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2.2 Phénomène d'autocicatrisation naturelle

2.2.3 Mécanismes de l'autocicatrisation naturelle

Contexte

L'identication des mécanismes impliqués dans l'autocicatrisation naturelle a été le sujet de nombreux articles, comme celui de Clear [20], de Hearn [47] ou de Edvardsen [35]. Clear [20] en 1985 a été l'un des premiers auteurs à identier les processus en ÷uvre dans l'autocicatrisation naturelle. Des mesures de débit d'eau ont été eectuées à travers une ssure, dont les dimensions initiales étaient bien connues. C'est la diminution du débit au cours du temps, qui a permis de mettre en évidence le phénomène de l'autocicatrisation naturelle. Le principal mécanisme semble être la déposition de carbonate de calcium (sous forme de calcite), identiée en examinant la surface des ssures. Cependant, ces dépôts de calcite sont inexistants dans les premiers jours durant lesquels une baisse du débit se produit. Clear [20] suggère alors l'existence d'un autre mécanisme. L'auteur impute cette diminution initiale de débit au colmatage mécanique des pores par des particules en suspension.

L'étude de Hearn [47] cherche aussi à identier la cause de la baisse du débit d'eau observé lors des tests de perméabilité. Parmi les précédents travaux mentionnés dans la littérature, Hearn [47] distingue plusieurs causes potentielles, dont les trois suivantes :

- Le gonement de la pâte de ciment hydraté ;

- le colmatage mécanique des pores par des particules en suspension ;

- les interactions entre l'eau et la pâte de ciment, dont les trois types de réactions envisagées sont :

- L'hydratation du ciment anhydre résiduel ;

- la dissolution et la déposition d'hydrates, tels que l'hydroxyde de calcium, ou la portlandite (Ca(OH)2) ;

- la carbonatation du Ca(OH)2 dissous, conduisant à la formation de carbonate

de calcium.

Des observations par Jacobsen [57] montrent la présence de dépôts d'hydroxyde de ma- gnésium Mg(OH)2 qui remplissent les ssures. Ce produit ne se formerait que dans des

conditions particulières, en présence d'eau de mer par exemple qui contient des quantités notables de magnésium.

Parmi tous ces mécanismes proposés, certains sont réversibles, et d'autres n'orent pas d'amélioration des caractéristiques mécaniques. Ainsi, le gonement de la pâte de ciment hydratée ne résulterait, selon Hearn [47], que du processus de saturation des échantillons, causant l'expansion des couches de gel de C-S-H. Le phénomène serait donc de courte durée et n'orirait pas de meilleures propriétés mécaniques. De même, le colmatage mécanique des pores par des particules en suspension ne se traduit que par une diminution de la perméabilité, sans apport de résistance.

L'autocicatrisation naturelle, qui permet un recouvrement, même partiel, des propriétés mécaniques, semble être principalement le résultat de deux phénomènes :

- L'hydratation du ciment anhydre résiduel ; - la carbonatation du Ca(OH)2 dissous.

Hydratation secondaire

Jacobsen [58], en procédant à des observations au microscope électronique à balayage, a identié des produits de ré-hydratation dans les ssures en cours de cicatrisation. Les produits identiés sont des silicates de calcium hydraté, (C-S-H), et, dans une moindre mesure, de la portlandite (Ca(OH)2) et de l'ettringite. La thèse de Ismail [55] conrme

ces observations. Les produits d'hydratation forment des ponts entre les deux lèvres de la ssure. Les caractéristiques mécaniques du C-S-H, sa compatibilité avec le matériau exis- tant, expliquent la restauration de la résistance et de la rigidité des bétons autocicatrisés. Son apparition résulte de l'hydratation du ciment anhydre résiduel présent dans la matrice cimentaire. La ssuration a rendu possible l'exposition à l'eau des grains de ciment. Ismail [55] a en eet observé ces produits nouvellement formés dans des bulles d'air, où l'eau a pu se loger facilement (Figure 2.1).

Figure 2.1 Produits d'hydratation, ettringite et portlandite, au sein d'une bulle d'air. [55]

Carbonatation

Les observations au microscope et par diraction aux rayons X ont révélé, en plus des produits d'hydratation du ciment, la présence de carbonate de calcium, CaCO3. Selon

Edvardsen [35], il s'agirait du principal mécanisme de l'autocicatrisation naturelle. La formation de carbonate de calcium résulte de la réaction entre les ions calcium et des ions carbonate ou bicarbonate.

Les ions bicarbonate, HCO−

3, et carbonate, CO 2−

3 proviennent de la dissolution du dioxyde

de carbone dans l'eau, comme l'indique l'équation (2.1). L'équilibre de la réaction est fortement dépendant du pH.

CO2+ H2O  H2CO3  H++ HCO3− 2H +

+ CO2−3 (2.1) La précipitation de carbonate de calcium, selon la valeur du pH, provient de l'une des deux réactions suivantes, décrites dans les équations (2.2) et (2.3) :

Ca2++ CO2−3 → CaCO3 avec : pH de l'eau > 8 (2.2)

Ca2++ HCO−3 → CaCO3+ H+ avec : pH de l'eau < 8 (2.3)

Ces réactions chimiques permettent d'ores et déjà de déterminer des facteurs susceptibles de favoriser la précipitation de CaCO3 :

- Le pH de l'eau,

- L'augmentation de la température de l'eau,

- La chute de la pression partielle de CO2 dans l'eau.

Des mesures chimiques ont permis à Edvardsen [35] d'identier le réactif limitant dans la précipitation du CaCO3. Les ions CO2−3 et HCO

3 n'étant pas tous consommés, ce sont les

ions calcium qui vont limiter la réaction.

La gure 2.2 présente les concentrations à l'équilibre à saturation des ions Ca2+, CO2− 3

et HCO−

3 en fonction du pH. Elle permet de déterminer la valeur optimale du pH pour

laquelle la concentration en d'ions calcium nécessaire pour la précipitation de CaCO3 est

la plus basse.

Cette valeur de pH, d'environ 9,8 est à comparer avec le pH de la pâte de ciment hydratée, de l'ordre de 13, et le pH de l'eau en circulation dans les ssures, entre 5,5 et 7,5. Ces valeurs

Figure 2.2 Concentrations à saturation des ions Ca2+, CO2−

3 et HCO −

3 en fonc-

tion du pH. [35]

montrent qu'il est susceptible d'exister des conditions optimales pour la précipitation de carbonate de calcium au niveau de l'interface entre la pâte de ciment et l'eau. De plus, lors de son étude sur l'autocicatrisation naturelle, Edvardsen [35] montre que la dureté de l'eau et donc sa quantité en ions calcium n'a que peu d'inuence sur les dépôts de CaCO3. En

eet, les ions calcium proviennent principalement de la dissolution des hydrates contenus dans la matrice cimentaire, tels que la portlandite, Ca(OH)2, ou même en partie des

silicates de calcium hydraté, C-S-H.

En fonction de tous ces éléments, l'auteur parvient à décrire le processus de précipitation en deux phases :

- 1ere phase liée à la surface de contact entre l'eau et la matrice cimentaire,

- 2de phase liée à la diusion des ions calcium à travers la pâte de ciment.

Lors de la première phase, les zones avec un débit d'eau faible, proches des lèvres de la ssure, favorisent les conditions de sursaturation et de nucléation des premiers cristaux de carbonate de calcium. Lors de la seconde phase, la cinétique de précipitation est régie par la diusion des ions calcium à travers la matrice cimentaire.

La gure 2.3 résume le processus de précipitation en cours au milieu d'une ssure.

Ismail [55], par des observations au microscope électronique à balayage, a montré la part importante de la précipitation de carbonate de calcium dans le phénomène de l'autocica- trisation naturelle (gure 2.4).

Figure 2.3 Processus de précipitation de carbonate de calcium au sein des ssures en deux phases. [35]

Le carbonate de calcium peut exister sous quatre formes cristallines diérentes : la calcite, l'aragonite, la vatérite et sous la forme d'un hexahydrate. Ce dernier, peu stable, évolue vers la calcite, qui est la forme thermodynamiquement la plus stable. La calcite est également la forme la plus fréquemment rencontrée dans l'autocicatrisation naturelle, au point que, dans les commentaires des études, il n'est plus fait de distinction entre le carbonate de calcium et la calcite.

Figure 2.4 Observation au microscope électronique à balayage de carbonate de calcium, sous forme de calcite. [55]

Le processus de l'autocicatrisation naturelle est, la plupart du temps, la concomitance des deux mécanismes principaux : l'hydratation secondaire et la déposition de carbonate de calcium. La gure 2.5 tirée des travaux de Argouge [7], schématise le fonctionnement de l'autocicatrisation naturelle.

Figure 2.5 Schéma explicatif de l'autocicatrisation naturelle. [7]

L'eau et le CO2 pénètrent dans la ssure et réagissent avec les réactifs présents dans la

pâte de ciment, la portlandite (Ca(OH)2) et les grains de ciment anhydre. Il se forme une

première couche de produits, qui vont progressivement refermer la ssure. Après quelques mois, dans des conditions favorables d'humidité et de température, l'ouverture de la ssure est réduite. Un processus plus lent s'instaure alors. L'eau et le CO2 doivent diuser à

travers la ssure partiellement refermée. Dans la ssure, l'eau, le CO2 et le calcium présent

dans la matrice cimentaire doivent ensuite diuser à travers la couche de cicatrisation pour venir former de nouveaux produits et poursuivre le processus.