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PARTIE 1 : CADRE ET MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE DES REPRESENTATIONS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

3. La rationalité en valeur : lutter contre le changement climatique est un devoir

3.2. Trois sous-types de discours

3.2.3. Lutter contre le changement climatique, devoir moral de l'homme

Un troisième discours a pu émerger dans la manière de se représenter le changement climatique dans la perspective de la rationalité en valeur. Tout comme les deux premiers discours, un manque de volonté est dénoncé. Cependant, dans le cas présent, il ne s’agit pas du manque de volonté de l’élu ou du citoyen, mais de l’être humain, indépendamment de son rôle dans la communauté politique. Cette conception ne s’inscrit donc pas dans une perspective politique, contrairement aux deux premières, mais dans une perspective morale, puisque l’homme de manière générale est accusé, non pas l’homme en tant qu’homme politique (élu ou citoyen). L’accusation porte alors sur deux motifs. Premièrement, l’homme est responsable du changement climatique :

Cette bêtise humaine est souvent présentée comme étant le résultat d’une perpétuelle croyance en la toute puissance de l’homme sur la nature. Le changement climatique est alors considéré comme le résultat de ce que « la main de l’homme a fait » (E11). En voulant dominer à tout prix la nature, il en a finalement perdu le contrôle et cette perte de contrôle s’incarne dans le changement climatique, reflet de la croyance aveugle en la toute puissance de l’homme :

« […] on a peut-être au bout du compte ce qui nous ressemble. […] Ce qui nous arrive, on l’a cherché, on l’a voulu hein ! Faut pas se voiler la fasse. Faut pas aller chercher des excuses. » (E11)

Un paradoxe fondamental est donc ici souligné, celui de l’homme : il cherche perpétuellement à améliorer son existence mais en même temps, il s’emploie efficacement à la détruire. Dans un second temps, l’homme se doit d’assumer sa responsabilité dans les catastrophes qu’il a provoquées :

« On n’a pas envie de voir, on n’a pas envie d’entendre » (E11).

Une situation de déni s’installe alors face à une réalité qui n’arrange pas l’homme et qui implique des solutions contraires à ses intérêts immédiats. Même face à une catastrophe climatique, le choc qu’elle provoque n’est que très éphémère, laissant vite place à l'oubli : « […] on a une...une capacité à oublier quand ça nous arrange, c’est incroyable ! ». (E11)

Ce discours véhicule donc un certain pessimisme quant à la situation. Ainsi, « les gros dégâts sont faits » et toute action, même menée dès aujourd’hui, ne suffira pas à réparer ce que l’homme a causé. Pourtant, cette vision ne conduit pas à la résignation. En effet, l’homme œuvrant constamment pour sa survie, il agira, même si ce sera une action peut-être trop tardive. Agir dès à présent est cependant nécessaire de part l’urgence de la situation mais aussi parce que l’homme est responsable de cette situation : « On est responsables de nos actes » (E11). Moralement, il se doit d’agir. Lutter contre le changement climatique n’est donc pas ici un devoir politique mais moral. L’homme doit ainsi agir, peu importe le caractère contraignant ou non de cette action, en vue d’une existence future meilleure. Ce devoir moral s’incarne nécessairement dans l’action de « bon sens » (E11) menée à l’échelle

individuelle. Si les grandes actions ne sont pas vaines, elles sont cependant appréhendées avec méfiance :

« […] je crois qu’il faut être prudent dans les galons que Pau a gagné en ce qui concerne, ce Plan Climat. C’est vrai qu’il y a des choses très positives qui ont été euh...qui ont été gagnées ; il n’empêche que […] il faudrait pas que ce soit de la poudre aux yeux. C’est-à-dire que, y’a des actions, elles sont bien, elles sont belles, même s’il faut démarrer par ça, mais il faut pas se...gargariser outre mesure. » (E11)

Les véritables actions sont alors « les petites choses » (E11) menées individuellement mais aussi à l’échelle de la commune, comme l’illustrent les propos d’une personne interrogée : « On a pris la décision d’éteindre tout notre réseau d’éclairage la nuit […] » (E11)

Cependant, ce type d’action doit s’accompagner de pédagogie et ne doit pas être imposé de manière arbitraire. Il s’agit d’expliquer, constamment, le sens des actions mises en place. Cela est d’autant plus nécessaire pour les actions de lutte contre le changement climatique qui ne se sont pas comprises de prime abord. Il faut ainsi « […] expliquer, dire, tout le temps, le pourquoi des choses et qu’est-ce qui fait qu’on fait les choix là plutôt que d’autres » (E11). La lutte contre le changement climatique a donc un versant très pédagogique qu’il faut prendre en compte afin qu’elle puisse advenir.

Ces actions doivent s’accompagner plus largement d’un questionnement sur l’homme. En effet, comme il a été dit précédemment, la « bêtise humaine » est considérée comme responsable du changement climatique. Il faut donc mener une réflexion sur le fonctionnement de l’homme pour comprendre « pourquoi on en est là […] » (E11). Aux solutions concrètes s’ajoutent alors celles d’ordre philosophique. Ce type de solutions est invoqué pour répondre à l’incompréhension qu’engendre l’action humaine, celle-ci s’illustrant dans « un non sens phénoménal » (E11). Ainsi, face à la cible d’accusation qu’est l’homme, celui-ci n’agissant pas conformément à ce qui est moral, il faut accepter de faire son propre état d’âme :

« Le jour où l’être humain aura compris qu’il fallait qu’on fasse notre propre état d’âme, qu’on revoit bien clairement tout ça, je pense que les choses bougeront. » (E11)

Ce discours sur le changement climatique s’inscrit donc dans une remise en cause de l’homme, de sa manière de fonctionner qui face à cet enjeu majeur, doit reconsidérer son action de manière plus humble.

L’analyse approfondie de la rationalité en valeur a donc permis de dégager plusieurs éléments clés concernant la manière dont se forgent les différentes représentations du changement climatique au sein de ce même monde. Dans un premier temps, il est important de souligner le caractère universel de cette logique d’action. En effet, alors que les deux premières rationalités étaient très dépendantes du contexte dans lequel elles se déployaient, la rationalité en valeur dépend seulement des premiers principes qu’elle fixe comme moteur de l’action. Ces principes sont alors valables partout et tout le temps. Peu importe le territoire sur lequel l’action se déploie ou même les facteurs extérieurs pouvant la contraindre, la lutte contre le changement climatique reste de l’ordre du devoir : seule l’idée de ce devoir guide l’action, même s’il peut se décliner en devoir politique (à l’échelle de l’élu ou du citoyen) ou en devoir moral. Dans le cas présent, agir contre le changement climatique ne relève donc pas d’un choix ou d’une capacité d’action : il s’agit d’une action nécessaire.

4. La rationalité réflexive : aborder le changement climatique comme