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CHAPITRE 6 DISCUSSION GÉNÉRALE : L’ABLATION LASER, SA COMPÉTITION

6.1 La synthèse de nanomatériaux : Les enjeux

6.1.3 La fontionnalisation et la bioconjugaison

La fonctionnalisation et la bioconjugaison sont des facteurs cruciaux dans l’utilisation des nanoparticules inorganiques pour des applications biomédicales. Dans un premier temps, ces techniques permettent de stabiliser les nanoparticules face à l’agrégation et leur confèrent des propriétés hydrophiles ou hydrophobes. De plus, ils rendent possible l’ajout de certains groupements fonctionnels susceptibles de réagir de façon spécifique avec des récepteurs, des antigènes, etc. Pour l’ensemble des techniques de synthèse chimique, cette fonctionnalisation est normalement effectuée après la formation des nanoparticules par échange de ligands de surface, car les agents stabilisants favorisant un bon contrôle de taille des nanoparticules durant la synthèse sont rarement les mêmes que ceux utilisés dans les applications biologiques. À

l’opposée, nos études démontrent que l’ajout d’un très grand nombre de composés organiques durant l’ablation laser femtoseconde en milieu liquide permet un bon contrôle de taille et une fonctionnalisation des nanoparticules de façon in situ. La stabilisation par des surfactants (SDS, CTAB, poloxamères), des biomolécules (cyclodextrine, acide 3-mercaptopropionique, etc.) et des polymères (dextran, PEG, HS-PNIPAM-SH, chitosane, etc.) a donc été étudiée.

Au-dessus de la concentration critique de micelle, l’utilisation de surfactant permet la formation de nanoparticules très stables et très petites (2-5 nm). L’ajout de ces composés durant l’ablation induit cependant une très forte diminution du taux de production. En fait, ces deux phénomènes sont intimement reliés. En effet, le caractère amphiphile des surfactants favorise leur déplacement à l’interface vapeur-liquide. Ils contribueront donc à une formation accrue de bulles à l’intérieur de la solution qui diffuseront une grande partie de l’intensité lumineuse. Par ailleurs, comme il a été discuté au chapitre 2, la croissance des nanoparticules lors de l’ablation laser a principalement lieu à l’intérieur de la bulle de cavitation près de l’interface vapeur-liquide. L’interaction entre les surfactants et les nanoparticules est donc être très rapide, ce qui favorise la réduction de taille. Nos études ont aussi démontré que les surfactants ioniques comme le SDS et le CTAB pouvaient être remplacés par des poloxamères (copolymères tri-bloc non ionique) afin de réduire la toxicité des particules, tout en assurant un bon contrôle de taille. La stabilisation induite par les surfactants proviendrait donc de deux mécanismes, soit des interactions hydrophobe-hydrophobe et/ou de l’adsorption des groupements ioniques en surface (ex. : Br-

, -SO4-) [364]. Par une dynamique similaire, l’addition de HS-PNIPAM-SH, un polymère thermosensible devenant hydrophobe pour des températures supérieures à 32 oC, permet une réduction impressionnante de la taille des nanoparticules d’or durant l’ablation laser. Comparativement aux surfactants, cette réduction de taille est amplifiée par la présence de groupements thiols en bout de chaîne qui interagissent beaucoup plus fortement avec la surface de l’or. Ainsi, l’addition de ce polymère a permis la synthèse des plus petites nanoparticules d’or jamais observées par ablation laser femtoseconde avec un diamètre moyen de 1.9 nm et une dispersion en taille de 0.8 nm. Le caractère thermosensible de ce polymère peut aussi être mis en valeur pour préparer des suspensions de particules d’or dont les propriétés changent de façon réversible en fonction de la température.

Par ailleurs, notre groupe de recherche a préalablement démontré que la surface des nanoparticules d’or produites par ablation laser est partiellement oxydée et contient des groupes

Au-O- ou Au-OH en équilibre avec l’environnement aqueux [221, 222]. Ces études ont aussi établi qu’il était possible de mettre à profit cette oxydation de surface afin de lier certaines biomolécules, comme les cyclodextrines, par des ponts hydrogènes avec des groupements alcools. Conséquemment, des biopolymères comme le dextran et le PEG ont été introduits comme agents stabilisants potentiels dans cette thèse. En effet, ces polymères sont reconnus pour leur biocompatibilité et leur capacité à déjouer le système immunitaire lors de l’introduction des nanoparticules d’or dans des applications in vitro ou in vivo [82]. De plus, ils peuvent facilement être modifiés afin d’ajouter des groupements fonctionnels en bout de chaîne [365]. Pour des paramètres laser identiques, la taille moyenne et la distribution de taille des nanoparticules d’or formées lors de l’ablation d’une cible solide en présence de dextran sont plus petites que celle formées en présence de PEG. Ceci indique donc une efficacité de liaison plus forte avec la surface des nanoparticules d’or dans le cas du dextran. Ici encore, la stabilisation des nanoparticules survient lors de la formation de ponts hydrogènes entre la surface partiellement oxydée de l’or et les groupements OH des polymères utilisés, puisque ces polymères sont neutres. Ainsi, la liaison coopérative d’un grand nombre de groupements OH présents sur la chaîne de dextran favorise la physisorption de ce dernier par rapport au PEG qui ne possède qu’un groupement OH en bout de chaîne. Cette approche nous donne donc un avantage majeur comparativement aux techniques de synthèse chimiques et aux méthodes laser antérieures utilisant des surfactants, puisque nous utilisons uniquement des composés chimiques biocompatibles pour effectuer le contrôle de taille. Par ailleurs, comme nous l’avons démontré au chapitre 4, la force d’interaction entre ces biopolymères et les nanoparticules d’or est assez grande pour permettre une activité biochimique et donc des applications de bio-détection. Elle est également suffisamment faible pour permettre un processus d’échange de ligands efficace avec d’autres polymères possédant des groupements thiols en bout de chaîne (ex. : PEG-SH).

Le contrôle de taille et la stabilisation des nanoparticules ont aussi été étudiés pour des polymères cationiques comme le chitosane. Leur utilisation mène à la formation de nanoparticules chargées positivement. Comme dans le cas des polymères neutres, l’adsorption de ces polymères est favorisée par la présence des groupements Au-O- à la surface des nanoparticules. Par contre, l’attachement est principalement dû à une attraction électrostatique entre la surface de la nanoparticule qui est chargée négativement et les ions ammoniums (-NH3+) du polymère chargés positivement.

Parmi toutes les nanoparticules produites, celles stabilisées par des polymères possédant un groupement thiol (PEG-SH, HS-PNIPAM-SH) sont sans contredit les plus robustes. Effectivement, contrairement aux autres agents stabilisants étudiés, ces derniers sont peu sensibles aux variations de pH, de température ou à la force ionique de la solution. Ils permettent aussi une séparation sans agrégation marquée des nanoparticules de la solution par lyophilisation ou par centrifugation. Ce dernier critère est d’importance, puisqu’il permet d’obtenir des solutions beaucoup plus concentrées que celles pouvant être formées par ablation laser simplement en redispersant la poudre obtenue dans un volume plus faible. Il est à noter cependant que le contrôle de taille ainsi que la stabilisation par l’acide 3-mercaptopropionique (HSCH2CH2COOH) n’est pas efficace malgré la présence d’un groupement thiol. Ceci indique donc que la dimension de l’agent stabilisant joue aussi un rôle important dans la stabilisation. Par exemple, dans le cas du dextran, une réduction monotone de l’agrégation des nanoparticules a été observée lors de l’augmentation du poids moléculaire entre 6000 daltons et 500 000 daltons. Les plus petites tailles obtenues par ablation et par fragmentation sont cependant obtenues avec des polymères de poids moléculaire moyen de 40 000 daltons.

Évidemment, la fonctionnalisation ou la bioconjugaison in situ observée durant l’ablation laser en milieu liquide est un avantage réel seulement si le procédé laser ne dégrade pas les composés chimiques utilisés. Une analyse détaillée de la dégradation pour le dextran, le PEG, le PNIPAM et le chitosane a donc été effectuée et est présentée au chapitre 4. Ces expériences ont montré que les procédés d’ablation et d’irradiation femtoseconde mènent à une faible dégradation de tous les polymères utilisés, mis à part le PNIPAM qui s’est montré inerte aux conditions employées. Pour tous les autres polymères, un léger clivage des chaînes a été observé. Pour le dextran et le PEG, une légère dégradation de la structure a aussi été mise en évidence par la l’apparition de nouvelles bandes entre 1720 et 1740 cm-1 dans les spectres FTIR, témoignant de la formation de groupements carbonyles par des processus oxydatifs. Ces derniers proviennent principalement de la formation d’électrons libres, de radicaux libres (OH, H, O) et d’espèces oxydantes (H2O2) générés lors de l’ionisation et de la décomposition des molécules d’eau par l’irradiation femtoseconde.