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Mécanismes de neurotoxicité des organochlorés

CHAPITRE II : RECENSION DES ÉCRITS

2.1 Mise en contexte

2.4.3 Mécanismes de neurotoxicité des organochlorés

Les PCB et pesticides organochlorés initient leurs effets neurotoxiques par des mécanismes non entièrement élucidés. La toxicité en général des PCB varie selon leur nombre de chlore et leur configuration spatiale (McFarland and Clarke 1989). Selon Ma et Sassoon, la compréhension des mécanismes globaux des effets toxiques produits par les PCB est illusoire étant donné leurs multiples modes d’action potentiels (Ma and Sassoon 2006). Quant aux pesticides organochlorés, peu d’études ont également cherché à comprendre les mécanismes neurotoxiques qui leur sont associés. Plusieurs hypothèses ont été toutefois émises et font toujours objets de spéculation. Le plus célèbre et largement utilisé des pesticides organochlorés est le DDT, un neurotrope qui altère le fonctionnement des canaux sodium indispensables à la transmission de l’influx nerveux (Keifer and Firestone 2007).

Mécanisme via le récepteur Ah : Le mécanisme relatif au récepteur Ah a trait au cas particulier des PCB dioxin-like. Le récepteur Ah est présent dans beaucoup d’organes et tissus dont le cerveau (Hays et al. 2002; Kainu et al. 1995). Le mécanisme moléculaire classique de toxicité précédemment mentionné semble ne pas s’appliquer dans le cas de la neurotoxicité (Akahoshi et al. 2006; Akahoshi et al. 2009; Huang et al. 2000; Kainu et al. 1995; Seegal 1996; Tilson and Kodavanti 1998; Tilson et al. 1998). L’activation du récepteur Ah par des PCB dioxin-like induit des lésions neuronales par un mécanisme largement inconnu (Kajta et al. 2009). L’activation est suivie d’une apoptose dans les tissus du néocortex et l’hippocampe (Kajta et al. 2009). Il semble toutefois qu’il existe un lien étroit

relation structure-activité, on peut hypothétiser que les PCB similaires à la dioxine pourraient partager le même mécanisme que la 2,3,7,8-TCDD. Ainsi donc, sous réserves, les conclusions des études de neurotoxicité effectuées sur la 2,3,7,8-TCDD pourraient s’appliquer à ces PCB. Les mécanismes de toxicité de la 2,3,7,8-TCDD sur le système nerveux n’ont pas été non plus bien étudiés, mais il a été suggéré que la 2,3,7,8-TCDD régule directement le système dopaminergique par la transactivation des gènes associés à la tyrosine hydroxylase sous le contrôle de l’Aryl hydrocarbon receptor responsive element III (Ah-AHRE-III). Ce mécanisme diffère de la classique voie toxicité sous le contrôle du Aryl hydrocarbon receptor-xenobiotic-responsive element (AhR-XRE) (Akahoshi et al. 2009).

Mécanisme via des fluctuations anormales des hormones thyroïdiennes : La thyroxine (T4) et la 3,3’,5-triiodothyronine (T3), deux hormones synthétisées dans la glande thyroïdienne à partir de l’iode provenant du sang, sont liées aux protéines comme la thyroxin-binding globulin (TBG), la transthyrétine et l’albumine dans un ordre décroissant d’affinité (Capen 1992, 1994; Kivipelto et al. 2008). La transthyrétine est la seule protéine plasmatique liant les hormones thyroïdiennes et synthétisée à la fois dans le cerveau et le foie (Herbert et al. 1986). Il a été montré qu’elle joue un rôle dans le transport de la T4 à travers la barrière hémato-encéphalique (Schreiber et al. 1995; Southwell et al. 1993). Elle joue également un rôle essentiel dans la détermination de la T4 libre dans l’espace extracellulaire du cerveau, qui est indépendant de l’homéostasie de la T4 dans l’organisme (Schreiber et al. 1995) .

L’exposition aux PCB conduit à une fluctuation non physiologique des hormones thyroïdiennes circulant chez la souris durant le développement (Crofton et al. 2000; Morse et al. 1993) et chez l’adulte (Kodavanti et al. 1998a; Porterfield 2000). Les hormones thyroïdiennes sont affectées par les PCB, dioxines et furanes (Koopman-Esseboom et al. 1994; Langer et al. 1998), et ce, possiblement par trois mécanismes : 1) la substance agit directement sur la glande thyroïdienne en diminuant la synthèse des hormones thyroïdiennes (Collins and Capen 1980); 2) la réduction des hormones thyroïdiennes peut être due à une augmentation des excrétions biliaires de T4 due à une induction de l’UDP-glucuronyltransférase (Van Birgelen et al. 1995) ; 3) le PCB est capable de déplacer le ligand naturel T4 en se liant à sa place à la transthyrétine (Chauhan et al. 2000; Lans et al. 1993). La grande affinité des POP à la transthyrétine peut être le facteur clef dans la production des effets

toxiques (Yang et al. 2010). Puisque les hormones thyroïdiennes ont un grand effet bénéfique sur les fonctions cérébrales des personnes de tous âges (Larsen et al. 2003), toute diminution ou fluctuation anormale de ces hormones n’est certainement pas sans conséquence sur l’activité neuronale.

Mécanisme via la perturbation de l’homéostasie des ions calcium : La concentration du Ca2+ libre dans le liquide extracellulaire est rigoureusement maintenue dans des limites étroites pour une bonne régulation des neurones. Une augmentation de Ca2+ extracellulaire stimule la formation et l’accumulation d’inositol phosphate ainsi que la mobilisation de Ca2+ intracellulaire (Kodavanti et al. 1998a). L’exposition aux PCB altère la répartition intracellulaire du Ca2+ et conduit à une perturbation de l’homéostasie du Ca2+.Les PCB peuvent atteindre les terminaisons nerveuses par les canaux calciques pendant la stimulation nerveuse (Lipton and Rosenberg 1994; Zhang and Lipton 1999). Les PCB pourraient aussi mobiliser l’ion Ca2+ des réserves intra terminaisons (les mitochondries), provoquant une élévation de la concentration de Ca2+ dans les terminaisons, qui à son tour favoriserait la libération prolongée du neurotransmetteur des terminaisons nerveuses dépolarisées (Zhang and Lipton 1999).

Les PCB engendrent aussi directement leur action neurotoxique par excitotoxicité. L’excitotoxicité est médiée par l’influx des ions Ca2+. Un dysfonctionnement du complexe I de la mitochondrie suite à l’exposition aux PCB entraînant une perte d’ATP, laquelle réduit la fonction ATPase Na+/K+. Il en résulte une dépolarisation neuronale partielle et une diminution du blocage voltage-dépendant du récepteur NMDA au glutamate. Ceci conduit à un processus pathologique d’altération et de destruction neuronale par hyperactivation de l’acide glutamique et ses analogues des récepteurs NMDA et AMPA (α-Amino-3-hydroxy-5-méthylisoazol-4-propionate). Il s’ensuit une entrée massive d’ions Ca2+ à l’intérieur du neurone qui iraient interférer avec la production cellulaire d’énergie. Les ions Ca2+ activent à leur tour un certain nombre d’enzymes dont des phospholipases C, des endonucléases et des protéases. Ces enzymes dégradent alors les structures cellulaires : cytosquelette, membrane cellulaire et ADN.

Les PCB non coplanaires augmentent également la concentration des ions Ca2+ intracellulaires par une hyperactivation des récepteurs de la ryanodine (Howard et al. 2003; Schantz et al. 1997; Wong

et al. 1997) qui sont des homotétramères insérés dans la membrane du réticulum endoplasmique. Chaque monomère comporte quatre hélices transmembranaires. L’ensemble définit un canal calcique permettant le largage des ions Ca2+ de la lumière du réticulum vers le cytosol. Le canal est activé par les ions Ca2+ eux-mêmes ou par la ryanodine. En augmentant ainsi la concentration des ions Ca2+ intracellulaires, les PCB perturbent grandement l’homéostasie des ions Ca2+.

Ainsi, la perturbation de l’homéostasie des ions Ca2+ est le point commun de plusieurs mécanismes aboutissant à la toxicité ou à la mort neuronale observées chez l’animal et chez l’humain.

Mécanisme via les récepteurs GABAA : La forte affinité et la stéréospécificité qu’ont les récepteurs

GABAA pour les pesticides organochlorés, plus particulièrement les cyclodiènes suggèrent que ces récepteurs sont des cibles principales de leur neurotoxicité (Gant et al. 1987). Les récepteurs GABAA sont constitués de cinq sous-unités (α1-6, β1-4, Υ1-3, δ, ρ1-2), chacune d’entre elles comporte quatre hélices transmembranaires, qui définissent un canal sélectif de l’entrée des ions Cl-. La liaison du GABA à ces récepteurs canaux anioniques entraîne une augmentation de l’entrée des Cl-, produisant une hyperpolarisation de la membrane neuronale qui diminue le potentiel d’action initié par les neuromédiateurs excitateurs (McKernan and Whiting 1996). Les pesticides organochlorés cyclodiènes, comme la dieldrine, inhibent l’action de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) en bloquant le canal Cl- des récepteurs GABAA chez le modèle animal (Liu et al. 1997b). Cette action rend le système nerveux en développement particulièrement vulnérable à ces neurotoxines qui peuvent interférer avec l’action régulatrice des autres neurones (sérotoninergiques, et dopaminergiques) par le GABA (Liu et al. 1997a) et altérer l’expression des récepteurs GABAA (Liu et al. 1998). À l’instar de la dieldrine, les mécanismes de neurotoxicité d’autres pesticides organochlorés ne sont pas complètement élucidés.

Mécanisme via la voie des catécholamines : Les monoamines forment une classe de neurotransmetteurs très répandus qui comprend la dopamine, l’adrénaline, la noradrénaline et la sérotonine. De plus, on distingue deux sous-classes de monoamines : les catécholamines (dopamine, adrénaline et noradrénaline) et les indoleamines (sérotonine).

La dopamine, présente dans plusieurs régions cérébrales dont la plus importante est le striatum, est un neurotransmetteur impliqué dans de nombreuses fonctions du système nerveux central dont l’activité cognitive, la motivation, la récompense, l’attention et l’apprentissage. Toute modification dans la neurotransmission dopaminergique se traduit par des effets néfastes sur une variété de processus cérébraux, laquelle peut conduire à un désordre comportemental débilitant (Jones and Miller 2008). La L-tyrosine, un acide aminé précurseur des trois catécholamines, est convertie en L- DOPA sous l’action de la tyrosine hydroxylase. La L-DOPA est décarboxylée par la L-acide amino aromatique décarboxylase en dopamine. Après avoir été synthétisée, la dopamine est stockée dans des vésicules synaptiques par les transporteurs vésiculaires des monoamines 2 (VMAT2); en réponse à un potentiel d’action, la dopamine est libérée dans la fente synaptique où elle active des récepteurs post synaptiques couplés à des mécanismes de signalisation cellulaire. L’action de la dopamine dans la fente est inactivée par sa recapture dans les terminaisons nerveuses présynaptiques ou dans les cellules gliales avoisinantes par un transporteur de dopamine (DAT). Elle est par la suite métabolisée par la catéchol-o-méthyl transférase (COMT) et la monoamine oxydase (Jones and Miller 2008). Vu la complexité et l’interconnexion des processus impliqués dans la signalisation dopaminergique, l’altération d’une seule étape pourrait avoir un effet sur les autres processus. Ainsi, l’exposition aux PCB ortho-substitués est liée à une variété de désordres fonctionnels au niveau du système nerveux. L’impact de ces PCB sur le système dopaminergique est basé sur la réduction extracellulaire du taux de dopamine (Seegal et al. 1990), conséquence directe de l’inhibition de la synthèse de dopamine (Choksi et al. 1997). De récents travaux (Mariussen et al. 2001; Mariussen and Fonnum 2001; Mariussen et al. 1999) ont montré l’implication du DAT et du VMAT2 comme cibles potentielles des PCB. La dopamine cytosolique n’est pas séquestrée dans les vésicules présynaptiques, ce qui conduit à une élevation du métabolisme dans la cellule terminale et la réduction de son niveau extracellulaire. Il a été montré in vivo que l’Aroclor 1260, un mélange commercial contenant 60% de chlore, perturbe la fonction de la dopamine par altération de l’expression du DAT et du VMAT2 (Richardson and Miller 2004). Une telle altération peut nuire à la séquestration et au stockage de la dopamine, ce qui conduit à des taux élevés de dopamine dans le cytoplasme où elle est prête à former, possiblement par la réaction de Fenton, des produits oxydés comme l’acide 3,4-dihydroxyphenylacétique et des espèces réactives oxygénées. La présence de ces radicaux libres dans le cytoplasme conduit à un stress oxydatif qui crée des dommages aux neurones dopaminergiques et possiblement la mort neuronale (Lee et al. 2006). Rappelons que

l’inhibition du VMAT2 ne dérégule pas seulement les niveaux intracellulaires de la dopamine mais aussi ceux des autres catécholamines au niveau des terminaisons nerveuses (Mariussen et al. 1999).

L’exposition à la dieldrine entraîne une altération de l’activité des transporteurs impliqués dans la signalisation dopaminergique. En effet, la dieldrine augmente l’expression des DAT et VMAT2 dans le striatum de souris (Miller et al. 1999a; Miller et al. 1999b). Les études in vitro montrent que la dieldrine et l’heptachlor, deux cyclodiènes, inhibent le VMAT2 (Miller et al. 1999a) et stimulent la recapture de la dopamine par le DAT (Purkerson-Parker et al. 2001). On peut en déduire que la recapture de la dopamine couplée à l’inhibition de la séquestration vésiculaire, pourrait permettre une oxydation des molécules dopamine non séquestrées à des espèces réactives de l’oxygène et des quinones, ce qui conséquemment augmenterait le stress oxydatif et l’initiation de l’apoptose neuronale des neurones dopaminergiques (Hatcher et al. 2007; Kanthasamy et al. 2005; Kanthasamy et al. 2008; Kitazawa et al. 2003; Richardson et al. 2006; Richardson et al. 2008).

Mécanisme par l’activation de la microglie : Il a été suggéré que l’activation de la microglie est associée à une neurodégénérescence dopaminergique. La microglie activée libère des facteurs neurotoxiques comme les cytokines, les espèces oxygénées réactives qui créent un dommage oxydatif dans les neurones dopaminergiques en induisant leur apoptose (Mao et al. 2007; McGeer and McGeer 2004; Reale et al. 2009; Whitton 2007). Mao et al. (2007) ont rapporté les mêmes observations suite à l’exposition de culture de cellules microgliales murines à la dieldrine. Par ailleurs, il est à mentionner que de récentes études ont montré que l’exposition aux PCB non coplanaires chez le modèle animal a des effets négatifs sur le système cholinergique muscarinique (Coccini et al. 2006; Juarez de Ku et al. 1994).

En conclusion, les PCB et les pesticides organochlorés initient leur action neurotoxique par les mêmes mécanismes physiopathologiques conduisant à la démence ou à la MA précédemment décrits à la section 2.2.1.3 de ce chapitre. La figure 7 montre une vue globale des mécanismes de neurotoxicité de l’exposition aux OC.

Figure 7 : Schéma récapitulatif des séquences pathophysiologiques entre l’exposition aux organochlorés et l’expression de la neurotoxicité

2.5 Études épidémiologiques : exposition aux organochlorés

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