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5 / Localisation de l’horloge rétinienne

III.5.A / Expression localisée des gènes horloge

Alors qu’il semble clair que l’horloge rétinienne est localisée dans la rétine externe chez les espèces vertébrées non mammifères, la situation semble plus complexe chez les mammifères (McMahon et al., 2014)

(Figure 17). La plupart des études qui ont cherché à connaître la localisation tissulaire et cellulaire de l’horloge rétinienne des mammifères ont utilisé les techniques d’hybridation in situ et de PCR quantitative (associée à un isolement des types cellulaires). Ces techniques, bien que particulièrement adaptées à la détection de rythmes d’expression génique dans des populations cellulaires identifiées, ne donnent pas

d’indices sur la fonctionnalité d’un oscillateur potentiellement révélé, particulièrement lorsqu’elles sont appliquées ex vivo et en cycle LD.

Il en résulte, dans les grandes lignes, qu’une machinerie horlogère serait présente plutôt dans la rétine interne chez le rat, mais exprimée à faible niveau et avec la capacité d’osciller uniquement en cycle LD dans les photorécepteurs. Chez la souris, les études sont plus nombreuses mais apportent des indications contradictoires, notamment en ce qui concerne les photorécepteurs et le fait qu’ils co-expriment différents gènes horloge. Les données sont un peu plus consensuelles au sujet de la capacité de la rétine interne de la souris à exprimer une machinerie horlogère, notamment du fait de la co-expression de plusieurs gènes horloge dans les différents types cellulaires (Ruan et al., 2006), à l’exception d’une étude qui va en sens inverse (Dkhissi-Benyahya et al., 2013). Une unique étude a porté sur l’expression de l’ensemble des protéines horloge et laisse ouverte la possibilité d’une horloge dans chacune des trois couches nucléaires de la rétine de souris (Liu et al., 2012).

Souris Rat

GCL

Per1 (+) (Witkovsky et al., 2003)

Per1 (+) (Yujnovsky et al., 2006)

Per1 (+) (Dinet et al., 2007)

Cry1 (+), Cry2 (++) (Miyamoto and Sancar, 1998)

Per1, Per2, Cry1, Cry2, Clock, Bmal1 (Co+) (Ruan

et al., 2006)

Clock, Bmal1, Per1 (+) (Gekakis et al., 1998)

GCL

Per1 (+), Per2 (-) (Namihira et al., 2001)

Clock, Bmal1 (++) (Namihira et al., 1999)

GCL+INL

Per1, Per2, Per3, Cry1, Cry2, Clock, Bmal1, Rev-Erbα, Rorα (+) (Dkhissi-Benyahya et al., 2013)

INL

Per1 (+) (Witkovsky et al., 2003)

Per1 (+) (Dinet et al., 2007)

Per1 (+) (Yujnovsky et al., 2006)

Cry1 (+), Cry2 (++) (Miyamoto and Sancar, 1998)

Bmal1, Clock, Cry1, Cry2, Per1, Per2 (Co+ : DA) ; Clock, Cry1, Cry2, Per1, Per2 (Co+ : BC bâtonnet) (Dorenbos et al., 2007)

Per1, Per2, Cry1, Cry2, Clock, Bmal1 (Co+ : DA, HC, CA, BC) (Ruan et al., 2006)

Clock, Bmal1, Per1 (+) (Gekakis et al., 1998)

INL

Per1 (++), Per2 (+) (Namihira et al., 2001)

Clock, Bmal1 (++) (Namihira et al., 1999)

PRL

Per1 (+ C57Bl/6 et – C3H) (Dinet et al., 2007)

Per1 (-) (Witkovsky et al., 2003)

Per1 (++) (Yujnovsky et al., 2006)

Per1, Per2, Per3, Cry1, Cry2, Clock, Bmal1, Rev-Erbα, Rorα (+) (Dkhissi-Benyahya et al., 2013)

Bmal1, Clock, Cry1, Cry2, Per1, Per2 (-)

(Dorenbos et al., 2007)

Per1, Per2, Cry1, Cry2, Clock, Bmal1 (Co-) (Ruan

et al., 2006)

Clock, Bmal1 et Per1 (Co+) (Gekakis et al., 1998)

PRL

Per1 (+), Per2 (-) (Namihira et al., 2001)

Clock, Bmal1 (+) (Namihira et al., 1999)

Per1, Per2, (Sakamoto et al., 2006)

Per1, Per3, Cry1, Cry2, Bmal1, Clock, Rev-Erbα, Rorα (+) ; Per2 et Npas2 (-)

(Tosini et al., 2007b)

Per1, Per2, Clock, Bmal1, Cry1, Cry2, RevErbα, Rorβ (+) (Sandu et al., 2011)

Clock, Bmal1, Per1, Per3, Cry2 (+)

(Schneider et al., 2010)

Figure 17 : Localisation des gènes horloge dans les différentes couches rétiniennes chez le rat et la souris.

Ce bilan concerne la détection des ARNm des différents gènes du cœur de l’horloge sans tenir compte du fait que les auteurs aient vérifié ou non leur rythmicité. (+) = ARNm détecté ; (++) = ARNm fortement exprimé ; (-) = ARNm non détecté ; (Co) = co-expression des ARNm dans une même cellule ; DA = cellule dopaminergique ; BC = cellule bipolaire ; HC = cellule horizontale ; CA = cellule amacrine catécholaminergique.

La toute récente revue écrite par McMahon, Iuvone et Tosini (McMahon et al., 2014) détaille et confronte l’ensemble de ces études chez le rat et chez la souris et en conclut que :

"Although several studies have investigated the presence of circadian clock genes (mRNA and protein) in the mammalian retina the results are contradictory and not conclusive about the type(s) of retinal cells that contain the circadian clock. Interpretation of these studies is complicated by the fact that they have used techniques with widely differing limits of detection (e.g. in situ vs. PCR, vs. LCM PCR, vs single cell RT-PCR, vs. immunocytochemistry), and different methods of assessing the independence of cell populations (pharmacology vs. physical lesions vs. genetic lesions). Resolution of the existing ambiguities may lie in assays of individual cell rhythms in isolated cell culture to establish not just which retina cell types express clock genes, but which can act as functional circadian pacemakers"

Les études ayant observé des rythmes circadiens (donc en DD) d’expression des différents gènes ou protéines horloge dans les différentes couches rétiniennes sont encore insuffisantes et n’aboutissent pas à des résultats identiques, comme le montre la Figure 18.

Souris Rat

GCL+INL

Per1, Per2, Clock, Rorα (Dkhissi-Benyahya et al., 2013)

Per1, Per2, Cry1, Cry2, Bmal1 (Ruan et al., 2006)

INL (cellules dopaminergiques)

Per1 (Witkovsky et al., 2003)

CRY2 (Liu et al., 2012)

PRL

Per1, Per2, Cry1, Cry2, Clock, Bmal1, Rev-Erbα, Rorα(Dkhissi-Benyahya et al., 2013)

PER1, PER2, CRY2, CLOCK, BMAL1, NPAS2 (cônes)

(Liu et al., 2012)

PRL

Per1, Per2, (Sakamoto et al., 2006)

Cry1, Cry2, Rorβ (Sandu et al., 2011)

Clock, Per3 (Schneider et al., 2010)

Figure 18 : Rythmicité circadienne des gènes et protéines horloge dans les différentes couches rétiniennes chez le rat et la souris.

Ce bilan concerne la détection de la rythmicité circadienne (en DD) des ARNm des différents gènes du cœur de l’horloge et de leurs protéines.

III.5.B / Données fonctionnelles

Les outils de suivi de l’expression génique précédemment cités peuvent également être utilisés sur des tissus en culture, mais les échantillons suivent alors leur rythme propre et se trouvent plus ou moins déphasés les uns par rapport aux autres et il devient alors particulièrement difficile de détecter des rythmes, notamment lorsqu’ils sont de faible amplitude.

Un progrès considérable à ces obstacles a été apporté par les outils de fluorescence, puis de bioluminescence, qui permettent de suivre en temps réel l’expression d’un gène horloge dans un même échantillon et sur de longues périodes de temps. Les lignées de rongeur exprimant le gène rapporteur Luciférase (Luc) sous la dépendance de promoteurs de gènes horloge ont permis de révéler qu’une horloge est exprimée par la rétine dans son ensemble chez la souris (Ruan et al., 2008) mais pas chez le rat (Tosini et

al., 2007b). Ces mêmes études ont également démontré une localisation de l’horloge rétinienne dans les photorécepteurs chez le rat et dans l’INL chez la souris.

III.5.B.a / Coup d’œil sur la couche des photorécepteurs du rat

L’étude faite chez le rat (Tosini et al., 2007b) a consisté en la culture de PRL obtenues après dégénérescence de la rétine interne par excitotoxicité suite à l’exposition à de l’acide kaïnique. Ces échantillons ont présenté des oscillations en bioluminescence qui n’avaient pas ou très peu pu être observées avec des rétines entières issues d’animaux de la même lignée (Figure 19). Ceci suggère que l’horloge rétinienne est localisée dans la PRL chez le rat, et que la rythmicité de cette couche n’apparaît plus au niveau de la rétine entière parce que les autres couches expriment le gène horloge soit de manière constitutive (ce qui noie la rythmicité émanant de la PRL), soit de manière rythmique mais avec des phases différentes.

Figure 19 : Enregistrements en bioluminescence de rétines entières et PRL isolées de rat Per1-Luc.

(Tosini et al., 2007b)

Des rétines entières et PRL de rats Per1-Luc sont cultivées sur du milieu DMEM. Les données de bioluminescence sont présentées après soustraction d’une ligne de base et un lissage sur 2 h autour de chaque point. Tous les échantillons de PRL sont rythmiques, mais seules 4 rétines sur 16 oscillent légèrement.

III.5.B.b / Coup d’œil sur la couche nucléaire interne de la souris

En ce qui concerne l’étude faite chez la souris (Ruan et al., 2008), l’approche a consisté à enregistrer avec une caméra les signaux de bioluminescence émanant de tranches verticales de rétines (passant au travers des trois couches). Des signaux oscillants se sont révélés visibles au niveau de l’INL (Figure 20), mais il est possible que des signaux d’intensité moindre aient pu être émis par les deux autres couches et passer inaperçus. En revanche des explants de rétines entières issues d’animaux de la même lignée émettent des signaux oscillants de grande amplitude et persistant plusieurs jours.

Cette étude précise les données obtenues peu avant par les mêmes auteurs par l’enregistrement de rétines de souris après dégénérescence de la PRL (Figure 21).

Figure 20 : Enregistrements en bioluminescence de rétines de souris PER2::LUC en coupe transversale. (Ruan et

al., 2008)

Des coupes transversales de souris PER2::LUC sont cultivées sur du milieu 199 après une préincubation de 24 h sur du milieu Neurobasal. (A) Identification des couches rétiniennes qui émettent un signal de bioluminescence (à droite) à partir d’une image de l’échantillon en fond clair (à gauche) : le signal émane principalement de l’INL. Barre d’échelle = 50 µM. (B) Suivi du rythme de bioluminescence d’une tranche durant 24 h avec une mesure de 30 min toutes les 6 h. Barre d’échelle = 100 µM. Flèches = membrane de culture.

(C) Quantification du signal de

bioluminescence émis par un échantillon enregistré durant 47 h avec une mesure de 30 min toutes les 30 min.

Figure 21 : Enregistrements en bioluminescence de rétines internes (GCL+INL) de souris PER2::LUC. (Ruan et al., 2006)

Une fois la dégénérescence des photorécepteurs achevée, des rétines de souris PER2::LUC portant la mutation rd sont cultivées sur du milieu 199.

III.5.C / L’hypothèse "cellules dopaminergiques"

Les cellules dopaminergiques constituent un candidat idéal pour occuper une place centrale dans l’horloge rétinienne, en tout cas chez la souris. En effet, outre le fait de communiquer avec l’ensemble des types cellulaires rétiniens (cf. paragraphe II.2.E.b /), elles constituent un centre intégrateur des informations photiques issues de l’ensemble des cellules photosensibles de la rétine. Chez la souris, elles forment en fait une population hétérogène répondant de différentes manières à la lumière (Zhang et al., 2007) :

- une partie de la population répond à la lumière en augmentant son taux de décharge de manière transitoire (type ON transitoire)

- une autre partie répond à la lumière en augmentant son taux de décharge de manière soutenue (type ON soutenu)

Ces réponses variées peuvent passer par des voies de signalisation différentes, les cellules dopaminergiques étant post-synaptiques aux cellules bipolaires (glutamatergiques) et amacrines (GABAergiques et glycinergiques). Elles proviennent en fait de partenaires différents : les cellules ON transitoires répondent aux cellules bipolaires de type ON via le récepteur mGluR6 (et donc répondent aux signaux photiques reçus par les photorécepteurs) alors que les cellules ON soutenues reçoivent un signal glutamatergique d’une source identifiée peu après (Zhang et al., 2008) : ce sont les cellules ganglionnaires à mélanopsine, dont les dendrites contactent effectivement ceux des cellules dopaminergiques (Vugler et al., 2007) pour former des synapses véhiculant un signal rétrograde (Viney et al., 2007). Le dernier chapitre de cette histoire montre que la réponse ON soutenue des cellules dopaminergiques nécessite la présence de la mélanopsine et passe par les récepteurs AMPA et kainate (Zhang et al., 2012). Ainsi donc les cellules amacrines dopaminergiques intègrent des signaux photiques issus des photorécepteurs et des cellules ganglionnaires à mélanopsine, ce qui est confirmé par le fait que la réponse ON soutenue, mais pas transitoire, persiste chez des animaux dont les photorécepteurs ont dégénéré (Zhang et al., 2008). Une étude avait d’ailleurs montré dès 1980, chez le rat cette fois, que les cellules dopaminergiques continuent à répondre à la lumière malgré une dégénérescence des photorécepteurs (Morgan and Kamp, 1980).

En plus de cette position de centre intégrateur des informations lumineuses, il a été montré que les cellules dopaminergiques murines expriment les protéines horloge PER1, CRY1, CRY2, CLOCK et BMAL1 (Gustincich

et al., 2004) et co-expriment les gènes horloge dans une même cellule (Dorenbos et al., 2007; Ruan et al., 2006). Il semble donc vraisemblable que ces cellules aient une capacité oscillatoire circadienne endogène.

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