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PARTIE 1 : CADRE ET MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE DES REPRESENTATIONS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

3. La rationalité en valeur : lutter contre le changement climatique est un devoir

3.2. Trois sous-types de discours

3.2.1. L'élu, figure détentrice du réel pouvoir d'agir contre le changement climatique

Dans un premier cas, l’accusé revêt le costume de l’homme politique, plus spécifiquement de l’élu. Celui-ci est accusé de reléguer la question du changement climatique au second plan, et même ne pas du tout s’en préoccuper, à l’échelle locale comme à l’échelle nationale :

« […] clairement la réalité c’est qu’aujourd’hui en France et ici c’est pareil, y’a très peu d’élus, sensibles à toutes ces questions là […] ils s’en fichent ! » (E14)

Même si certains prétendent s’en préoccuper, cela ne serait que par intérêt, notamment pour séduire un certain électorat, se forger une bonne image ou « parce qu’ils ont envie de faire carrière » (E14).

Si les raisons de cette absence de prise en compte du changement climatique de la part de l’élu sont multiples, le problème de l’ancrage quotidien de son action est souligné. Ainsi, celui-ci répond aux préoccupations quotidiennes de ses administrés qui sont autres que la question du changement climatique :

« Donc les élus ils vont être quoi...sur le sport, ils vont être sur la culture, le social, l’emploi, et puis même sur les routes...Sur des thèmes importants mais qui restent classiques quoi. » (E14)

Si dans ce discours, l’élu est la cible principale de l’accusation, c’est parce que la lutte contre le changement climatique est envisagée dans un cadre politique. L’action contre le changement climatique est, de manière fondamentale, une action politique. Le monde perçu est alors celui de la cité, de la communauté politique au sens aristotélicien32 : elle n’a pas pour but l’avantage présent mais ce qui est utile à la vie toute entière. Cela n’est pas de l’ordre de l’intérêt mais du bonheur, de l’accomplissement, à l’image de la lutte contre le changement climatique. La cible de l’élu n’est alors pas choisie par hasard et découle d’une manière spécifique d’envisager cette communauté politique, en particulier l’action politique qui s’y déploie. En effet, si l’élu est dénoncé comme principal responsable de l’inaction existante, c’est parce que son rôle est à la base considéré comme fondamental dans cette conception de la politique. L’élu détient un pouvoir qu’il ne doit pas exercer en tant que domination mais en tant qu’action véritable : dans le cas présent il s’agit de l’action contre le changement climatique. Sans nier l’horizontalité de l’action, le véritable pouvoir se trouve dans un premier temps entre les mains des dirigeants politiques, il est donc logique qu’ils aient la charge, sinon exclusive, du moins première d’une question telle que celle du changement climatique.

Il s’agit donc d’une conception verticale de la politique33, avec un pouvoir s’exerçant du haut vers le bas. Cette conception illustre une haute idée de l’homme politique dont l’idéal s’incarne presque dans l’image de « l’homme providentiel ». Cependant, cette haute

32 Aristote distingue différentes « communautés », parmi lesquelles la communauté politique (ou cité), est la

plus noble : « La cité est une communauté de vie heureuse [...] dont la fin est une vie parfaite [...] ». ARISTOTE, Les Politiques, Livre III, Chap.9, Paris, GF Flammarion, 2015, p.183.

33 Les conceptions verticale et horizontale de la politique ont pu être développées grâce aux cours de Sophie

PEYTAVIN (professeur de philosophie en CPGE Lettres au Lycée Ernest Renan de Saint-Brieuc) dans le cadre du programme du concours littéraire d'admission à l'ENS de Lyon de la session 2016 (La politique, le droit).

conception est déçue par la réalité des choses car il y a un décalage entre ce que devrait être l’élu et ce qu’il se révèle être réellement. Ainsi, dans le cadre du changement climatique, une personne de conviction doit occuper le sommet du pouvoir, être au niveau le plus haut, à l’échelle locale comme nationale :

« Si vous n’avez pas l’élu le plus haut placé qui est moteur sur cette question là, c’est compliqué quoi. […] Faut être en haut au niveau d’une ville comme Pau, au niveau de la France, au niveau européen ! Pour pouvoir faire vraiment changer les choses […] Le problème, pour vraiment changer les choses, il est au niveau politique, au niveau le plus haut.» (E14)

La lutte contre le changement climatique est donc un devoir d'ordre politique. Si le changement climatique concerne tout le monde, sa prise en compte relève dans un premier temps du devoir politique de l’élu, qui se doit d’agir au-delà des préoccupations quotidiennes des citoyens. En effet, si ceux-ci « ont d’autres priorités » (E14), cela ne leur est pas reproché :

« Y’a une minorité qui s’y intéresse ou qui sera amenée à être intéressée ou sensibilisée à cette question là, mais je jette pas la pierre hein ! Parce que les gens ils pensent...ils ont d’autres choses ! Ils ont d’autres choses en tête. » (E14)

C’est donc à l’élu de porter ce que le citoyen ne peut pas prendre en charge. Le réel obstacle n’est pas le citoyen car si l’action politique en faveur de la lutte contre le changement climatique est impulsée par l’élu, elle sera ensuite bien acceptée. S’il est concédé que « dès que vous apportez du changement sur les habitudes les gens râlent un peu » (E14), cela est considéré comme anecdotique. Les élus sont donc ceux « qui montrent la voie à suivre » (E17) en prenant les décisions qui s’imposent puis en formant leurs équipes qui à leur tour forment les citoyens. Il s’agit donc d’une action politique qui fait tâche d’huile, mais dont la source réside bien dans une volonté politique d’ordre vertical. Si elle est impulsée verticalement, il ne s’agit pas pour autant d’une action coercitive, d’un pouvoir de domination de l’élu. Plus qu’imposer arbitrairement, son rôle est de gouverner, au sens

premier du terme : étymologiquement, gouverner34 réfère à celui qui dirige son navire. Il s’agit donc davantage de donner un cap, que de dominer. Le rôle de l’élu est ici le même : il doit orienter, mettre en place de grandes actions qui servent de cadre.