tion d'éléments nouveaux, mais qu'elle subsiste.
2° La mémoire peut être interrompue
dans
sacontinuité,
mais les tronçons réunis formentune mémoire complète.
3° La mémoire est souvent conservée intacte.
Nousaurons à interpréter ces faits dans
la deuxième partie
de ce travail, entraitant destroubles de la conscience
auxquels
ilssont intimement liés.
— 30 —
Volonté.
La volonté et ses manifestations sont un des points les plus
intéressants de la question que nous traitons et malheureuse¬
ment un de ceux aussi sur lesquels la plupart des observations publiées restent muettes ou incomplètes.
Chez le persécuté, la volonté a conservé toute son énergie; le
malade raisonne, tire des conséquences et se conforme dans ses actes à la ligne de conduite qu'elles commandent. Dans la vie
courante, laissé libre, le persécuté tue ses ennemis et justifie
son crime devant les tribunaux. Interné, il proteste violemment
contre l'injustice, réclame sans cesse dans ses écrits ou par ses propos violents; s'il le peut, il s'évade. Devenu mégalomane, il
conserve le même caractère actifqui a moins de raisons qu'au¬
trefois de se traduire par des violences, mais qui se manifeste toujours dans ses actes et dans ses paroles, par son attitudeet
sonmépris.
Tout autre est le délirant secondaire : persécuté, il ne réagit
pas. Qu'il ait ou non des idées d'indignité, vestiges de la psy¬
cho-névrose, il offre vis-à-vis de sesidées de persécution l'indif¬
férence la plus complète.
Le malade Ch... a des hallucinations très pénibles de la
sensibilité générale; on l'insulte, on le frappe, etc. Il n'a pasle
moindre mouvement de rébellion. Pendant vingt-cinq ans d'in¬
ternement, on n'a pas noté le moindre acte de violence. Au
début seulement, et sous l'influence de la psycho-névrose,il
fait
deux tentatives de suicide, mais son délire n'était, à cette épo¬
que-là, nullement systématisé. Et cependant il a des
ennemis
dans la maison. Il écrit en effet au Président de la République :
« Vous savez tout ce que M. D... (le directeur-médecin) fait crier
contre moi dans tous les coins dela ville, au théâtre ou ailleurs.
Ici commandent M. D... et les hommes sales de.la police qui se
sont vendus à cette méchante famille, ennemie insatiable de ma pauvre famille et de moi en particulier». 11 est certain
qu'un
persécuté, dansces conditions, agirait.Ch..., au coutraire, con¬
serve toujours les mêmes attitudes et ses protestations se
bor-— 31
-lient à ses écrits. Ceux-ci sont nombreux, certainement; dans
tous, il expose ses souffrances et
demande
saliberté, mais
ses demandes mêmes semblent lui être indifférentes, car il ne s'oc¬cupe point de savoir si ses lettres sont envoyées et ne
s'étonne
nullement de n'y pas recevoir de réponse, soit par lettre, soit
par voie hallucinatoire. Cependant il conserve
le souvenir
très précis de sa correspondance antérieure.La malade V... a des troubles de la sphère génésique; on se
livre sur elle à des actes contre nature. Elle ne témoigne pas,
en nous l'exposant, le moindre mouvement d'indignation, se couche le soir sans aucune difficulté, bien qu'elle sache ce qui
l'attend. Des voix lui disent qu'elle est indigne de manger, elle n'y obéit point.
Le malade D..., de même, éprouve la sensation de coups de poignard auxquels il ne cherche point à se soustraire; il a des
«globes » où il travaillerait tranquille, il ne demande point à
yaller.
Le malade L... va se marieravec la cuisinière de l'asile, il la
voit tous lesjours (il s'occupe à proximité), il ne fera pas un mouvement pour s'approcher, ne lui dira pas un mot
relatif
àsesidées.
La malade R... est devenu persécutrice dessœurs par simple
enchaînement automatique des idées, c'est une malade ordinai¬
rement très pacifique.
Tous cesfaits témoignent d'un manque de volonté absolu de
la part des malades. Il n'agissent plusque parla persistance des
anciens acles de la vie de relation, qui se produisent
automati¬
quement sous l'influence de la causeprimitive qui avait coutume
de les
provoquer. 11 est évident que nousn'admettronspascette
idée dansson degré le plus élevé pour tous les délires secon¬
daires. 11 y a pour ce caractère, commepourtousceux que nous
avons signalésjusqu'ici, une progression,unedifférenced'inten¬
sité quivarie avec les malades, maisnous établissons que tou¬
jours, chez les délirants secondaires, il y a affaiblissement de la volonté, tendance vers sa disparition.
Cettedisparition de la volonté n'est nullement en opposition
avec les accès de violence qui sont relatés dans les observations
IV etII. Nous avons affaire, chez les malades B... et R..., à des
actes impulsifs commandés par des hallucinations, mais abso¬
lument endehors de la sphère de laconscience; par conséquent
ils sont indépendants de la volonté et ne sauraient luiêtre attri¬
bués.
Conscience.
Nous verrons, dans le chapitre suivant, ceque nousentendons
par la conscience. Pour le moment nous
allons l'étudier dans les
fonctions psychiques qu'elle crée,c'est-à-dire examiner les
modi¬
fications survenues chez nos malades au point de vue du rai¬
sonnement, de la logique, de la critique, de la réflexion, de la reproduction arbitraire.
Ces facultés sontconservées chez le délirant primitif et c'est
leur persistance même qui a fait donner à leur affection le nom
de folie partielle : ils ont uneidée fausse primordiale ne portant
que sur un point bien fixe de l'activité psychique et sur cette
idée fausse aussi bien que sur celles qui sont restées indemnes,
continuent de s'exercer le raisonnement, la logique, la
réflexion
les plus irréprochables.
En est-il ainsi chez le délirant secondaire? Etudions d'une façon spéciale le malade de M. le professeur Régis :
Ch... a écrit une correspondance volumineuse que nous avons
sous les yeux : elle est d'abord adressée à un nombre
restreint
de personnages dont il a lu les noms dans les journaux,
ainsi
que lui-même l'écrit. Ce n'est pas chez lui le raisonnement qui
le conduit à écrire à tel ou tel, ce sont ses lectures. Il écrit au
Pape, au Président de la République, à Mme de Freycinet, sans
sans savoirquel bénéfice il auraà en retirer. Le persécuté,
d'une
façon générale, sait fort bien s'adresser à qui de droit et avoir
recours aux représentants de Injustice. Quand il devient méga¬
lomane il écrit aux gens les plus haut placés, mais ce n'est
plus
pour obtenirjustice, ou, s'il la réclameencore,il se met aveceux
surle pied d'égalité.
Ch...,danstoutes seslettres,demande que l'on fasse cesser ses
tourments : « Je nesuispas absolument indigne depitié, écrit-il,
comme ils n'ont pas honte de le répétersans cesse ». Il n'est pas
indigne de pitié mais il n'explique pas pourquoi; il demande la tranquillité que l'on doit lui donner, mais n'essaye jamais de se
justifier ou d'expliquer pourquoi on la lui doit. Là encore, il ne raisonne pas, il expose simplementun fait.
Le persécuté, aucontraire, discute la cause de ses souffrances,
il proteste enprouvant qu'elles sont imméritées.
Ch... écrit des lettres dont le style est élégant, mais uniforme
etcorrespond absolument à ses anciennes occupations religieu¬
ses; reproduisons ici la description qu'il nous donne de ses hallucinations : « Ces apparitions sont aussi abondantes de jour
et de nuit qu'incontestables; mais malheureusement pour nos
désirs, si justement avides de Dieu et deses attributs si merveil¬
leux etinfinis, toujours les mêmes. Toujours le ciel et la terre, toujours le même monde avec ses tristesses et ses beautés, images souvent bien nettes, quelquefois aussi moins nettes,
mais cependant toujours images vivantes et vraies; toujours le
même mystère miraculeux et impénétrable qui a régné sous
Napoléon III, sous M. Thiers, sous le général maréchal Mac-Mahon, sous le président Grévy et enfin sous votre règne,
M. notre bon présidentCarnot. Ne serait-il pas temps, puisque
cecourant de vie divine est toujours le même et que dans la maisonde B... il occasionne beaucoup de fatigueset de plaintes,
de cesser de l'entretenir? Je vous promets, en retour de cette faveur précieuse infiniment pour moi, de prier tous lesjours
pour vous et pour votre dame et vos enfants, de demander à Dieu de bénir les années de votreprésidence et de vous donner
avecabondance toutes les bénédictions et grâces nécessaires à la haute positionoù la Providence vous a placé et que,du reste, de 1 avis de tous, vous occupez si dignement ».
H n'émet dans ses lettres aucune idée personnelle, tout est emprunté au monde extérieur, aux journaux, aux événements.
Il écritguidé par le simple automatisme de son esprit sans y mettre ni vie ni action.
Ch... réfléchitpeu.Nous luiavons été présentécommevenant
Proust a