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CHAPITRE 2 ABLATION LASER DANS UN MILIEU LIQUIDE

2.1 Mécanismes d’ablation

Bien que son application soit relativement simple, la synthèse de nanoparticules par ablation laser dans les liquides implique plusieurs phénomènes complexes qui sont résumés à la figure 2.1a. De façon très générale, la radiation est couplée à la cible en focalisant le faisceau laser ayant une longueur d’onde qui est transparente au milieu liquide. Cette condition est normalement satisfaite en utilisant un laser émettant dans le visible ou le proche infrarouge. Cependant, lorsque la densité d’énergie est suffisamment grande, l’absorption non linéaire mène à la formation d’un plasma qui absorbe et diffuse une partie de la lumière incidente, phénomène que l’on nomme décharge optique. L’analyse du bilan énergétique de la décharge optique dans l’eau révèle que l’énergie lumineuse perdue par l’entremise de ce phénomène est environ 10 fois supérieure pour les impulsions ns, comparativement aux impulsions ultrabrèves (ps, fs) [283]. Il a aussi été démontré que la perte d’énergie augmente avec l’augmentation de l’énergie et de l’angle de focalisation [283]. L’imagerie d’extinction résolue en temps (« shadowgraphy ») a d’ailleurs confirmé la formation d’une telle décharge sous conditions d’ablation laser ns typiques (figure 2.1b [284]). Ce phénomène doit donc être pris en compte lors de l’ablation laser en milieu liquide, puisqu’il est en compétition directe l’ablation de la cible. De façon pratique, l’absorption dans le liquide est limitée en défocalisant légèrement la radiation par rapport à la cible, ce qui limite la densité d’énergie dans le solvant [76, 217, 218]. Dans ces conditions, le son émis durant

l’ablation et l’intensité du plasma à la surface de la cible sont maximum, ce qui indique un meilleur couplage de l’énergie à la cible.

Figure 2.1: (a) Représentation schématique des phénomènes impliqués lors de l’ablation laser dans les liquides. (b) Imagerie d’extinction résolue en temps du processus d’ablation laser ns d’une cible d’argent immergé dans l’eau [284].

L’absorption et la diffusion des nanoparticules en solution mènent aussi à de lourdes pertes en transmission, ce qui se traduit par une décroissance considérable de la productivité dans le temps [219, 227, 285]. Afin atténuer ce problème, plusieurs auteurs limitent l’épaisseur d’eau au dessus de la cible ou utilise une cellule d’ablation à flot continu [286, 287]. D’un autre côté, l’interaction laser-colloïde induit des changements significatifs dans la taille, dans la forme et dans la composition chimique des nanoparticules, ce qui peut être très favorable dans certains cas. Cette interaction est discutée en détail aux chapitres 3 à 5.

La partie restante de l’énergie laser interagira avec la cible et génèrera une plume de plasma contenant les espèces ablatées. L’expansion adiabatique de ce plasma à une vitesse supersonique mène normalement à la formation d’une onde de choc dû au confinement par le liquide, laquelle conduit à une augmentation supplémentaire de pression et de température du plasma [288-290]. Ainsi, la pression du plasma impliquée lors de l’ablation laser dans les liquides est normalement de l’ordre de 1-10 GPa pour des impulsions variant entre 1-10 ns et une irradiance laser variant entre 1-10 GW/cm2 [289, 290]. Il a aussi été démontré que la pression du plasma et l’onde de choc associée variaient avec l’irradiance laser [288], la longueur d’onde [289], l’épaisseur de la

couche de liquide [291] et les conditions de focalisation [217]. Malheureusement, la majeure partie de ces propriétés thermodynamiques proviennent de recherches sur le martelage par laser en milieu liquide, lesquelles étudient sur les modifications structurelles de la cible et non les propriétés thermodynamiques du matériel ablaté. Ainsi, il n’existe aucune donnée sur les propriétés du plasma généré par des impulsions ultrarapides et seulement un nombre limité d’études sont dédiées à la mesure de la température et de la densité du plasma pour des impulsions ns. La température maximale atteinte a toutefois été estimée à ~104 K lors de l’ablation nanoseconde dans l’eau et l’hexane [292, 293]. Celle-ci décroit ensuite très rapidement pour atteindre ~3600 K après 1 s suite à l’expansion du plasma [292]. Comparativement à l’expansion dans l’air ou sous vide, l’expansion du plasma en milieu liquide est beaucoup plus modeste [294]. En effet, l’imagerie résolue en temps de la plume de plasma a révélé que son épaisseur au dessus de la cible varie entre 50 m et 70 m pour des impulsions laser de 20 ns à 150 ns [295]. Ainsi, ce confinement conduit à une densité d’espèces ablatées extrêmement élevée, de l’ordre de 1019-1021 cm-3, ce qui devrait mener à la formation de nanoparticules beaucoup plus grosses comparativement à l’ablation dans l’air ou sous vide [292, 293]. Cependant, il a aussi été montré que la durée de vie du plasma est 10 fois plus petite dans l’eau comparativement à l’air, ce qui aura un effet inverse sur la taille des nanoparticules [293]. La taille finale dépendra donc du temps de vie du plasma ainsi que de la densité des espèces et sera modifiée par tous les paramètres laser qui auront un impact sur ces deux facteurs.

Expérimentalement, il a été prouvé que la formation du plasma joue un impact majeur sur le taux d’ablation et sur la taille des nanoparticules pour des impulsions nanosecondes [228, 291] et femtosecondes [217, 218, 220]. Tel qu’illustré à la figure 2.2, le cratère formé durant l’ablation laser femtoseconde de l’or diffère significativement à faibles et à fortes fluences. Au-dessous de 60 J/cm2, le plasma joue un rôle mineur dans l’ablation laser et des structures très fines peuvent être formées. À l’opposée, lorsque des fluences supérieures à 150 J/cm2 sont utilisées, le confinement de la plume d’ablation de haute densité et le plasma généré par la décharge optique provoquent des dommages thermiques sévères à la surface de l’échantillon. Dans le cas de l’ablation laser nanoseconde, les dommages thermiques induits par le plasma surviennent peut importe la fluence, puisque le plasma est excité à des énergies bien supérieures par le processus de Bremsstrahlung inverse [229]. Par conséquent, le transfert thermique entre le plasma et la cible serait en partie responsable de l’augmentation du taux d’ablation avec l’augmentation de la

fluence. Cette seconde gravure par plasma devrait survenir durant les premières 100 ns suivant la fin de l’impulsion laser, puisque la pression du plasma décroit abruptement après cette période [284, 288].

Figure 2.2: Cratère typique formé (a) à faible et (b) à haute fluence durant l’ablation laser femtoseconde dans l’eau. L’ablation laser à haute fluence est caractérisée par un fort couplage entre le plasma et la surface de la cible [220].

Par surcroît, l’expansion du plasma dans les liquides est accompagnée par la production de bulles qui sont formées lors de la vaporisation du liquide en contact avec le plasma chaud. Ces bulles coalescent très rapidement pour produire une grosse bulle unique appelée bulle de cavitation. Il a été découvert que le rayon de la bulle de cavitation ainsi que son temps de vie étaient dépendants de l’énergie laser, de la grosseur du faisceau au point focal, de l’épaisseur de la cible et de la densité du solvant [230, 284, 296]. Par exemple, lorsqu’une radiation de faible énergie (E=20mJ,

=1064 nm, =8 ns) est focalisée sur la surface d’une cible dans l’eau (0=200m), la bulle de cavitation atteint un rayon maximum de 2 mm et s’effondre après ~250 s [284]. De façon contrastante, l’utilisation d’une impulsion beaucoup plus énergétique (E=200mJ, =532nm,

=7ns) et d’un diamètre de faisceau beaucoup plus grand (0=1.1 mm) mène à la formation d’une bulle de cavitation atteignant un rayon maximal de 5 mm qui s’effondre seulement après 800s [296]. Ces mêmes études ont aussi révélé qu’une seconde onde de choc est créée suite à l’effondrement de la bulle de cavitation [284, 296]. La génération de cette seconde onde de choc indique qu’une pression énorme est induite sur la surface de la cible et peut mener à une troisième ronde d’éjection de matériau bien après la fin de l’impulsion laser. En effet, une analyse rigoureuse de la surface après l’ablation laser femtoseconde dans les liquides a mis en évidence la formation rapide de nanostructures, suivie par la formation de pics et vallons de l’ordre du micron (figure 2.3). De plus, une vue rapprochée des pics par microscopie électronique à

balayage a dévoilé que la surface de ces pics était composée de nanostructures de l’ordre de 60- 150 nm, lesquelles peuvent être éjectées par la seconde onde de choc suivant l’effondrement de la bulle de cavitation. Une nanotexturation similaire a été notée lors de l’ablation laser nanoseconde et pourrait aussi mener au même type d’éjection [229, 239]. Cependant, la contribution de cette troisième ronde d’éjection devrait être petite comparativement à l’ablation laser directe et à la gravure par plasma. En effet, la pression ressentie pendant l’effondrement de la bulle de cavitation est de 3 à 4 ordres de grandeur inférieurs à la pression ressentie pendant la première phase d’expansion. Une analyse complète de la masse, contrairement à une analyse en nombre obtenue par TEM, devrait être effectuée afin de vérifier l’importance de l’éjection de grosses nanoparticules par ce troisième mécanisme.

Figure 2.3: Morphologie de surface produite après ablation laser femtoseconde dans les liquides. (a) Après un balayage de surface (~5 impulsions/spot). (b) Après 10 balayages de surface (~50 impulsions/spot). Dans les deux cas, la microscopie électronique indique la présence de nanostructures de l’ordre de 60-150 nm qui peuvent être éjectées par la seconde onde de choc.