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CHAPITRE I LES POLITIQUES PÉNALES ET LEURS FONDEMENTS

4. Politiques pénales et société

4.2. Médias et construction du crime

Selon les auteurs, les médias ont une influence sur la construction des politiques pénales. La médiatisation du crime, du criminel, du système de justice pénal, ainsi que des débats entourant ces éléments, peut avoir un impact d’une part sur la conception du problème chez les individus et les institutions, et d’autre part sur l’adoption d’une solution sous forme de projet de loi pénal.

Pour plusieurs chercheurs, la façon dont les reportages sur le crime sont assemblés, triés et contextualisés, joue un rôle dans la prise de conscience publique concernant les « conditions » devant être considérées comme un problème urgent, le type de problème qu’elles représentent, et la façon de les résoudre (Sacco, 1995). La relation entre attention particulière des médias à la criminalité et peur du crime a reçu beaucoup d’attention, mais selon Sacco (1995), il semblerait que l’effet le plus significatif de la couverture médiatique du crime ne soit pas sur les opinions individuelles mais plus globalement de l’ordre des idéologies. En restreignant et dictant les termes du débat public, les médias faciliteraient la marginalisation de points de vues concurrents concernant le crime et sa solution (Sacco, 1995). Ainsi, le crime, tout comme plusieurs autres préoccupations, est vécu de façon personnelle, privée et, en même temps, comme une problématique d’ordre collectif. Ces deux dimensions ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. D’une part, nos expériences personnelles avec la criminalité établissent la fondation sur laquelle se construisent les préoccupations sociales face à certains problèmes. D’autre part, les avertissements d’un danger imminent, implicitement exprimés dans les messages publics concernant la gravité et la récurrence du crime, peuvent être en soi une source de problèmes personnels en exacerbant la peur du crime parmi ceux qui sont fréquemment exposés à de tels messages. En partant de cette perspective, Sacco (1995) indique que les médias sont ainsi essentiels à l’interaction entre ces deux dimensions.

La littérature illustre l’écart entre la criminalité telle que présentée dans les statistiques officielles et celle que l’on retrouve dans les médias. En ce sens, les bulletins de nouvelles fournissent une carte mondiale d’événements criminels qui diffèrent sur plusieurs points des statistiques officielles sur la criminalité. Les statistiques démontrent que la plupart des crimes sont non-violents. Par contre, l’image répandue par les médias illustrerait que, dans l’ensemble, il s’agit du contraire (Jewkes, 2004). Les personnes impliquées sont également peint différemment dans les médias, l’image véhiculée de la victime et du contrevenant étant fréquemment en désaccord avec les statistiques officielles (Surette, 2011). Il y a aussi discordance entre les deux sources concernant le crime et le contrôle légal exercé. C’est ce que Roberts et al. (2003) nomme le « framing », terme qui réfère à la façon dont les

événements criminels sont présentés par les médias. Cet auteur explique que les médias ont tendance à présenter le crime comme des épisodes particuliers au lieu d’un thème global afin de susciter une attribution individualiste de la responsabilité de l’acte (Roberts et al., 2003). Par ailleurs, le jugement professionnel des médias dans le choix de ce qui mérite de faire les actualités ainsi que l’utilisation sélective de certaines sources d’informations permet à certains groupes privilégiés, notamment la police, de faire valoir leur point de vue sur ce qui constitue ou non un problème, ainsi que la façon la plus adéquate pour y faire face (Sacco, 1995; Surette, 2011). En ce sens, la promotion de la perspective de contrôle social privilégiée par les corps policiers, un claims-maker, est facilitée par les médias (Surette, 2011). Dans d’autres cas, plutôt que de relater la version de sources privilégiés, les médias participent à la construction de problèmes publics. En ce sens, après la médiatisation accrue d’une problématique, les médias établissent un certain agenda priorisant la diffusion de ce type d’événements dans toutes les organisations médiatiques. Par exemple, dans les années 1980, un seul journal de Chicago a décidé de publier un cahier sur le viol, ce qui a mené à une augmentation importante d’histoires portant sur le viol dans toutes sources médiatiques par la suite, sans qu’il y ait eu une augmentation de ce type de crime dans les statistiques officielles (Sacco, 1995). Les médias ont donc participé à une intensification de la problématique sur la scène publique.

Les constructions médiatiques du crime abordent deux dimensions : la fréquence et les fondements de l’expérience personnelle de chacun face au crime (Sacco, 1995). Les discours médiatiques qui évoquent ces dimensions servent à informer, ou plutôt alerter le public quant à la gravité de problèmes spécifiques de criminalité et la nécessité d’y faire face d’une façon particulière. La présentation d’un nombre élevé de problèmes spécifiques liés au crime rend convainquante l’idée que des problèmes sociaux existent bel et bien. D’une part, selon le vocabulaire employé, la criminalité est souvent relatée comme étant « une vague », une « épidémie » ou autres (Sacco, 1995). D’autre part, les caractéristiques de l’activité criminelle racontée par les médias sont toutes aussi importantes que la fréquence comme telle. Il s’agit de la contextualisation du crime, ainsi que les responsables de sa prise en charge. D’abord, un problème peut être présenté sous plusieurs angles, et l’approche choisie implique une attribution causale différente ainsi que des solutions variées. Comme mentionné précédemment les médias viennent en quelque sorte légitimer les perspectives de certains claims-makers. Ces groupes cherchent à s’approprier le problème, et leur place dans les reportages médiatiques servirait à renforcer cette acquisition de l’événement. Par exemple, en raison de leur accès aux médias et aux statistiques, les forces de l’ordre s’approprient prioritairement la conceptualisation d’un acte criminel (Surette, 2011).

De ce fait, dépendamment des sources utilisées ou de la manière de présenter les faits, le problème et la solution peuvent prendre différentes formes dans les médias et ainsi, dans l’opinion publique. Un viol peut être perçu comme un crime sexuel isolé ou comme un problème de violence, ou même comme un problème de santé; Un problème de drogue peut être perçu comme la victimisation effectuée par les vendeurs, comme un problème de disponibilité du produit ou comme l’élargissement du filet pénal; et finalement la délinquance juvénile peut être présentée comme un problème nécessitant une réponse punitive ou nécessitant le développement bienveillant d’une communauté (Sacco, 1995).

À la lumière de ces études, l’opinion personnelle peut donc être influencée par les médias, source d’information qui a une réputation de relaté la réalité tandis que parfois, ce n’est pas le cas. En choisissant les informations qu’ils présentent au public, ainsi que les sources desquelles elles proviennent, les médias véhiculent leur propre image de la criminalité.

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