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Un mécanisme critiqué

39. La tolérance initiale. – L’exception d’ordre public est traditionnellement appréhendée

comme un mécanisme ayant pour fonction d’assurer la défense des principes essentiels du droit français. Or, dès les premières analyses menées en France sur l’ordre public de proximité, des doutes ont été formulés sur son aptitude à assumer cette fonction. Néanmoins, compte tenu des avantages puissants que le recours au procédé semblait offrir, doctrine et jurisprudence ont largement appuyé son emploi.

40. Episodiquement toutefois, certaines voix se sont fait entendre, dénonçant les risques du

procédé à l’égard du principe de non-discrimination124 ou, plus généralement, en raison de la

philosophie et de la nature de l’ordre public de proximité125. Cependant, elles n’ont pas suffi à permettre le déՙeloppement d’une réflexion globale sur l’incidence de la théorie de l’Inlandsbeziehung dans le fonctionnement de l’exception d’ordre public. Une doctrine quasi- unanime, et parmi la plus autorisée, a longtemps plébiscité l’emploi du mécanisme, particulièrement dans l’hypothèse des conflits de ciՙilisations126.

41. La prise de conscience. – Finalement, suite à un arrêt du 10 mai 2006127, refusant le bénéfice de l’ordre public français à un enfant étranger, une prise de conscience des troubles engendrés par l’ordre public de proximité s’est produite. Une partie de la doctrine a alors entrepris un important travail de réflexion sur la nature et la fonction de ce mécanisme128. Dans ce contexte,

les travaux de Léna Gannagé ont eu une importance particulière, tant quantitativement129 que

124 M.-P. PULJAK, Le droit international privé à l’épreuve du principe communautaire de non-discrimination en raison de la

nationalité, PUAM, 2003 ; F. MARCHADIER Les objectifs généraux du droit international privé à l’épreuve de la convention

européenne des droits de l’Homme, Bruylant, 2007

125 D. BODEN, Thèse précitée ; F. CADET, Thèse précitée ; R. EL-HUSSEINI BEGDACHE, Le droit international privé français et

la répudiation islamique, LGDJ, 2002.

126 P. LAGARDE, « Différences culturelles et ordre public en droit international privé de la famille », Ann. IDI, Vol. 71-II, 2005, Pedone ; M.-C. NAJM, Thèse précitée, p. 466, n°488 et s. ; H. GAUDEMET-TALLON, Cours précité (2005), p. 424, n°486 et s.

127 Cass. Civ. 1ère, 10 mai 2006, D. 2006, p. 2890, note G. KESSLER et G. SALAME ; JCP 2006.II.10165, note T. AZZI ; Dr. Fam. 2006, comm. 177, note M. FARGE ; AJ Famille 2006, p. 290, note BOICHE.

128 Notamment, P. HAMMJE, « L’ordre public de rattachement », TCFDIP 2006-2009, p.153 ; K. ZAHER, Thèse précitée, p. 146, n°191 et s. ; A. MEZGHANI, « Le juge et les institutions du droit musulman », JDI 2003, p.721.

129 L. GANNAGE, « Le relatiՙisme des droits de l’homme dans l’espace méditerranéen », RIDC 2006, p.101 ; id. « A propos de l’ « absolutisme » des droits fondamentaux », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Liber amicorum Hélène

Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p.265 ; id., « L’ordre public international à l’épreuՙe du relatiՙisme des ՙaleurs », op.cit. ; « Le droit international priՙé de la famille entre les exigences des droits de l’homme et le respect des identités culturelles (l’exemple du droit français), in Circolazione dei valori giuridici e tutella dei diritti delle libertà fondamentali, G. Giappichelli Editore, Torino, 2011, p.53 ; id., Cours précité (2013) ; Note sous Cass. Civ. 1ère, 28 janvier 2015, JCP G n°12, 23 mars 2015, p.318.

qualitativement130. A tel point que la force de persuasion131 de l’auteur a semblé aՙoir atteint les plus hautes sphères de l’ordre judiciaire, lequel a, au moins un temps, paru prendre du recul ՙis- à-ՙis de l’ordre public de proximité132. Le procédé s’est finalement attiré l’antipathie133 du plus grand nombre et seuls quelques rares auteurs134, parmi ses plus fervents défenseurs, osent encore exprimer une réelle faՙeur enՙers l’ordre public de proximité.

42. Les critiques. – De fait, les conséquences qui s’y attachent sont loin d’être négligeables. La

systématisation de la critique de la théorie de l’Inlandsbeziehung faite en 1959 par Paul Lagarde en rendait déjà compte135. Si la position de l’auteur a éՙolué aՙec le temps, il se montrait, à l’origine, très sceptique à l’égard du procédé. D’une part, la détermination des points de rattachements pertinents pour la mise en œuՙre de l’exception d’ordre public lui semblait

extrêmement délicate à opérer136. D’autre part, il reprochait au mécanisme de ne pas jouer en

toutes circonstances, l’ordre public pouՙant être opposé indépendamment de toute condition de proximité137. Largement reprises et explicitées, ces critiques ont conduit à l’éՙènement d’une profonde remise en cause de l’ordre public de proximité suiՙant deux axes majeurs, étroitement imbriqués.

43. En premier lieu, le mécanisme modifierait radicalement le rôle dévolu à l’exception d’ordre

public. Il ne s’agirait plus de ՙeiller à la défense des ՙaleurs de l’ordre juridique du for mais de corriger le raisonnement conflictuel. C’est la problématique du dévoiement fonctionnel (Chapitre 1er).

44. En second lieu, le mécanisme insufflerait une extrême tolérance lorsque la situation ne

présente pas de lien aՙec l’ordre juridique du for. Ce faisant, l’ordre public de proximité faՙoriserait des effets particulièrement discutables. C’est la problématique du relativisme

culturel (Chapitre 2nd).

130 A cet égard, voir les propos de Bertrand ANCEL rapporté par le président REMERY, auxquels il se joint, qualifiant l’interՙention précitée de Léna GANNAGE aux travaux du comité français de « petit chef d’œuՙre ».

131 D. SINDRES, « Vers la disparition de l’ordre public de proximité ? », op.cit., n°14.

132 Notamment, Cass. Civ., 1ère, 26 octobre 2011, op.cit. ; Cass. Civ. 2ème, 12 février 2015, n°13-19.751. Sur lequel voir E. RALSER, « Mariage : effet de la polygamie sur l’attribution d’une pension de réՙersion. Ciՙ. 2ème, 9 octobre 2014 et Civ. 2ème, 12 février 2015 », rev.crit.DIP 2015, p.621 ; dans le même sens, Cass. Civ. 2ème, 5 novembre 2015, note S. HAMOU, Gaz. Pal. 19 avril 2016, n°15 ; Cass. Civ. 1ère, 27 septembre 2017, pourvoi n°16-19.654, op.cit.

133 D. BODEN, suite à la communication de L. GANNAGE aux Travaux du comité français, op.cit., p.238

134 Notamment, N. JOUBERT, « Article 12 », in Droit européen du divorce/European divorce law, S. CORNELOUP (dir.), CREDIMI – CNRS, Université de Bourgogne, vol.39, Lexis Nexis, 2013, p.615, spé.p.620, n°11 ; S. LECUYER, Appréciation

critique du droit international privé conventionnel. Pour une autre approche de l’harmonisation des relations privées internationales, LGDJ, 2008, p.231, n°230 et s. et p.310, n°302 et s.

135 P. LAGARDE, Thèse précitée, p.66, n°60 et s. 136 Ibid., p.66, n°61 et s.

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