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LA MÉMOIRE DE LA RAFLE DU VÉL’D’HIV

Une politique mémorielle tardive

LE SILENCE IMPOSÉ DANS LA PRESSE COLLABORATIONNISTE

« À plusieurs reprises, la presse française a fait, dès le 16 juillet 1942, des démarches auprès du service de la propagande et a exprimé le souhait de rendre compte de la rafle. On a fait savoir au service de propagande que, pour l’instant et jusqu’à nouvel ordre, il fallait s’abstenir de tout article de presse relatant l’action. Comme d’autres actions sont prévues pour plus tard, le mieux sera alors de ne faire paraître dans la presse que des articles à caractère très général, dont le contenu sera obligatoirement convenu à l’avance avec le service de la propagande. Ces articles pourraient s’attacher à montrer l’arrogance dont la juiverie, loin de s’amender, continuerait à faire preuve, aujourd’hui comme hier, d’une arrogance telle qu’elle aurait rendu nécessaire le recours à des mesures énergiques. Ils indiqueraient que pour l’essentiel, on a arrêté des juifs qui se livrent de manière impertinente au marché noir, qui falsifient des passeports et des cartes d’identité, qui se rendent continuellement coupables de corruption de trafics importants et de toutes sortes d’autres délits. »

Lettre, datée du 18 juillet 1942, du SS-Obersturmführer Heinz Röthke, adressée au SS-Ober-sturmbannführer Kurt Lischka, au SS-Standartenführer Docteur Helmuth Knochen et au SS-Brigadeführer Karl-Albrecht Oberg, concernant le transfert de juifs et de leurs enfants arrêtés lors des rafles du 16 juillet 1942 et du 17 juillet 1942 vers les camps d’internement de Pithiviers, Beaune-La-Rolande, du vélodrome d’Hiver et de Drancy.

Source : Mémorial de la Shoah, XLIX-67

LA RECONNAISSANCE DE LA RESPONSABILITÉ DE L’ÉTAT FRANÇAIS DANS LA RAFLE DU VÉL’D’HIV PAR LE PRÉSIDENT JACQUES CHIRAC EN 1995

« Dimanche 16 juillet 1995

Monsieur le Maire, Monsieur le Président, Monsieur l’Ambassadeur, Monsieur le Grand Rabbin, Mesdames, Messieurs,

Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions.

Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français.

Il y a cinquante­trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis.

Ce jour­là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.

On verra des scènes atroces : les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards – dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France – jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la préfecture de police.

On verra, aussi, des policiers fermer les yeux, permettant ainsi quelques évasions. Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l’enfer.

Combien d’entre­elles ne reverront jamais leur foyer ? Et combien, à cet instant, se sont senties trahies ? Quelle a été leur détresse ?

La France, patrie des Lumières et des Droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour­là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.

Conduites au vélodrome d’Hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l’on sait, d’être dirigées sur l’un des camps de transit – Pithiviers ou Beaune­la­

Rolande – ouverts par les autorités de Vichy. L’horreur, pourtant, ne faisait que commencer.

Suivront d’autres rafles, d’autres arrestations. À Paris et en province. Soixante­quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante­seize mille déportés juifs de France n’en reviendront pas.

Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.

La Thora fait à chaque juif devoir de se souvenir. Une phrase revient toujours qui dit : “N’oublie jamais que tu as été un étranger et un esclave en terre de Pharaon”. Cinquante ans après, fidèle à sa loi, mais sans esprit de haine ou de vengeance, la communauté juive se souvient, et toute la France avec elle.

Pour que vivent les six millions de martyrs de la Shoah. Pour que de telles atrocités ne se reproduisent jamais plus. Pour que le sang de l’holocauste devienne, selon le mot de Samuel Pisar, le “sang de l’espoir”. Quand souffle l’esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l’exclusion.

Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains ensei­

gnements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d’une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais. En la matière, rien n’est insignifiant, rien n’est banal, rien n’est dissociable. Les crimes racistes, la défense de thèses révisionnistes, les provocations en tout genre – les petites phrases, les bons mots – puisent aux mêmes sources.

Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore.

Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre.

Cet incessant combat est le mien autant qu’il est le vôtre. Les plus jeunes d’entre nous, j’en suis heureux, sont sensibles à tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de Français décidés à regarder bien en face leur passé. La France, nous le savons tous, n’est nullement un pays antisémite. En cet instant de recueillement et de souvenir, je veux faire le choix de l’espoir. Je veux me souvenir que cet été 1942, qui révèle le vrai visage de la “collaboration”, dont le caractère raciste, après les lois anti­juives de 1940, ne fait plus de doute, sera, pour beaucoup de nos compatriotes, celui du sursaut, le point de départ d’un vaste mouvement de résistance.

Je veux me souvenir de toutes les familles juives traquées, soustraites aux recherches impitoyables de l’occupant et de la milice, par l’action héroïque et fraternelle de nombreuses familles françaises. J’aime à penser qu’un mois plus tôt, à Bir Hakeim, les Français libres de Koenig avaient héroïquement tenu, deux semaines durant, face aux divisions allemandes et italiennes. Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective.

Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n’a jamais été à Vichy. Elle n’est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur de ces Français, ces

“Justes parmi les nations” qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l’écrit Serge Klarsfeld, les trois­quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu’elle a de meilleur.

Les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l’identité française et nous obligent pour l’avenir. Ces valeurs, celles qui fondent nos démocraties, sont aujourd’hui bafouées en Europe même, sous nos yeux, par les adeptes de la “purification ethnique”.

Sachons tirer les leçons de l’histoire.

N’acceptons pas d’être les témoins passifs, ou les complices, de l’inacceptable. C’est le sens de l’appel que j’ai lancé à nos principaux partenaires, à Londres, à Washington, à Bonn. Si nous le voulons, ensemble nous pouvons donner un coup d’arrêt à une entreprise qui détruit nos valeurs et qui, de proche en proche risque de menacer l’Europe tout entière. »

Allocution de Jacques Chirac, président de la République, prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942.

Source : Fondation pour la mémoire de la Shoah

Photographie du président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995

Source : Mémorial de la Shoah

LE JARDIN MÉMORIAL DES ENFANTS DU VÉL’D’HIV

« Inauguré le 16 juillet 2017 à l’occasion du 75e anniversaire de la rafle du Vél’d’Hiv, ce jardin a été créé à l’initiative de Serge Klarsfeld et de la Commission du souvenir du CRIF.

Gardien de la mémoire des 4 115 enfants raflés les 16 et 17 juillet 1942, séparés de leurs parents, déportés et exterminés dans le camp d’Auschwitz­Birkenau, il est situé à l’endroit où s’élevait le vélodrome d’Hiver.

Lieu de recueillement, il accueille le mur du souvenir où sont inscrits les noms et les âges de ces milliers d’enfants.

Lieu de mémoire, le jardin mémorial des enfants du Vél’d’Hiv nous invite à s’incliner devant le souvenir de ces enfants, arrêtés par le gouvernement de Vichy complice de l’occupant nazi, assassinés dans les camps de la mort parce qu’ils étaient juifs.

Ce jardin composé de plantes grimpantes (clématites) et de vivaces (carex, iris, pulmonaria) a été cédé à la Ville de Paris en 2019. »

Source : « Présentation », Jardin mémorial des enfants du Vél’d’hiv, paris.fr

LE RÔLE DES AMEJD

Les associations pour la mémoire des enfants juifs déportés (AMEJD) œuvrent à des fins éducatives depuis 1997 à l’historiographie, à la commémoration et à la diffusion du souvenir des enfants juifs déportés de France durant l’Occupation. Parmi leurs actions notoires, on peut citer l’initiative avec la mairie de Paris, de la création en 2017, au cimetière du père Lachaise d’un monument à la mémoire des 11 450 enfants victimes de la Shoah déportés de France. Ce sont aussi les AMEJD qui ont aidé à la réalisation des plaques commémoratives apposées dans les écoles parisiennes.

Voir par exemple le site de l’AMEJD Paris 12e : amejd12.net/2017/10/15/le-monument-aux-enfants-parisiens-victimes-de-la-shoah/

La rafle du Vél’d’Hiv dans les arts

LA RAFLE DU VÉL’D’HIV : UN SUJET CINÉMATOGRAPHIQUE RELATIVEMENT RÉCENT

« Avant de devenir un lieu de tragique mémoire, le vélodrome d’Hiver est longtemps resté, dans l’esprit des gens, attaché à sa fonction, celle d’un haut lieu de manifestations sportives. Pendant plusieurs décennies, l’épisode de l’été 1942 a fait figure de “trou de mémoire“ dans l’histoire du grand stade. Quant à l’image de la rafle, elle ne s’est construite que lentement et tardivement, en particulier parce qu’il n’y avait pas de photographies de l’événement ni, du moins jusque dans les années 1970, de représentations cinématographiques.

En effet, si la rafle se trouve discrètement évoquée dans deux courts­métrages au tournant des années 1960, il faut attendre 1974 pour qu’elle occupe pour la première fois une place centrale dans un film, Les Guichets du Louvre, avant d’être représentée dans Monsieur Klein en 1976.

Pour son cinquantenaire, en 1992, elle fait l’objet d’un documentaire réalisé pour la télévision qui lui est entièrement consacré : Opération “Vent printanier”. S’y ajoutent trois productions pédagogiques éphémères. Près de vingt ans plus tard, en 2010, une bouffée de mémoire semble ressurgir au cinéma avec deux fictions, très différentes l’une de l’autre : La Rafle, de Rose Bosch, et Elle s’appelait Sarah, de Gilles Paquet­Brenner d’après le roman de Tatiana de Rosnay.

Le corpus est bien maigre, ce qui est en soi significatif. Mais malgré ces grands écarts de temps entre les films (ou peut­être grâce à eux), il permet d’appréhender l’évolution de la perception de l’événement en lien avec le “climat” social et historique du moment. Il permet de voir comment s’est constituée et transformée la mémoire de ce lieu et, de fait, celle de la grande arrestation de l’été 1942. Le cinéma, tout en témoignant de cette évolution, aura certainement contribué à construire notre imaginaire actuel qui fait des 16 et 17 juillet 1942 le seul événement que le nom de Vél’d’Hiv évoque immédiatement. […]

Réjouissons­nous que différents points de vue et, en conséquence, un débat potentiel puissent enfin surgir à propos de la représentation au cinéma d’une question aussi douloureuse pour la conscience nationale et aussi délicate à porter à l’écran. Quand on sait le poids de l’image cinématographique sur les représentations mentales et son impact sur la constitution d’une mémoire collective, on en mesure toute la portée. »

Source : Claudine Drame, « Le Vél’d’Hiv au cinéma », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 195, n° 2, 2011, pp. 239-254

LE DERNIER DOCUMENTAIRE SUR LE SUJET

« S’appuyant sur une historiographie éprouvée et fort du témoignage des derniers survivants (Annette, 12 ans en 1942, traînée dans la rue dès l’aube ; Jozef, 11 ans, emmené avec sa sœur et ses parents ; Rachel, 8 ans, dénoncée par sa concierge), ce film narre à la manière d’une autopsie les événements qui menèrent la France à écrire l’une des pages les plus sombre de son histoire. » Présentation du documentaire de Fabrice Buysschaert, La Rafle du Vél’d’Hiv : l’histoire révélée, 2021.

Source : Fondation pour la mémoire de la Shoah LA RAFLE DU VÉL’D’HIV EN BANDE DESSINÉE

Arnaud Delalande (scénario), Laurent Bidot (dessin) et Clémence Jollois (couleurs), Après la rafle.

Une histoire vraie, d’après le livre de Joseph Weismann, Les Arènes BD, 2022.

Trois planches visibles sur actuabd.com

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