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1.2 Deutération et fractionnement du méthanol

1.2.3 Le méthanol : exemple d’une deutération sélective

1.2.3.2 Les mécanismes existants

Devant l’échec du modèle deCharnleyet al. (1997) basé sur l’addition d’atomes

H et D sur CO, pour expliquer notamment les observations dePariseet al. (2006) et

les énigmatiques rapports

[CH2DOH]

[CH3OD]

, la communauté scientifique a cherché d’autres

hypothèses et d’autres voies de deutération.

Parmi elles, il n’était pas exclu que des réactions en phase gaz puissent, une fois

le méthanol sublimé, favoriser un des isotopologues simplement deutérés au

détri-ment de l’autre, et de fait altérer le degré de deutération, originelledétri-ment présent sur

les grains (e.g. Charnley et al. ,1997; Osamuraet al. ,2004).

Osamura et al. (2004) proposa alors que CH

3

OD puisse être détruit

préférentielle-ment dans la phase gazeuse via des réactions de protonations. Ces réactions

condui-raient effectivement à la formation des ions CH

2

DOH

+

2

et CH

3

ODH

+

, qui par la

suite seraient soumis à une recombinaison dissociative. Dans un cas (CH

2

DO

+

2

), la

réaction avec les électrons permettrait la réapparition de CH

2

DOH. En revanche,

dans l’autre cas (CH

3

ODH

+

) deux voix synthèses seraient possibles par cette

recom-binaison, l’une formant CH

3

OD et la seconde CH

3

OH, réduisant consécutivement

l’abondance de CH

3

OD dans la phase gaz. Ce mécanisme, certes jamais confirmé,

permettrait d’expliquer les observations en direction des protoétoiles de faible masse.

Dans les environnements stellaires massifs, des processus d’isomérisation en phase

gaz avaient également été proposés par Charnley et al. (1997). Cette

interconver-sion était à priori susceptible de contraindre l’abondance de CH

3

OD a une valeur

voisine de CH

2

DOH, telle qu’observée dans Orion IRc2. Toutefois les calculs

quan-tiques d’Osamura et al. (2004) ont démontré que les réarrangements internes du

méthanol deutéré ou non (sous sa forme neutre, ionique ou protonné) ne peuvent

se produire efficacement à basse température (<300 K). Autrement dit,

l’intercon-version en particulier entre CH

3

OD et CH

2

DOH, par mobilité du deutérium d’un

groupe chimique fonctionnel du méthanol à l’autre, n’est pas plausible.

Outre la chimie en phase gaz suggérée ci-dessus, une chimie en phase solide était

également envisagée et sans conteste plus concluantes. En effet, de récentes

expé-riences, basées sur des substitutions isotopiques H/D dans des solides de glaces,

étaient et sont toujours potentiellement capables de produire un fractionnement en

deutérium pour le méthanol comparable aux observations vers les protoétoiles de

faible masse.

En particulier, Nagaoka et al. (2005) ont démontré par spectroscopie infrarouge

à transformée de Fourier que lors du bombardement d’un solide de méthanol pur

(10 K) avec des atomes froids de deutérium (10 K), il se forme successivement, au

fur et à mesure de la consommation de CH

3

OH, les espèces suivantes : CH

2

DOH,

CHD

2

OH et CD

3

OH (Nagaoka et al. ,2005) :

CH

3

OH→CH

2

DOH→CHD

2

OH→CD

3

OH (1.44)

En revanche, aucun isotopologue deutéré du methanol contenant du deutérium

sur sa fonction hydroxyle (e.g. CH

3

OD, CH

2

DOD,...), n’est observé au cour de cette

expérience. Pour autant, ces espèces pourraient demeurer présentes mais leur faible

niveau de concentration ne permettrait simplement pas leur détection. L’absence de

1.2. Deutération et fractionnement du méthanol 33

CH

3

OD serait alors en accord avec les observations vers les protoétoiles de faible

masse (Parise et al. ,2006) pour lesquelles l’abondance de cette espèce est

signifi-cativement en deçà de celle de son homologue simplement deutéré CH

2

DOH. Cette

nouvelle voie de deutération du méthanol (solide de méthanol soumis à un flux

d’atomes de deutérium) pourrait ainsi permettre au rapport

[CH2DOH]

[CH3OD]

de s’accroître

au delà de la valeur prédite par le modèle de chimie sur le grain (Charnley et al. ,

1997).

En résumé, suite à la deutération et l’hydrogénation du CO, le rapport

[CH2DOH] [CH3OD]

dans les manteaux de glace des grains cosmiques seraient initialement à 3 (

Charn-ley et al. , 1997). Mais ce-dernier pourrait et devrait s’élever lorsque le méthanol

formé au cours de l’évolution de ces manteaux, subirait à son tour un bombardement

d’atomes de deutérium.

Le mécanisme à l’œuvre dans l’expérience de Nagaoka et al. (2005) est la

sub-stitution H-D. Cette subsub-stitution semble se produire par extraction de H suivie

d’une addition de D (e.g. CH

3

OH + DCH

2

OH + HD, CH

2

OH + DCH

2

DOH

plutôt que par échanges isotopiques directs (e.g. CH

3

OH + D CH

2

DOH + H).

Ces processus ont en effet été examinés en utilisant des calculs (méthode ab initio)

pour la phase gaz. Les barrières de potentiels ainsi obtenues sont plus importantes

dans le cas de substitutions isotopiques directes (e.g.Osamuraet al.,2004;Kerkeni

& Clary,2004).

En ce qui concerne le méthanol deutéré, les expériences de Watanabe (2005) ont

montré que quelque soit le flux d’atomes H advenant à la surface des isotopologues

deutérés du méthanol, l’hydrogénation de ces molécules ne se produit jamais. Cela

pourrait impliquer que dans les conditions interstellaires (10-20 K), lorsque le

mé-thanol se deutère sur les grains, il ne retourne jamais à sa forme précédente par

réaction avec les atomes H. L’extraction d’atomes de deutérium du méthanol

deu-téré par des réactions avec H possède justement une barrière énergétique élevée en

comparaison à l’extraction d’atomes d’hydrogène par des réactions avec D. Pour

exemple, l’abstraction de D de CD

3

OD dans la phase gaz possède une hauteur de

barrière d’environ 5000 K. Pas étonnant qu’aux températures d’étude 10-20 K (

Wa-tanabe,2005), l’hydrogénation du méthanol deutéré ne se produise jamais.

Comme nous venons de l’évoquer, en s’appuyant sur de récentes études

expérimen-tales, la deutération du méthanol peut procèder en phase solide par substitution

H/D. Ce mécanisme n’est pas seulement démontré avec cette espèce.

Il est en effet prouvé que l’exposition d’un solide de formaldehyde deutéré n fois, à

des atomes D et H froids (10K), produit à travers des réactions d’échanges

isoto-piques (Watanabe,2005) :

• du formaldehyde deutéré n+1 fois (n=0,1). Le niveau de deutération de cette

molécule augmente alors.

du formaldehyde deutéré n-1 fois (n=2). Le niveau de deutération de cette

molécule diminue alors. Ce résultat est en opposition avec le méthanol pour

lequel l’hydrogénation de l’isotopologue deutéré n’était pas observé.

Plus récemment, Hidaka et al. (2009) a repris le même genre d’étude et montré

que du formaldéhyde présent à la surface d’une glace amorphe d’eau (10 et 20 K)

et exposé à des atomes D se deutère également. Basés sur des calculs quantiques,

Goumans (2011) a étudié en phase gaz, en deçà de 50 K les réactions d’extraction

et d’addition suivantes :

X + Y

2

CO→XY

2

CO (1.45)

X + Y

2

CO→XY + YCO (1.46)

avec X,Y = H,D

Pour ces deux réactions, le passage de la barrière de potentiel implique le

mou-vement des atomes d’hydrogène et l’effet tunnel joue donc un rôle majeur.

Ils montrent que le bombardement de Y

2

CO par des atomes d’hydrogène ou de

deutérium conduit très souvent à la perte pour cette molécule d’un atome Y plutôt

qu’à l’addition directe d’un atome d’hydrogène ou de deutérium. Les constantes de

vitesses sont en effet plus grandes dans le cas d’extraction d’atomes, à l’exception

de la réaction H + D

2

CO plus favorable à l’addition cependant. Ces résultats sont

en accord avec les conclusions de Watanabe(2005) etHidakaet al. (2009).

Goumans(2011) discutent également l’effet des molécules d’eau sur ces réactions en

phase solide en dessous de 50 K. L’eau semble réduire l’efficacité des réactions par

addition au profit de celles par abstraction. Autrement dit des glaces riches en eau

favoriseraient les réactions d’abstraction tandis que les glaces apolaires rendraient

plus efficaces les réactions d’addition.

En résumé, ces travaux théoriques confirment que dans les conditions interstellaires

la deutération du formaldéhyde et du méthanol pourrait procéder avant tout via des

réactions d’abstraction. Les calculs quantiques deGoumans(2011), s’appuyant donc

sur le mécanisme proposé par Nagaoka et al. (2005) et Watanabe(2005), semblent

de plus capables :

de reproduire les abondances observées pour le méthanol et le formaldéhyde

deutérés dans les protoétoiles de faible masse

• et d’expliquer de fait la deutération sélective du méthanol.

Si la deutération du méthanol pourrait procéder par substitution H/D directement

dans le solide de méthanol présent à la surface des grains cosmiques, elle ne se

produit que très difficilement à partir du formaldéhyde. Hidaka et al. (2009) ont

en effet démontré expérimentalement que l’addition d’atomes D sur du

formaldé-hyde, présent à la surface d’une glace amorphe d’eau à 10 et 20 K, ne permet pas

de produire les isotopologues deutérés suivants : CH

2

DOH, CHD

2

OH et CH

3

OD,

pourtant observés dans plusieurs sources protostellaires (cf Tab. 1.5). Quant à

l’ad-dition d’atomes H sur du formaldéhyde deutéré, D

2

CO, ce procédé permet certes de

former du CH

2

DOH mais également et en compétition du CH

3

OH. Ces auteurs en

concluaient et nous en concluons logiquement que l’addition de deutérium et

d’hy-drogène sur du formladéhyde H

2

CO et D

2

CO n’est à priori qu’une voie de synthèse

mineure dans la deutération du méthanol.

In fine, Weber et al. (2009) a montré à partir d’un précurseur du méthanol,

CH

4

, que des substitutions isotopiques H/D peuvent également se produire dans

une glace d’eau et de méthane par des processus énergétiques tels que la photolyse

UV. Ils montrent que les échanges se produisent dans ce cas par un mécanisme

radicalaire qui implique que presque toutes les espèces organiques peuvent transférer

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