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Médine, jeunesse africaine et perte de repères

Dans le document Itinéraires Littérature, textes, cultures (Page 156-160)

32 Cette rupture de la société africaine d’avec son passé a des conséquences sur la jeune génération africaine contemporaine. En effet, la classe juvénile, de manière générale, se caractérise par une perte de repères dont certaines des plus grandes manifestations sont entre autres : l’acculturation, le goût de l’ailleurs et le tout attaché à un dépaysement sans précédent. En lanceur d’alerte, Médine, se fait éclaireur de cette jeunesse qui manifestement, à cause de l’ignorance de son histoire, manque de modèle en vue de la construction d’une Afrique fière et jalouse de ses valeurs. Les qualités qu’incarne Kunta pourraient alors être capitalisées par la jeunesse pour venir à bout des difficultés qu’elle rencontre au quotidien. Bien qu’il soit cerné par ses bourreaux, Kunta se bat pour sa dignité, sa liberté et celles de son peuple. C’est une attitude que l’Afrique devrait adopter, elle qui est en proie à plusieurs maux majoritairement issus de la colonisation qui a bouleversé ses habitudes socioculturelles et politiques, avec à sa tête des dirigeants qui manifestement ne servent pas toujours le bas peuple.

33 Ce bouleversement se traduit également par la perte des valeurs qui faisaient jadis la fierté du continent. Il y a lieu de se souvenir que la capture de Kunta n’aurait sans doute pas été possible, du moins pas évidente si les jeunes de Djouffouré ne s’étaient pas laissé soudoyer par les esclavagistes. En effet, profitant de leur faiblesse, de leur cupidité, les bourreaux de Kunta vont user de la corruption pour se payer leurs services.

34 À travers ce récital, l’on peut comprendre que Médine va en guerre et condamne cette attitude qui constitue pour l’Afrique, l’un des grands fléaux contribuant à sa stagnation.

Le développement de l’Afrique est à ces jours spolié ; la faute à la mal gouvernance qui érige au plus haut sommet des États, des systèmes qui ne favorisent pas son développement, encore moins le bien-être des populations. Cette manière de faire passe de devenir une norme auprès de ceux qui auront la responsabilité de conduire les affaires républicaines. Les mêmes causes produisant régulièrement les mêmes effets, il y a lieu d’être dubitatif quant à la capacité de cette jeunesse, déjà à l’image de certains gouvernants actuels, de donner un visage reluisant au continent, étant donné que les écarts ont été normalisés, au détriment des normes sociales de bonne gouvernance alors écartées. Ce qui justifie cette interpellation non seulement de la jeunesse africaine, mais aussi des gouvernants, qui semblent vouloir léguer à la postérité un héritage malheureusement empoisonné. Très souvent qualifiée de fer de lance du continent, cette jeunesse devrait s’armer de valeurs à la hauteur des attentes placées en elle.

Conclusion

35 Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de dire que le choix opéré par Médine de consacrer des titres de son riche répertoire musical à deux périodes déterminantes de l’histoire du continent n’est visiblement pas un fait anodin. Il se donne pour objectifs de pointer du doigt ce qui ne va pas, de dénoncer l’immobilisme ainsi que de faire vivre la vérité historique. Prenant appui sur la théorie postcoloniale, on a pu se rendre

compte que Médine, résolument tourné vers un style marqué par son engagement pour une cause juste, à savoir la restitution du véritable passé africain, passe par l’évocation de l’histoire de l’esclavage et celle de la colonisation, pour non seulement dénoncer ce dont ont été victimes les Africains, mais également pour interpeller les uns et les autres à reconnaître leur rôle respectif dans la mise sur pied de ces différentes entreprises d’exploitation. Cette reconnaissance dont il est question est par ailleurs la voie royale pour la réparation des torts causés. Loin d’être une formulation destinée aux seuls bourreaux, l’artiste se fait historien, afin de rendre aux Africains ce qui leur a été caché.

L’objectif étant de stimuler chez eux l’idée d’évolution collective, au moment où, face aux défis multiformes qui les interpellent, les évolutions singulières doivent être bannies. Comme un éclaireur, Médine fait valoir l’histoire comme une force. Ainsi quand le peuple est en manque de repères, il fait usage des grands événements historiques comme boussole. Tout ce combat qu’il livre est la preuve que, les artistes issus du continent africain, dans une logique cathartique, se penchent sérieusement sur l’Afrique malade en laissant dans leurs œuvres, les traces d’une esthétique de la dénonciation, et surtout de la réparation.

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Corpus

Médine, 2008, « Kunta Kinté, enfant du destin », Arabian Panther, Because Music, [En ligne], https://youtu.be/U9p_lJ47a2Q.

Médine, 2012, « Alger pleure », Made in, Because Music, [En ligne], https://youtu.be/

SUA5IVtWoxg.

NOTES

1. Médine, « Kunta Kinté, enfant du destin », Arabian Panther, 2008, v. 32.

2. Sefyu, « La légende », 2006.

3. Cette expression tient de la période esclavagiste pour désigner l’homme blanc.

4. Paul Aussaresses est un ancien général de l’armée française dont le nom reste associé à la torture lors de la guerre d’Algérie. En 2000 il reconnait avoir eu recours à la torture lors de ce conflit de libération.

5. Comme interprétation, cette sagesse africaine veut dire que, si d’aventure vous allez rendre visite à quelqu’un avec une intention belliqueuse, il est fort probable que cette dernière vous accueille avec violence en « légitime défense ».

6. Il s’agit des identités algériennes devenues opaques, noyées dans le mélange avec les réalités socioculturelles françaises pendant la colonisation.

7. Nous faisons usage de cette expression pour traduire l’idée de la construction d’une société dont un diagnostic aurait été fait au préalable, pour mieux identifier les problèmes des populations afin de mieux les résoudre pour une bien meilleure évolution de la société.

RÉSUMÉS

Notre étude vise à montrer comment, dans le processus de restitution du passé africain longtemps occulté, le rap questionne l’histoire afin de relever les zones d’ombre et faire revivre la véritable histoire du continent dans la mémoire collective universelle. L’hypothèse principale

est qu’à travers les titres « Kunta Kinté, enfant du destin » (2008) et « Alger pleure » (2012), Médine, rappeur franco-algérien, rend à l’Afrique les épisodes dissimulés de son passé. L’étude prend appui sur la théorie postcoloniale telle que postulée par Frantz Fanon avec le concept de conscience nationale. Elle aboutit aux résultats suivants : à partir de la thématique de l’impérialisme, de la colonisation, de la guerre, de l’identité, Médine dévoile les atrocités dont ont été victimes les Africains lors de l’esclavage et de la colonisation. En outre, il se fait lanceur d’alerte à l’endroit de la communauté internationale pour une reconnaissance des torts causés, aux fins de réparation. Enfin, en éveilleur de conscience, il interpelle les Africains sur les défis existentiels liés aux conditions d’un développement psychosomatique.

The aim of this article is to analyze how African history is reflected in rap music. Building on Frantz Fanon’s concept of national consciousness, this paper argues that the French-Algerian rap musician Medine explores some hidden episodes of the African past through his songs “Kunta Kinte” (2008) and “Alger pleure” (2012). By doing so, Medine points out the atrocities which Africans underwent during the slavery and the colonial periods and he appeals to the international community to take action in order to restore the lost dignity of Africans. Finally, he calls on the Africans to stand up and face new challenges for their development.

INDEX

Mots-clés : rap, Médine, mémoire, postcolonialisme, impérialisme Keywords : rap, Médine, memory, postcolonialism, imperialism

AUTEUR

JULIEN MOWANG NGOULA Université de Yaoundé I

Performances orales et fabrique des

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