marqueurs et outils
1.1.3. Dépôts sédimentaires
Lorsqu’une rivière change son cours par avulsion ou incise son propre lit verticalement, les dépôts de son ancien lit peuvent être conservés et former une surface alluviale distincte. Les terrasses alluviales qui s’étagent le long d’une rivière marquent ainsi les anciens niveaux occupées par le drain et abandonnés successivement par différents épisodes d’incision. L’abandon de ces surfaces alluviales peut être daté (nucléides cosmogéniques, OSL, 14C) et, à partir de l’espacement vertical des terrasses, on peut estimer une vitesse pour chaque épisode d’incision. L’âge d’abandon et les vitesses calculées, ainsi que la géométrie des surfaces (déformations) permettent de corréler les épisodes d’incision aux forçages climatiques (Bridgland and Westaway, 2008a), tectoniques (Wegmann and Pazzaglia, 2002; Litchfield and Berryman, 2006; Vassallo et al., 2007) et/ou liés au changement de niveau de base (Antón et al., 2012).
Les surfaces (roches polies) et dépôts (moraines, blocs erratiques) associés à l’activité glaciaire peuvent être analysés par ces mêmes méthodes pour estimer la dynamique d’érosion glaciaire qui est liée au premier ordre au forçage climatique et à l’altitude (Wittmann et al., 2007; Delmas et al., 2015).
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1.2. Quantification des flux
L’influence des différents processus sur l’évolution du paysage peut être appréhendée à travers les flux de matériel.
1.2.1.Flux sédimentaire
Plusieurs types de dépôt sédimentaire peuvent être identifiés, au sein du bassin versant et dans le piémont, qui renseignent sur les processus de surface actifs. Les cônes de déjections, les cônes alluviaux, les glissements de terrain, les moraines, sont autant de dépôts dont la formation implique des processus de surface spécifiques qui dépendent de processus autogéniques et de forçages externes différents. Leurs fréquences et leurs amplitudes sont également caractéristiques de celles des forçages. La forme et la taille des dépôts du piémont donnent un aperçu du fonctionnement, en termes d’érosion et de transport, de l’ensemble du bassin dont sont issus ces sédiments. La taille des éléments contenus dans le dépôt est fonction à la fois des processus d’érosion et de la dynamique de transport ; elle dépend donc de la lithologie, du climat (précipitation mais aussi via la présence de glaciers), de la topographie, de la tectonique et de la végétation. Mais là encore, une observation peut être interprétée en faisant intervenir plusieurs facteurs différents : une augmentation de la taille des grains vers le haut d’une série sédimentaire dans le bassin peut être interprétée comme (i) une progradation du cône en réponse à une accélération du soulèvement de la zone source, (ii) un changement de la zone source (de plus en plus facilement érodable), (iii) un changement du niveau de base, ou encore (iv) une conséquence de variations auto-‐cycliques du flux sur le cône (DeCelles et al., 1991).
Selon la lithologie érodée, la topographie et le climat, il faut également tenir compte de la fraction de la dénudation qui se fait par dissolution (estimée à <20% dans la plupart des orogènes ; Michael et al., 2014).
Une autre grandeur, souvent difficile à quantifier, a pourtant une importance capitale dans la compréhension de l’évolution du paysage : la quantité de sédiments qui n’est pas retenue quantitativement dans les différents dépôt du bassin versant et du piémont mais est (plus ou moins) directement évacuée vers le bassin marin (bypass). L’enregistrement sédimentaire du système est donc incomplet et témoigne d’une dynamique particulière de l’écoulement liée aux conditions du système (Bridgland and Westaway, 2008b).
Des outils permettent la mesure directe de la charge sédimentaire (dissoute et solide) mais ces méthodes ne peuvent être appliquées partout (accessibilité, mise en œuvre complexes) et comportent des incertitudes importantes. De plus, les résultats de ces mesures ne peuvent être directement extrapolés pour des estimations des flux passés. Il faut également noter que les perturbations anthropiques (agriculture, déforestation, barrage) ont un impact important sur le flux sédimentaire actuel des rivières, qui ne correspond donc pas à celui d’échelles de temps plus grandes (ex. Allan et al., 1997; Syvitski et al., 2005).
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1.2.2.Vitesses de dénudation
Estimer les vitesses d’érosion du paysage peut permettre de retrouver les processus impliqués dans son évolution. Des méthodes de datation récentes permettent ces estimations.
Un nombre croissant d’études utilise les concentrations des sédiments de rivière en nucléides cosmogéniques pour quantifier les taux d’érosion moyenné à l’échelle du bassin versant du site échantillonné (Brown et al., 1995; Bierman and Steig, 1996; Granger et al., 1996; vonBlanckenburg, 2006; Delunel et al., 2010; Schaller et al., 2001; Portenga and Bierman, 2011). Les taux ainsi estimés s’appliquent à l’échelle de temps des nucléides cosmogéniques (typiquement millénaire) et doit tenir compte des contraintes de la méthode (concernant la lithologie, la présence de glace/neige, cf. Chapitre 1). Comparés aux vitesses valables pour des échelles de temps plus longues (voir plus bas), elle peut permettre de mettre en évidence l’importance des glissements de terrains, du climat ou des perturbations anthropiques sur l’érosion récente (Glotzbach et al., 2013; Abrahami, 2015).
Sur de plus longues échelles de temps, les méthodes de thermochronologie basse-‐ température donnent accès aux vitesses d’exhumation (cf Chapitre 1). Il nous faut différencier ici l’érosion qui est le processus physico-‐chimique de mobilisation du matériel, de l’exhumation qui est le mouvement relatif des roches par rapport à la surface et implique donc l’érosion mais également la tectonique, ; la surrection fait quant à elle référence au mouvement de la surface (par rapport à un référentiel extérieur). Des variations spatiales dans les vitesses d’exhumation peuvent par exemple mettre en
évidence le mouvement relatif d’unités tectoniques de part et d’autre d’une faille, tandis que des variations temporelles des vitesses (mises en évidence par une variation de la pente du profil âge-‐altitude par exemple, cf. chapitre 1) peut traduire une modification des conditions climatiques et/ou tectoniques.
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2. Modélisation expérimentale
La modélisation expérimentale (analogique) en laboratoire a pour objectif de simuler l’érosion et le transport des sédiments grâce à un écoulement/ruissellement appliqué sur un matériel qui reproduit au mieux le comportement du paysage, à petite échelle. L’intérêt est de pouvoir contrôler les conditions externes appliquées et donc d’observer leurs effets.
Le dispositif expérimental se compose typiquement d’un ou plusieurs matériaux (sables, silicone, plasticine) facilement érodables et qui peuvent être soumis à un écoulement d’eau (dont on maîtrisera le débit) et/ou à des effets qui simulent les précipitations (sous la forme de gouttes d’eau très fines) et/ou les contraintes tectoniques (par mouvement de la base de certaines parties du modèle). Ces modèles ont permis de reproduire certaines dynamiques d’évolution du paysage (Hasbargen and Paola, 2000; Bonnet and Crave, 2006; Nicholas et al., 2009; Rohais et al., 2011; Guerit et al., 2014).
Ils permettent par exemple d’observer les variations cycliques autogéniques de l’écoulement sur un cône alluvial et mettre ainsi en évidence l’importance de cette dynamique dans la construction et/ou l’incision du cône (Nicholas et al., 2009; van Dijk et al., 2009). D’autres modèles, centrés sur le bassin versant, mettent également en évidence les processus autogéniques propres à cette partie du système et les morphologies qui en résultent (ex. Hasbargen and Paola, 2000). Enfin, des modèles plus complets ont permis de mettre en évidence le couplage entre montagne et piémont (Babault et al., 2005).
Cette approche pose néanmoins le problème du dimensionnement des phénomènes physiques que l’on cherche alors à reproduire à des échelles de temps et d’espace très réduites (ex. Bonnet and Crave, 2006). De plus, les matériaux utilisés dans ces modélisations ne sont pas standardisés, ce qui pose problème pour comparer les résultats et pour leur reproductibilité, d’autant que les méthodes de mesure des phénomènes observés sont variables selon les études. Enfin, un certain nombre de phénomènes (effets de la végétation, de la présence de glaciers, de l’altération, etc.) ne peuvent être simulés par ces dispositifs.
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3. Modélisation numérique
L’utilisation de modèles numériques pour simuler l’évolution du paysage permet d’avoir un aperçu dynamique de cette évolution et de contrôler les différents paramètres pour mettre en évidence leurs effets et interactions. Cette approche suppose toutefois une bonne compréhension des processus physiques et chimiques mis en jeu et notamment une retranscription juste de ces processus sous la forme d’équations dont la valeur sera calculée à chaque pas de temps (cf. Tucker and Hancock, 2010). Souvent, le choix de l’équation ou de la valeur d’un paramètre (établi semi-‐empiriquement) est crucial et peut conduire à des résultats différents entre différentes études, il est donc important de pouvoir justifier ce choix à chaque étape.
Kooi and Beaumont (1996) ont mis en évidence la cohérence des modélisations numériques avec les concepts issus des travaux classiques de géomorphologie sur des cas naturels (ex. Davis, 1899; King, 1953; Hack, 1960; Brice, 1964). En particulier, ils illustrent le concept de forme fondamentale qui exprime l’adéquation entre la topographie héritée des évolutions précédentes et les nouvelles condtions (tectoniques notamment) imposées à un temps t : en l’absence d’adéquation (déséquilibre) le système montre une réponse complexe qui comprend des seuils critiques internes (Kooi and Beaumont, 1996).