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Entre méfiance, défiance et collaboration : des relations évolutives

Depuis que l’entreprise est devenue un élément central de la vie de la Cité, son interdépendance avec l’environnement social, écologique et économique dans lequel elle évolue est renforcée.

Friandes d’une communication qui leur apporte une grande visibilité auprès de leurs public-cibles et du grand public, elles cherchent à se bâtir une réputation solide, tout en convaincant les actionnaires de leur rentabilité, l’opinion publique de leur légitimité, et les ONG de leur moralité. Se faisant, elles s’exposent constamment, ce qui fait leur force, mais également leur faiblesse. En effet, en utilisant massivement la communication, les entreprises sont de plus en plus confrontées aux exigences éthiques de la société civile, et plus particulièrement des ONG.

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Or depuis la crise du Biafra, les ONG ont acquis la capacité à faire entendre leur voix. Leur fonctionnement en réseau permet aux ONG les plus influentes de relayer les idées de celles à visibilité plus faible. Depuis une quinzaine d’années, ces ONG créent des campagnes de sensibilisation et de mobilisation de l’opinion publique afin de dénoncer les pratiques de multinationales ou d’entreprises dont le comportement n’est pas apprécié.

a- Des acteurs qui s’ignorent

Longtemps les ONG et les entreprises ont été des acteurs qui s’ignoraient, parce qu’il y avait entre eux une méfiance mutuelle. L’entreprise, étrangère à l’action de terrain des ONG, observait cet acteur de manière dubitative et le jugeait peu professionnel. Ce jugement ne change que petit à petit et depuis peu.

Cette méfiance n’est pas à sens unique. Les ONG ont souvent eu une vision très négative du fonctionnement des entreprises80, car leur but ultime est de faire du profit, et parfois à n’importe quel prix.

Ainsi, par manque de compréhension, et de par leurs cultures semblant très éloignées, les ONG et les entreprises ont d’abord été des acteurs qui s’ignorent. Pourtant certaines dynamiques sont communes à ces deux acteurs : l’ONG n’a pas d’actionnaires et ne cherche pas à faire du profit, certes, mais elle a des donateurs à fidéliser et recherche constamment de nouveaux fonds81, ce qui l’amène à utiliser les techniques marchandes du marketing.

Aujourd’hui, nous l’avons vu, l’ignorance n’est plus possible. La mondialisation et la revendication d’un rôle sociétal par l’entreprise ont parfois amené à des frictions entre ces deux acteurs.

b- Des acteurs qui se combattent

Après la période d’ignorance s’est ouverte une période de combativité. Le gain de crédibilité des ONG et la reconnaissance de leur action au sein de l’opinion publique les ont dotées d’un pouvoir de remise en cause beaucoup plus fort qu’il y a vingt ans. Fortes de ce nouveau pouvoir, les ONG ont quelque peu délaissé leur critique des Etats et se sont mis à critiquer ouvertement les agissements de certaines

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entreprises, notamment des multinationales. C’est par exemple le cas aujourd’hui de la campagne de « harcèlement constructif »82 intitulée « gardons les yeux ouverts » de la FIDH contre les investissements d’entreprises occidentales en Chine, pays où les droits de l’Homme sont régulièrement bafoués.

Au départ, ne percevant pas la force de frappe de ces sentinelles, les entreprises n’ont pas su comment réagir à leurs attaques et se sont murées dans un mutisme incompris de l’opinion publique. Cela a notamment été le cas de Nestlé lors de « l’Affaire du lait » en 1977 lorsque des associations comme Baby Milk lui ont reproché d’envoyer du lait en poudre dans des régions où il était impossible de s’en servir correctement faute d’eau potable. Du lait ainsi contaminé avait entraîné la mort de nourrissons provoquant un scandale sans précédent orchestré par des ONG (le thème de la santé des enfants est très mobilisateur), scandale susceptible de resurgir encore aujourd’hui en temps de crise.

Prenant enfin au sérieux le pouvoir de parole de ces acteurs qui jusque là n’étaient pas considérés, une période de bras de fer a débutée. Face à la communication « émotionnelle » des ONG, les entreprises ont petit à petit mis en place des techniques efficaces de parades grâce à de la communication préventive ou de crise. Néanmoins, les ONG et entreprises ne cohabitent pas simplement sur un mode de confrontation83. En effet, on peut noter que beaucoup de cas de pression font ensuite l’objet d’un partenariat. Ainsi, en effectuant des pressions sur les entreprises, les ONG misent également sur une issue favorable à la coopération qui donnera une opportunité d’avancée à leurs revendications. La pression est donc souvent un moyen de parvenir à la collaboration.

c- Des acteurs qui coopèrent

ONG et entreprises essayent donc de plus en plus de trouver des compromis : il est rare que l’action de l’ONG soit uniquement animée par un esprit belligérant.

Ainsi, en 1996, le collectif « l’Ethique sur l’Etiquette » de Pascal Erard lançait sa première opération appelée « libère tes fringues ». Ce collectif, réunissant plusieurs dizaines d’associations, avait pour but de sensibiliser les consommateurs sur les conditions indignes dans lesquelles étaient parfois fabriqués les habits achetés en

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-grands magasins. Sa revendication principale était la nécessité de mettre en place des codes de conduite et des systèmes de contrôle en vue de faire respecter les normes de l’OIT dans les « sweatshops », ces « usines à sueur » du Tiers-Monde. La Redoute, C&A et Kookai furent les premières enseignes à être interpellées. Cette démarche porta ses fruits puisque suite au travail de lobbying du collectif, les entreprises dénoncées se lancèrent dans des démarches éthiques. Cette efficacité est due à deux facteurs principaux : d’une part, les entreprises sont très sensibles aux dénonciations qui portent atteinte à leur image de marque, d’autre part, la grande distribution prend peu à peu conscience du fait que le commerce socialement correct représente une tendance grandissante chez les consommateurs.

Dans cette optique de collaboration, nombre d’ONG ont également élaboré des structures spécialement chargées d’établir des liens avec les entreprises, en vue de créer des actions de partenariats, de mécénat et par ce biais, de les amener sur la voie du développement durable. Des ONG à l’activité très médiatisée sont devenues des organisations avec qui les multinationales doivent compter. Elles exercent sur ces structures une pression avec l’intention de leur faire modifier leurs comportements sociaux et environnementaux. Il existe quatre exemples notables. Par exemple, le Comité de la Croix Rouge Internationale à Genève a mis en place une section « private sector », sous la direction de Gilles Carbonnier, qui se charge d’influencer, à l’abris des médias et par un « engagement constructif »84, le comportement des entreprises dans le sens d’un respect des droits humains.

De même, le secteur « business » d’Amnesty International est chargé d’établir des contacts avec les grandes entreprises afin de les amener à se soucier de l’impact social et politique de leurs projets, et à appliquer les principes fondamentaux des droits de l’Homme et les normes de l’OIT.

L’ONG Transparency International, spécialisée dans la lutte contre la corruption, a élaboré des « principes d’action contre la corruption » destinés aux entreprises. Chaque année, elle réalise un rapport sur la corruption mondiale et a publié en 2002 un classement des pays dont les entreprises pratiquent le plus la corruption. Cela a amené à un dialogue ONG-multinationales avec la volonté de trouver des solutions aux défis que leur pose le problème de la corruption.

De même l’ONG WWF, spécialisée dans la préservation de l’environnement, a pour ambition d’impliquer l’ensemble des acteurs concernés par cette problématique. WWF cherche donc des entreprises qui souhaitent être des leaders dans l’application de politiques environnementales responsables, à l’instar de Lafarge avec qui elle a entamé une démarche de partenariat effectif depuis plusieurs années. Elle cherche désormais à faire établir le label FSC qui certifie la traçabilité du bois et de la bonne gestion des forêts dans le monde, ce qui l’a poussé à conclure un partenariat avec Carrefour.

En mobilisant l’opinion publique contre certaines pratiques des entreprises qu’elles jugent iniques, les ONG menacent la réputation de ces dernières et par là même leur pérennité.

Les actions des ONG convergent pour pousser les entreprises à élaborer des démarches d’éthique et des politiques de développement durable, en intégrant la notion de responsabilité à leur stratégie globale. En les contraignant à intégrer de nouveaux paramètres dans leur management et leur mode de fonctionnement, les ONG offrent à l’entreprise la possibilité de promouvoir leur réputation sociale et environnementale en se donnant une image respectable auprès de l’opinion publique.

-Chapitre second-

En situation de crise : défendre sa réputation

« Les deux actifs les plus importants de l’entreprise ne sont pas dans son bilan : ses hommes et sa réputation » Henry Ford

Lorsqu’une crise éclate, la menace qui pèse sur la réputation globale de la firme incriminée est forte. La crise est donc un moment critique où la défense de la réputation est plus que jamais d’importance. Cela est d’autant plus vrai que les ONG ne sont plus les seuls acteurs qui mettent l’entreprise sous pression. L’entreprise peut désormais être également sanctionnée par de nouveaux acteurs qui n’agissent pas sur le même registre militant que celui des ONG, mais sont également efficaces: les agences de notation et les fonds et investissements éthiques.

La crise est un moment où plusieurs logiques de communication se mettent en place : celle des ONG (et de ses alliés altermondialistes) d’abord qui tentent de déstabiliser l’entreprise et sa réputation en dénonçant des actes qu’elles jugent répréhensibles, celle des médias ensuite, qui relayent les informations, les étoffent de manière objective et s’en font la caisse de résonance, et enfin celle de l’entreprise qui tente de sauvegarder sa réputation.

On peut alors se demander quelle est l’incidence réelle de l’attaque d’une ONG sur les différentes facettes de la réputation d’une entreprise, qu’elle soit financière (risque boursier), sociale et environnementale (risque d’opinion) ou économique (risque de boycott).

1) Des pressions politiques, économiques et financières sur l’entreprise en progression

La préoccupation progressive des firmes envers leur responsabilité sociale et environnementale fait écho à celle des Etats occidentaux qui sont de plus en plus concernés par la mise en place d’un modèle de développement viable.

Bon nombre de ces Etats ont désormais un Ministère de l’Environnement, parfois baptisé, comme récemment en France, « Ministère de l’Environnement et du Développement Durable ». Au niveau politique européen, le principe de développement durable a été inscrit en 1995 dans le Traité de Maastricht, et renforcé

par la publication d’un Livre Vert sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises à la Commission Européenne. A l’échelle internationale, le PNUD, le PNUE et le BIT se sont également massivement investis dans ces problématiques. Ces politiques posent néanmoins comme principe général l’engagement volontaire des entreprises et n’ont donc pas de caractère contraignant. Mais la responsabilité sociale et le développement durable, c’est-à-dire les facteurs d’amélioration de la réputation sociétale, deviennent de plus en plus un enjeu financier pour les entreprises. Si toutes ne se lancent pas par idéalisme et altruisme dans de telles démarches, elles ont de plus en plus de raisons pragmatiques de le faire. Car si les politiques ne les y contraignent pas, d’autres pressions incitent l’entreprise à s’engager : celle des ONG certes, mais également celle des milieux financiers. Ces pressions fonctionnent parce qu’elles sont soutenues par une opinion publique qui gagne en potentiel de contestation et qui est progressivement plus consciente des conditions sociales et environnementales de fabrication de ses produits. Sous ces pressions, les multinationales intègrent donc progressivement les notions de développement durable, de responsabilité et d’éthique dans leur stratégie globale.