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Pour aborder la question de l’intimité, il nous semble important de rappeler que l’angle d’approche de la littérature dans l’émission est la personne de l’écrivain. Nous avons vu que le format mensuel ne permettait pas à l’émission littéraire de s’appuyer uniquement sur le flux des publications. Ainsi, le dernier livre édité –même en tant qu’objet- passe au deuxième plan.

* La prévalence de l’homme devant le livre

L’approche est inversée par rapport aux anciennes émissions littéraires. Dans 21

centimètres, la personne de l’auteur prime sur la dernière sortie littéraire. Certes, les émissions

littéraires ont toujours laissé une place essentielle à l’humain derrière le livre publié. C’est d’ailleurs l’intérêt de l’émission littéraire : de montrer l’écrivain, pour qu’il dise plus que ce que l’on peut déjà trouver dans le texte. Le spectateur accède à des explications supplémentaires de la part de l’écrivain mais il découvre aussi l’envers du décor, la personne de l’auteur, son histoire, les origines du livre…

Le dévoilement de la personne de l’auteur devant les caméras n’est pas une nouveauté. L’émission de Bernard Pivot montrait déjà le lien entre la personne de l’auteur et le livre publié. Dans Apostrophes, chaque fois qu’un écrivain venait présenter sa dernière publication, son visage était incrusté au milieu de la couverture de son livre.Bernard Pivot s’autorisait déjà des questions personnelles aux écrivains (à Marguerite Duras : « on a l’impression que vous savez dès le premier

regard que vous allez connaître avec lui le plaisir » à propos de son premier amant) mais celles-ci

ont pour point de départ le dernier livre publié.

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La présence de l’objet livre dans Apostrophe et La Grande Librairie est intéressante à ce sujet. La dernière publication de l’invité est omniprésente dans les mains des présentateurs, qui piochent dedans, le citent. Le livre est également un marqueur pour signaler l’objet de l’interview en cours. Des ouvrages sont posés sur la table au centre du plateau. L’objet livre est visible tout au long de l’émission.

Dans 21 centimètres, l’objet livre –et notamment le dernier publié en date- est bien moins visible. La figure de l’écrivain prime clairement sur le dernier livre publié. On découvre l’auteur dans la première séquence dans un environnement qui lui est familier et entraîne généralement un début d’interview sur des questions personnelles (à Leila Slimani sur la corniche de Casablanca : « Quel pays est-ce que c’est pour vous, le Maroc ? »).

Le présentateur tient parfois des livres dans les mains lors du sommaire mais ils sont absents des séquences délocalisées. Dans la première saison, la couverture du dernier livre publié

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était incrustée lorsqu’il était abordé, comme dans l’émission avec Joan Sfar. Ce procédé disparaît dès l’épisode suivant.

Dans la séquence centrale, les livres de l’invité sont disposés sur la table basse mais ne sont pas manipulés. Les ouvrages feuilletés et regardés sont rarement ceux des invités mais plutôt ceux des écrivains qu’ils apprécient. Ils permettent d’évoquer les goûts et les thématiques chères à l’écrivain et contribuent à faire son portrait.

* Le portrait de l’invité

En effet, l’émission commence sous le signe du portrait. Pendant quatre minutes, l’écrivain est présenté à la manière de John Baldessari. En 2011, l’artiste conceptuel a en effet réalisé le mini-documentaire A brief history of John Baldessari, retraçant sa vie et son parcours artistique. Les premiers mots de ce film sont :

« This is John Baldessari’s pencil. This is John Baldessari’s chair. This is what John Baldessari

sees when he sits at his desk. This is a film about John Baldessari, the artist. John Baldessari decided that this film should be narrated by me : Tom Waits. »

« He is a great artist » (John Baldessari) « Thanks John » (Tom Waits)

L’artiste a choisi le musicien et acteur Tom Waits pour poser sa voix sur le documentaire. Ce dernier est composé d’une partie narrative avec des illustrations et des commentaires de John Baldessari sur le documentaire. Le ton est humoristique et décalé. Des informations anecdotiques sont révélées comme le code WIFI de Baldessari.

Toutes ces caractéristiques sont reprises dans les portraits des invités de l’émission. Les invités expliquent le choix du narrateur (Leila Slimani : « Benjamin Biolay : parce que j’adore sa

voix. Il y a une espèce d’alchimie. J’ai l’impression qu’il me parle directement à moi. », Daniel

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Le portrait répond également à l’esthétique du fragment avec la narration d’anecdotes. « Quand il eut

six ans, l’angelot fut happé par une poubelle à Djibouti. Au milieu des ordures, il se débâtit longtemps longtemps, longtemps, par soixante degrés. », raconte

François Morel à propos de Daniel Pennac.

Cependant, des éléments bien plus intimes que dans le portrait de Baldessari sont mentionnés : l’emprisonnement du père de Leila Slimani pour malversations financières et son blanchiment après sa mort, le meurtre de la mère de James Ellroy, le viol de Virginie Despentes…

Sans rentrer dans la caricature de l’émission-canapé comme Le Divan (diffusé entre 2015 et 2018 sur France 3 où Marc-Olivier Fogel interviewait des personnalités publiques sur leur intimité), l’émission 21 centimètres recherche un dévoilement de l’invité. Pour montrer la personne de l’écrivain, une construction est mise en place pour créer un semblant d’intimité entre le présentateur et l’écrivain.

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