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1° La mémoire peut subir l'effet rétroactif du délire par addi¬

tion d'éléments nouveaux, mais qu'elle subsiste.

La mémoire peut être interrompue

dans

sa

continuité,

mais les tronçons réunis formentune mémoire complète.

La mémoire est souvent conservée intacte.

Nousaurons à interpréter ces faits dans

la deuxième partie

de ce travail, entraitant destroubles de la conscience

auxquels

ilssont intimement liés.

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Volonté.

La volonté et ses manifestations sont un des points les plus

intéressants de la question que nous traitons et malheureuse¬

ment un de ceux aussi sur lesquels la plupart des observations publiées restent muettes ou incomplètes.

Chez le persécuté, la volonté a conservé toute son énergie; le

malade raisonne, tire des conséquences et se conforme dans ses actes à la ligne de conduite qu'elles commandent. Dans la vie

courante, laissé libre, le persécuté tue ses ennemis et justifie

son crime devant les tribunaux. Interné, il proteste violemment

contre l'injustice, réclame sans cesse dans ses écrits ou par ses propos violents; s'il le peut, il s'évade. Devenu mégalomane, il

conserve le même caractère actifqui a moins de raisons qu'au¬

trefois de se traduire par des violences, mais qui se manifeste toujours dans ses actes et dans ses paroles, par son attitudeet

sonmépris.

Tout autre est le délirant secondaire : persécuté, il ne réagit

pas. Qu'il ait ou non des idées d'indignité, vestiges de la psy¬

cho-névrose, il offre vis-à-vis de sesidées de persécution l'indif¬

férence la plus complète.

Le malade Ch... a des hallucinations très pénibles de la

sensibilité générale; on l'insulte, on le frappe, etc. Il n'a pasle

moindre mouvement de rébellion. Pendant vingt-cinq ans d'in¬

ternement, on n'a pas noté le moindre acte de violence. Au

début seulement, et sous l'influence de la psycho-névrose,il

fait

deux tentatives de suicide, mais son délire n'était, à cette épo¬

que-là, nullement systématisé. Et cependant il a des

ennemis

dans la maison. Il écrit en effet au Président de la République :

« Vous savez tout ce que M. D... (le directeur-médecin) fait crier

contre moi dans tous les coins dela ville, au théâtre ou ailleurs.

Ici commandent M. D... et les hommes sales de.la police qui se

sont vendus à cette méchante famille, ennemie insatiable de ma pauvre famille et de moi en particulier». 11 est certain

qu'un

persécuté, dansces conditions, agirait.Ch..., au coutraire, con¬

serve toujours les mêmes attitudes et ses protestations se

bor-— 31

-lient à ses écrits. Ceux-ci sont nombreux, certainement; dans

tous, il expose ses souffrances et

demande

sa

liberté, mais

ses demandes mêmes semblent lui être indifférentes, car il ne s'oc¬

cupe point de savoir si ses lettres sont envoyées et ne

s'étonne

nullement de n'y pas recevoir de réponse, soit par lettre, soit

par voie hallucinatoire. Cependant il conserve

le souvenir

très précis de sa correspondance antérieure.

La malade V... a des troubles de la sphère génésique; on se

livre sur elle à des actes contre nature. Elle ne témoigne pas,

en nous l'exposant, le moindre mouvement d'indignation, se couche le soir sans aucune difficulté, bien qu'elle sache ce qui

l'attend. Des voix lui disent qu'elle est indigne de manger, elle n'y obéit point.

Le malade D..., de même, éprouve la sensation de coups de poignard auxquels il ne cherche point à se soustraire; il a des

«globes » il travaillerait tranquille, il ne demande point à

yaller.

Le malade L... va se marieravec la cuisinière de l'asile, il la

voit tous lesjours (il s'occupe à proximité), il ne fera pas un mouvement pour s'approcher, ne lui dira pas un mot

relatif

à

sesidées.

La malade R... est devenu persécutrice dessœurs par simple

enchaînement automatique des idées, c'est une malade ordinai¬

rement très pacifique.

Tous cesfaits témoignent d'un manque de volonté absolu de

la part des malades. Il n'agissent plusque parla persistance des

anciens acles de la vie de relation, qui se produisent

automati¬

quement sous l'influence de la causeprimitive qui avait coutume

de les

provoquer. 11 est évident que nousn'admettronspascette

idée dansson degré le plus élevé pour tous les délires secon¬

daires. 11 y a pour ce caractère, commepourtousceux que nous

avons signalésjusqu'ici, une progression,unedifférenced'inten¬

sité quivarie avec les malades, maisnous établissons que tou¬

jours, chez les délirants secondaires, il y a affaiblissement de la volonté, tendance vers sa disparition.

Cettedisparition de la volonté n'est nullement en opposition

avec les accès de violence qui sont relatés dans les observations

IV etII. Nous avons affaire, chez les malades B... et R..., à des

actes impulsifs commandés par des hallucinations, mais abso¬

lument endehors de la sphère de laconscience; par conséquent

ils sont indépendants de la volonté et ne sauraient luiêtre attri¬

bués.

Conscience.

Nous verrons, dans le chapitre suivant, ceque nousentendons

par la conscience. Pour le moment nous

allons l'étudier dans les

fonctions psychiques qu'elle crée,c'est-à-dire examiner les

modi¬

fications survenues chez nos malades au point de vue du rai¬

sonnement, de la logique, de la critique, de la réflexion, de la reproduction arbitraire.

Ces facultés sontconservées chez le délirant primitif et c'est

leur persistance même qui a fait donner à leur affection le nom

de folie partielle : ils ont uneidée fausse primordiale ne portant

que sur un point bien fixe de l'activité psychique et sur cette

idée fausse aussi bien que sur celles qui sont restées indemnes,

continuent de s'exercer le raisonnement, la logique, la

réflexion

les plus irréprochables.

En est-il ainsi chez le délirant secondaire? Etudions d'une façon spéciale le malade de M. le professeur Régis :

Ch... a écrit une correspondance volumineuse que nous avons

sous les yeux : elle est d'abord adressée à un nombre

restreint

de personnages dont il a lu les noms dans les journaux,

ainsi

que lui-même l'écrit. Ce n'est pas chez lui le raisonnement qui

le conduit à écrire à tel ou tel, ce sont ses lectures. Il écrit au

Pape, au Président de la République, à Mme de Freycinet, sans

sans savoirquel bénéfice il auraà en retirer. Le persécuté,

d'une

façon générale, sait fort bien s'adresser à qui de droit et avoir

recours aux représentants de Injustice. Quand il devient méga¬

lomane il écrit aux gens les plus haut placés, mais ce n'est

plus

pour obtenirjustice, ou, s'il la réclameencore,il se met aveceux

surle pied d'égalité.

Ch...,danstoutes seslettres,demande que l'on fasse cesser ses

tourments : « Je nesuispas absolument indigne depitié, écrit-il,

comme ils n'ont pas honte de le répétersans cesse ». Il n'est pas

indigne de pitié mais il n'explique pas pourquoi; il demande la tranquillité que l'on doit lui donner, mais n'essaye jamais de se

justifier ou d'expliquer pourquoi on la lui doit. Là encore, il ne raisonne pas, il expose simplementun fait.

Le persécuté, aucontraire, discute la cause de ses souffrances,

il proteste enprouvant qu'elles sont imméritées.

Ch... écrit des lettres dont le style est élégant, mais uniforme

etcorrespond absolument à ses anciennes occupations religieu¬

ses; reproduisons ici la description qu'il nous donne de ses hallucinations : « Ces apparitions sont aussi abondantes de jour

et de nuit qu'incontestables; mais malheureusement pour nos

désirs, si justement avides de Dieu et deses attributs si merveil¬

leux etinfinis, toujours les mêmes. Toujours le ciel et la terre, toujours le même monde avec ses tristesses et ses beautés, images souvent bien nettes, quelquefois aussi moins nettes,

mais cependant toujours images vivantes et vraies; toujours le

même mystère miraculeux et impénétrable qui a régné sous

Napoléon III, sous M. Thiers, sous le général maréchal Mac-Mahon, sous le président Grévy et enfin sous votre règne,

M. notre bon présidentCarnot. Ne serait-il pas temps, puisque

cecourant de vie divine est toujours le même et que dans la maisonde B... il occasionne beaucoup de fatigueset de plaintes,

de cesser de l'entretenir? Je vous promets, en retour de cette faveur précieuse infiniment pour moi, de prier tous lesjours

pour vous et pour votre dame et vos enfants, de demander à Dieu de bénir les années de votreprésidence et de vous donner

avecabondance toutes les bénédictions et grâces nécessaires à la haute positionoù la Providence vous a placé et que,du reste, de 1 avis de tous, vous occupez si dignement ».

H n'émet dans ses lettres aucune idée personnelle, tout est emprunté au monde extérieur, aux journaux, aux événements.

Il écritguidé par le simple automatisme de son esprit sans y mettre ni vie ni action.

Ch... réfléchitpeu.Nous luiavons été présentécommevenant

Proust a

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