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2. La coordination antéropostérieure

2.2. Contrôle neurophysiologique de la coordination antéropostérieure

2.2.2. Longs réflexes propriospinaux

Le terme « longs réflexes propriospinaux » est souvent employé pour parler des réflexes provenant des pattes antérieures ou postérieures et allant impacter les CPGs lombaires ou

cervicaux respectivement. En 1903, Sir Sherrington fut le premier à décrire des connections réflexes permettant la coordination entre les membres antérieurs et postérieurs chez le chat et le chien (Sherrington, 1903) et depuis il a été clairement établi que ces connections pouvaient être ascendantes ou descendantes et présentes chez le rat, le lapin, le chat, le chien, le singe ou encore l’humain.

2.2.2.1. Évidences anatomo-fonctionnelles chez l’animal

Plus particulièrement, chez le chat décérébré, Miller et collègues ont montré qu’une stimulation cutanée du métacarpe (stimulation patte antérieure) ou du métatarse (stimulation patte postérieure) lors de la locomotion quadrupède entrainait une augmentation de l’activité EMG des muscles de la patte homolatérale postérieure ou antérieure, respectivement (Miller et al., 1977). De plus, il est important de noter que ces réponses étaient grandement modulées en fonction de la phase du cycle de marche pendant laquelle apparaissait la stimulation. En règle générale, si les muscles étaient dans une phase active lors de la stimulation, l’effet observé sur ceux-ci s’en voyait accru. Des observations similaires ont été faites lors d’épisodes de locomotion fictive chez le chat (Schomburg and Behrends, 1978a, 1978b; Schomburg et al., 1977). Ainsi il semblerait que les longs réflexes propriospinaux partagent des mécanismes communs avec les autres réflexes notamment une modulation de la réponse selon la phase du cycle de marche. Bien que des réflexes ascendants et descendants aient pu être observés, les réponses étaient plus importantes sur les pattes postérieures comparées aux pattes antérieures suggérant un rôle plus important des réflexes propriospinaux descendants dans la coordination AP (Miller et al., 1977). Selon certains auteurs, cette importance des réflexes descendants se voudrait fonctionnellement logique puisqu’elle permettrait aux pattes antérieures d’avertir les pattes postérieures des possibles modifications d’environnement rencontrées (Zehr and Duysens, 2004).

À l’inverse, dans un modèle de moelle épinière isolée de rat néonatal, Juvin et al. (2012) a montré un rôle proéminent des longs réflexes propriospinaux ascendants dans le couplage des CPGs cervicaux et lombaires (Juvin et al., 2012). En effet, dans cette étude, l’activité motrice des racines ventrales cervicales (C8) et lombaires (L2) était enregistrée alors

qu’une stimulation électrique était appliquée au niveau des racines dorsales (C8 ou L2) afin de simuler le retour sensoriel provenant des pattes antérieures ou postérieures. Les résultats démontrent qu’une stimulation en L2 ou C8 pouvait induire un rythme coordonné de type locomoteur au niveau cervical et lombaire indiquant que le retour sensoriel provenant des pattes antérieures ou postérieures peut activer les CPGs lombaires ou cervicaux, respectivement. Ces observations sont en accord avec l’existence mutuelle de long réflexes propriospinaux ascendants et descendants. Cependant, les auteurs ont également observés qu’une stimulation en L2 lorsque les transmissions synaptiques au niveau spinal L2 étaient bloquées (par une solution faible en Ca2+) parvenait à activer les CPGs cervicaux. À l’inverse, une stimulation en C8 lorsque les transmissions synaptiques au niveau spinal C8 étaient bloquées, ne parvenait pas à évoquer un rythme de type locomoteur au niveau lombaire. Il semblerait donc que les réflexes en provenance des pattes postérieures puisse influencer les pattes antérieures sans faire de connections synaptiques au niveau lombaire mais qu’à l’inverse, les réflexes des pattes antérieures réalisent des connections synaptiques au niveau cervical avant d’aller influencer les CPGs lombaires. Ils ont ainsi conclut que les longs réflexes propriospinaux ascendants devaient jouer un rôle plus important dans le contrôle de la coordination AP. Toutefois, cette étude ne permet pas de savoir si les réflexes en provenance des pattes postérieures vont influencer directement les pattes antérieures ou si des relais synaptiques vont avoir lieu à un niveau plus rostral.

Cette vision contradictoire des influences ascendantes versus descendantes a été mise en avant récemment et il est probable d’envisager que ces deux types de voies soient importantes dans la coordination AP mais que les mécanismes sous-jacents soient différents (Thibaudier and Hurteau, 2012). En effet, chez le chat, une caractérisation anatomique des voies impliquées dans les longs réflexes propriospinaux semblent montrer que les voies descendantes auraient une combinaison d’influences inhibitrices et excitatrices (Lloyd and McIntire, 1948; Lloyd, 1942). Chez le chat spinal en C1 et anesthésié, Schomburg (1978) a réalisé des enregistrements intracellulaire de motoneurones au niveau lombaire lors de stimulation de différents nerfs des pattes antérieures (ulnaire, médian, radial profond, radial superficiel, médiocutané et musculocutané) (Schomburg and Behrends, 1978a, 1978b; Schomburg et al., 1978). Bien que les résultats soient variables d’un nerf à l’autre ou

encore selon le muscle correspondant au motoneurone enregistré, de manière générale un potentiel post-synaptique excitateur (PPSE) était observé après une latence minimum de 5- 6 ms, suivi très rapidement et se mélangeant souvent avec un potentiel post-synaptique inhibiteur (PPSI) d’une latence minimale de 8 ms. Finalement, une réponse plus tardive (25-60 ms) d’hyperpolarisation était également présente. À l’inverse, une stimulation des afférences des pattes postérieures provoquait un PPSE sur les motoneurones des muscles fléchisseurs des pattes antérieures mais aucune réponse sur les motoneurones des muscles extenseurs suggérant une influence ascendante principalement excitatrice (Matsumoto et al., 1976). Cependant, si la réponse est observée au niveau de l’activité musculaire, alors la même stimulation provoque une facilitation de l’activité des muscles fléchisseurs des pattes antérieures mais également une dépression de l’activité des muscles extenseurs (Matsumoto et al., 1976). Ainsi, malgré une description d’une influence bidirectionnelle semblant asymétrique, les mécanismes de contrôle de la coordination AP par les longs réflexes propriospinaux demeurent encore incompris.

Les réflexes propriospinaux (flèches bleues) et spino-bulbo-spinaux (flèches rouges) sont représentés schématiquement afin de montrer comment les bras peuvent influencer les jambes (influences descendantes) et comment les jambes peuvent influencer les bras (influences ascendantes).

Il est important de noter que des réflexes spino-bulbo-sipinaux peuvent également participer à la coordination AP en reliant indirectement les CPGs cervicaux et lombaires (Fig. 8). En effet, les différences observées entre les réflexes obtenus chez des chats décérébrés et des chats spinalisés en C1 ont permis de mettre en évidence que ces deux voies étaient bien présentes (Gernandt and Megirian, 1961; Gernandt and Shimamura, 1961). De plus, ces études ont permis de montrer que l’influence des pattes postérieures sur les pattes antérieures semblait plus dépendante des réflexes spino-bulbo-spinaux alors que l’influence inverse semblait davantage régulée par des réflexes propriospinaux (Gernandt and Megirian, 1961; Gernandt and Shimamura, 1961). La présence de ces réflexes spino- bulbo-spinaux a par la suite été démontré chez de nombreux mammifères et oiseaux (Shimamura, 1973). Toutefois, bien que le trajet à parcourir soit plus long lors des réflexes spino-bulbo-spinaux afin d’intégrer l’information au niveau du tronc cérébral comparé aux réflexes propriospinaux, ils semblent posséder une vitesse de conduction plus élevée. De ce fait, les réponses des réflexes spino-bulbo-spinaux et des réflexes propriospinaux ont des latences relativement similaires rendant difficile à différencier les effets spécifiques de chacun d’entre eux (Gassel and Ott, 1973; Shimamura and Akert, 1965). Dans la suite de cette thèse, la priorité sera mise sur les réflexes propriospinaux étant donné que leur contribution dans la coordination AP a été plus souvent proposée et a été mieux étudiée dans la littérature. Toutefois, il semble important de garder à l’esprit qu’une implication des réflexes spino-bulbo-spinaux est possible voir probable dans les résultats des études présentées dans les parties suivantes.

2.2.2.2. Évidences anatomo-fonctionnelles chez l’humain

La présence de longs réflexes propriospinaux couplant les CPGs cervicaux et lombaires a également été caractérisée chez l’humain (Zehr and Duysens, 2004). La première évidence de ces réflexes provient d’une étude ayant démontré qu’une stimulation du nerf médian provoque une facilitation du réflexe H du soleus à une latence d’environ 70 ms (Delwaide

and Crenna, 1984) démontrant l’existence de longs réflexes propriospinaux descendants. Ces auteurs ont également démontré qu’une stimulation du nerf sural entrainait une facilitation du réflexe tendineux du biceps brachii à une latence d’environ 90 ms concomitante à une réduction du réflexe tendineux du triceps brachii suggérant la présence de longs réflexes propriospinaux ascendants. En plus de l’effet sur la modulation des réflexes, certains auteurs ont également étudié comment les longs réflexes propriospinaux pouvaient impacter l’activité musculaire. Des réponses réflexes sur les muscles des bras (principalement au niveau de l’épaule et du poignet) et des jambes (principalement au niveau du genou et de la cheville) avec des latences comprises entre 50ms et 250ms ont ainsi pu être observées suite à des stimulations du nerf péronier superficiel (SP, innervation de la face dorsale du pied) et du nerf radial superficiel (SR, innervation de la face dorsale de la main), respectivement (Zehr et al., 2001). Toutefois, au vu des latences assez élevée, il est difficile de dire si ces réponses sont dues à des réflexes propriospinaux ou spino- bulbo-spinaux. Cependant, chez des patients ayant une lésion motrice complète au niveau cervical, Calancie et al. (1991) ont montré que des stimulations du nerf médian ou du nerf tibial entrainaient des réponses de latences comprises entre 40ms et 200ms sur les muscles des jambes ou des bras, respectivement, suggérant la présence de long réflexes propriospinaux (Calancie, 1991).

Pendant la marche sur tapis roulant, il a été montré que ces longs réflexes propriospinaux provoqués par la stimulation du SP ou du SR étaient modulés selon la phase du cycle de marche (Haridas and Zehr, 2003). Une stimulation du SP lors de la phase de balancement de la jambe stimulée provoquait une inhibition du deltoïde postérieur ipsilatéral (muscle extenseur de l’épaule) à la stimulation alors qu’aucune réponse n’était observée sur le deltoïde postérieur controlatéral. À l’inverse, une stimulation du SP lors de la phase d’appui (phase de balancement de la jambe controlatérale) ne provoquait aucune réponse sur le deltoïde postérieur ipsilatéral mais entrainait une inhibition sur le deltoïde postérieur controlatéral. Les auteurs ont proposé que cette réponse réflexe lors de la phase de balancement sur le bras ipsilatéral à la stimulation puisse correspondre à une action de protection face à une chute en cas d’obstacle heurté avec la jambe. Comme pour une stimulation du SP, une réponse dépendante de la phase du cycle de marche était observée

suite à une stimulation du SR. Une stimulation du SR lors de la phase d’appui ipsilatérale ou controlatérale provoquait une inhibition du Grastrocnémien Médial (MG, muscle extenseur de la cheville/fléchisseur du genou) ipsilatéral et controlatéral, respectivement. Les auteurs suggèrent que cette inhibition servirait à réduire la progression de la jambe lorsque le bras rencontre un obstacle. Toutes ces données montrent le rôle important des longs réflexes propriospinaux (ou spino-bulbo-spinaux) dans la coordination AP.

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