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Chapitre 3 Collectionneurs et Collectionnement

3.7 Ludification de la collection

À la lumière de cette analyse, on constate qu’il serait réducteur et malhonnête d’affirmer qu’un collectionneur de jeux vidéo ne puisse pas utiliser sa collection ou qu’il lui soit interdit d’en faire le commerce pour quelques raisons que ce soit. En effet, comme il a été mentionné par un individu émanant directement du milieu, ces caractéristiques seraient, à un niveau ou à un autre, existant chez tous ces passionnés de jeux vidéo. C’est pourquoi je propose de modifier la définition du collectionneur présentée par Gijseghem et de l’adapter à la pratique du collectionnement vidéoludique. Pour ce faire, à la manière des éditeurs de personnages dans les jeux de rôles inspirés de Donjons et Dragons, nous pouvons considérer les points essentiels associés au collectionneur comme étant les différents attributs attachés à notre personnage. Plutôt que la force, la dextérité, l’intelligence et la vitalité, imaginons les caractéristiques suivantes : l’acquisition, l’organisation, la sérialisation, la marchandisation, l’utilisation, la

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socialisation et la poly-collection. Chacun de ces éléments peut être représenté par un continuum qui représente la propension du passionné face à ceux-ci, permettant ensuite une comparaison entre eux. Ainsi, nous pouvons qualifier un passionné de jeux vidéo en évaluant sa « fiche personnelle » et l’interaction entre ses attributs.

Ce qui définit le collectionneur serait alors la prédominance d’un attribut par rapport aux autres, dans ce cas-ci, la sérialisation semble bel et bien en être le phare. Il s’agit de la tendance à acquérir des objets semblables, mais différents, en une série qui soit préétablie ou inventée par le collectionneur lui-même. Le besoin de compléter ses séries constitue le principal moteur qui pousse le collectionneur à se procurer de nouveaux objets. Il aspire toujours à mettre la main sur l’objet rare, l’item manquant qui approche la série de sa complétion. L’acquisition et l’organisation des pièces demeurent aussi des caractéristiques dominantes chez le collectionneur de jeux vidéo. On sait que le ludovidéophile est constamment à la recherche de nouvelles pièces pour additionner à ses séries et que ses acquisitions seront généralement organisées minutieusement afin de les exposer et d’en faciliter l’accès.

Le caractère « marchandisation » représente l’intérêt pour la vente ou la recherche de profit d’un individu. Une « fiche de personnage » de collectionneur peut, comme nous avons vu, présenter un certain niveau de marchandisation puisque ses habitudes d’acquisition résultent fréquemment en doublons qui seront ensuite vendus, allégeant l’investissement de départ. Dans ce cas, la sérialisation demeure prioritaire.

Toujours sans déloger la série de sa position de tête, l’utilisation de la collection n’est aucunement prohibée, elle peut même être un incitatif pour le ludovidéophile à viser de nouvelles cibles. Par exemple, plusieurs d’entre eux spécifient la nostalgie comme motivation et comme thème de leur collection, insistant qu’ils désirent jouer à nouveau aux jeux ayant bercé leur enfance. Ou encore, d’autres se concentrent sur une série créée de toutes pièces regroupant les jeux de qualité auxquels ils n’ont pas eu accès à l’époque de leur sortie. Dans des cas comme ceux-ci, la sérialisation est propulsée par un désir de jouer ou, du moins, par la possibilité de jouer. Les collections deviennent si volumineuses qu’il est quasi impossible d’expérimenter tous les jeux qui s’y greffent, même si l’objectif de cette série en particulier prévoyait son utilisation. Le but sous-jacent demeure la recherche d’accomplir une série donnée.

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Sans être nécessaire, les deux derniers caractères sont tout de même présents, jusqu’à un certain niveau, chez un bon nombre de collectionneurs. D’abord, la popularité et la quantité de membres dans des groupes comme le CCJVQ démontrent un niveau de socialisation chez ces communautés qui cherchent à se rapprocher et à échanger entre elles. De plus, près de la moitié des participants de mon étude (46,4%) affirment partager des photos ou des vidéos de leurs collections sur des pages web qui y sont dédiées. Évidemment, cette caractéristique est présente à différents niveaux chez les collectionneurs de jeux vidéo, faisant écho aux collectionneurs introvertis et extravertis décrient par Gijseghem chez qui l’extraverti serait plus présent (2014, p.214).

Nous pouvons finalement constater qu’il existe bel et bien une tendance vers la poly- collection en observant les autres cibles des ludovidéophiles comme les films en différents formats, les figurines, les disques vinyle, la monnaie canadienne, les bandes dessinées, la littérature québécoise ou encore les cartes de hockey. Le plaisir de collectionner transcende effectivement l’amour pour un seul médium ou un seul type d’objets.

En contrepartie du ludovidéophile pour qui l’attribut de sérialisation est le plus élevé, un passionné de jeux vidéo qui les accumule dans l’optique principale d’y jouer (attribut utilisation plus élevé) sera davantage considéré comme un joueur assidu. La raison capitale de ses acquisitions n’est alors pas motivée par une série à compléter, mais plutôt pour l’expérience de l’œuvre. Cet objectif n’empêche en rien qu’il puisse apprécier la recherche de nouveaux jeux, de viser une sorte de série, en plus d’avoir un désir d’organiser ses achats d’une manière qui lui soit esthétique. Il est généralement plus facile pour lui de se débarrasser de ses achats et aura donc une plus grande propension à effectuer des transactions comparativement au collectionneur. Alternativement, celui pour lequel la transaction d’objets prime, c’est-à-dire la vente et la recherche de profits, est catégorisé comme marchand, communément appelé le revendeur dans la communauté. Un marchand peut évidemment jouer ou encore accumuler des jeux ou d’autres items qui y sont reliés, cependant, l’activité principale et plus signifiante sera la recherche d’aubaines et de clients potentiels à qui vendre ses dernières acquisitions. Comme la vente est souvent un emploi pour le marchand, il n’est pas rare qu’il soit aussi collectionneur dans ses temps libres. Pour certains, le travail s’est transformé en passion et pour d’autres, c’est la passion qui a amené une source additionnelle de revenu.

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