limites. La mémoire arménienne, du génocide rwandais, des Traites négrières*%$, d’Hiroshima et Nagasaki, de Pearl Harbor, de la guerre du Vietnam (aux États-Unis et au Vietnam)… constituent des perspectives de recherche qui me paraissent également passionnantes.

Il est temps de conclure ce volume présentant mon parcours scientifique ; mais conclure ne signifie pas clore. La perspective d’être habilitée ouvre des horizons fort stimulants : continuer et approfondir les recherches déjà entamées ; en aborder de nouvelles ; intégrer et partager les problématiques qui me tiennent à cœur, au sein de séminaires ou de programmes de recherches ; accompagner et guider de jeunes chercheurs dans leurs réflexions… Bref, diriger des recherches !

Ce fut un long détour, […] J'ai bouclé mon parcours J'ai traversé la Seine Ce fut un long détour […]. Barbara. Mémoire, mémoire.

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