La chaîne Pyrénéenne : structure et évolution
6. Le méga-‐cône alluvial de Lannemezan
6.1. Morphologie
Occupant une large partie centrale et est du Bassin Aquitain, le méga-‐cône alluvial de Lannemezan est un objet géomorphologique exceptionnel du piémont nord-‐ pyrénéen, bien plus grand que les autres cônes alluviaux du piémont nord (Figure 10). Il comprend des dépôts miocènes à quaternaires qui forment un demi-‐cône d’une surface
de plus de 10 000 km2, remarquablement bordée par le cours de la Garonne au sud, à
l’est et au nord. La Neste, qui prend sa source dans la Zone Axiale, s’écoule vers le Nord et traverse les derniers reliefs de la ZNP face à l’apex du méga-‐cône, était probablement la rivière d’alimentation de cette formation. Toutefois, le méga-‐cône est à présent abandonné : la Neste l’incise aujourd’hui profondément (sur une centaine de mètres au moins) près de l’apex et tourne brusquement pour s’écouler vers l’Est jusqu’à rejoindre la Garonne à sa sortie du relief, une vingtaine de kilomètres en aval. Cette capture a eu lieu au Quaternaire, après le dépôt de la dernière nappe.
Plusieurs mécanismes sont proposés pour expliquer cet abandon (Desegaulx and Brunet, 1990; Dubreuilh et al., 1995; Tucker and van der Beek, 2012; Stange et al., 2014) : (i) un changement marqué de la dynamique d’écoulement lié à la mise en place d’un climat fluctuant au Quaternaire (cycles de périodes glaciaires et interglaciaires) ; (ii) des mouvements verticaux de la lithosphère, derniers réajustements liés à un rebond isostatique post-‐orogénique ou autre facteur d’origine crustale ou lithosphérique indépendant de la convergence ; (iii) un épisode d’incision provoqué par une chute du niveau de base ; ou encore (iv) un phénomène autogénique de creusement,
Contexte géologique 85 d’enracinement du cours d’eau d’alimentation suite à un épisode d’avulsion, contrôlé par exemple la pente locale ou un changement topographique .
Suite à l’abandon du méga-‐cône, un vaste réseau fluviatile radial se développe et incise sa surface. Une série de terrasses alluviales, développées le long de ces rivières, ainsi que le long de la Neste et de la Garonne, témoigne du caractère épisodique de cette incision (Hubschman, 1975a; 1975b; 1975c). Les vallées produites lors de cette incision sont nettement asymétriques avec la rive gauche en pente douce où se développent les terrasses étagées et une rive droite raide entaillée par la rivière. Cette caractéristique suggère une migration vers l’est des cours d’eau au cours de l’incision dont l’origine pourrait être climatique et/ou géodynamique (Taillefer, 1951; Bonnet et al., 2014; Stange et al., 2014).
Figure 10 Le méga-‐cône de Lannemezan, dans l’avant-‐pays nord-‐Pyrénéen, se compose principalement de dépôts miocènes auxquels s’ajoutent des épandages pontico-‐pliocène et quaternaire. La Neste, dont le bassin versant actuel s’étend jusqu’à la Zone Axiale (paléozoïque) est la rivière qui alimentait certainement le méga-‐ cône. Au Quaternaire, elle a cependant été déviée vers l’est à l’endroit où elle sort du relief et suit un cours parallèle au front de la chaîne pour rejoindre la Garonne quelques kilomètres en aval. Suite à l’abandon du méga-‐cône, toutes les rivières du piémont ont incisé ce dépôt, laissant une série de terrasses alluviales (particulièrement développées à l’ouest de Toulouse, par exemple).
Contexte géologique 87 6.2. Formation
L’essentiel des dépôts du méga-‐cône de Lannemezan sont miocènes (>100 m). Crouzel (1957) distingue 17 niveaux dans ces dépôts, dont la composition montre une cyclicité, passant typiquement de poudingue en base de série à molasse, calcaire puis marne vers le haut (faciès fluviatiles et lacustres à marécageux). Les passages latéraux de faciès, très progressifs sont interprétés comme exprimant les divagations des cours d’eau. Une étude statistique menée sur 52 coupes montre que les divagations se font vers l’Est ou l’Ouest, avec une certaine prédominance des divagations vers l’Est dans 65% des cas étudiés (Crouzel, 1957). Or, la morphologie actuelle des vallées du piémont central nord-‐Pyrénéen qui montrent un flanc ouest en pente douce et une rive droite (est) abrupte, sapée par l’érosion fluviatile. La divagation des rivières vers l’est est donc un phénomène d’ampleur régionale et qui dure au moins depuis le Miocène.
Les dépôts participent au comblement du bassin jusqu’au Tortonien supérieur-‐Pontien. Ensuite, des vallées sont creusées et modelées dans les couches molassiques (Figure 11 ; Crouzel, 1957). Les Sables Fauves amenés par l’incursion marine, ainsi que les argiles à galets et Glaises Bigarées d’origine pyrénéenne viendront combler ces vallées et
construire les plateaux du piémont (cônes à pente très faible).
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Contexte géologique 89 Nord est assez claire à grande échelle, mais aucun classement n’est observé verticalement au sein du dépôt (Crouzel, 1957; Azambre and Crouzel, 1988). Les éléments grossiers de ce dépôt sont les mêmes que ceux du Miocène, ce qui suggère que la zone source des matériaux n’a pas changé (Crouzel, 1957; Hubschman, 1975d). Cependant, l’absence de calcaire et la rubéfaction des dépôts supérieures les distinguent nettement des mollasses miocènes, et pourrait indiquer une modification du mode de dépôt et des conditions climatiques (Crouzel, 1957; Hubschman, 1975d).
Un dépôt quaternaire recouvre ce dépôt pontico-‐pliocène et le ravine localement dans la partie la plus méridionale du bassin. Cette formation à gros galets et blocs dans une matrice argileuse est épaisse de plus de 60m près du coude de la Neste mais son épaisseur diminue rapidement pour disparaître quelques kilomètres plus loin. Ces caractéristiques l’apparentent à un dépôt torrentiel (cône de déjection) de climat sec dans lequel les matériaux sont transportés dans un écoulement épais lors d’épisodes de précipitations rares et violents (Crouzel, 1957; Hubschman, 1975d).
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Méthodes
Méthodes
Dans cette étude, j’utilise :
-‐ l’analyse des traces de fissions sur apatite pour évaluer l’histoire thermique et vitesses d’exhumation de la chaîne (Chapitre 1)
-‐ les nucléides cosmogéniques utilisés pour estimer les taux moyens d’érosion des bassins versants du flanc nord de la chaîne (Chapitre 1) et dater
l’abandon de surfaces alluviales et évaluer leur évolution post-‐dépôt (Chapitre 2)
-‐ la pétrographie sédimentaire pour caractériser la zone source des sédiments accumulés dans le méga-‐cône (Chapitre 1, cette analyse a été faite par E. Garzanti, A. Resentini et M. Limonta à l’Università Milano-‐Biccoca et ne sera pas explicitée ici)
-‐ la caractérisation de certains indices géomorphologiques (Chapitre 2), qui ont été présentés dans la partie Etat de l’art pour évaluer l’histoire d’incision du piémont et de la chaîne
-‐ la modélisation numérique, dont les principes ont été présentés dans la partie Etat de l’art, les détails du code utilisé seront présentés dans le chapitre 3, pour comprendre le rôle des différents contrôles sur l’évolution du paysage nord-‐ pyrénéen.
Les principes de base des méthodes de datations (traces de fission sur apatite et nucléides cosmogéniques) et les particularités de l’utilisation que j’en ai faite sont détaillés dans les paragraphes suivants.
Méthodes 93
Les traces de fission sur apatite
L’analyse des traces de fissions dans les apatites permet de déterminer une partie de l’histoire thermique des roches et donc de quantifier des vitesses d’exhumation sur une échelle de temps relativement longue.
1. Principe
Une partie de la désintégration radioactive naturelle de l’Uranium 238 (238U) contenu dans les apatites se fait par fission, c’est-‐à-‐dire par division du noyau instable. L’éjection des atomes fils occasionne alors des défauts dans le réseau cristallin (désorganisation liée aux interactions électrostatiques) sous forme d’une aire linéaire vacante (la « trace », diamètre <10 nm, longueur ~10-‐20 μm). Leur taille nécessite une attaque chimique (qui les accentue) pour que les traces soient visibles au microscope.
A haute température (>110°C environ), le réseau cristallin se réorganise et les traces sont refermées, cicatrisées, à une vitesse plus rapide que leur vitesse de production ; le système est dit « ouvert ». A faible température (<60°C environ ; Laslett et al., 1987) les traces sont conservées et s’accumulent au cours du temps ; le système est fermé. Entre ces deux températures, la cicatrisation est partielle.
Chaque trace représentant un événement de fission spontanée, la densité de traces de fission dans un minéral dépend de (i) la vitesse de désintégration par fission (constante connue), (ii) la quantité d’Uranium présente à l’origine dans le minéral