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Les sources d’un éveil culturel africain, plus sensible aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, peuvent paraître lointaines dans le temps et dans l’espace. Si elles indiquent l’enracinement dans la terre africaine, elles répondent de cadres politiques différents. À partir de 1900 est lancé à Londres le premier Congrès panafricain, à l’initiative de H. S. William, originaire de Trinidad. Il sera suivi par ceux de Paris (1919) et de Londres (1921, 1945), affirmant la présence active de l’Américain W. E. B. du Bois et l’entrée dans l’actualité politique et culturelle mondiale d’un mouvement « pan-nègre ».

Cette prise de conscience des Noirs issus du continent africain et transplantés aux Amériques et dans les îles des Caraïbes s’inscrit justement dans le politique et le culturel. Elle ne saura se départir d’une quête – parfois tragique - de l’identité nègre, dans le cas d’un Marcus Aurelius Garvey (Jamaïque), invitant, en 1920, à un « Come back Africa » qui n’est pas seulement un retour aux fondements originels de la culture ancestrale perdue. En 1936, Georges Padmore (Trinidad) signe un pamphlet remarqué sur L’Afrique sous le joug des Blancs. Des luttes raciales aux États-Unis d’Amérique, pays où les droits de l’homme noir ne seront reconnus que sélectivement dans les années 1960 et, au-delà même dans certains États du sud, aux revendications plus explicitement culturelles, mais aussi de Londres à Paris, le renouveau noir passe par une réappropriation d’un imaginaire de l’Afrique et de son histoire.

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Les cris de révolte des Noirs d’Amérique et des Caraïbes seront entendus en Europe, dans les capitales des pays coloniaux, comme une infinie contestation d’une dépossession de l’homme noir, aux blessures toujours ouvertes. L’Américain Langston Hugues en propose une charte :

« Nous, créateurs de la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre personnalité sans honte ni crainte. Si cela plaît aux Blancs, nous en sommes fort heureux. Si cela ne leur plaît pas, peu importe. Nous savons que nous sommes beaux. Et laids aussi. Le tam-tam pleure et le tam-tam rit. Si cela plaît aux gens de couleur, nous en sommes fort heureux. Si cela ne leur plaît pas, peu importe. C’est pour demain que nous construisons nos temples, des temples solides comme nous savons en édifier, et nous nous tenons dressés au sommet de la montagne, libres en nous-mêmes40. »

Deux textes balisent l’irruption de nouvelles générations de l’intelligentsia nègre qui se font connaître dans les années 1930-1940. Leur effet quasi-révolutionnaire s’apprécie en termes de distance d’avec la situation de soumission et de dévalorisation qu’induit durablement l’entreprise coloniale. Batouala, véritable roman nègre (1921) de l’Antillais René Maran et Banjo (1928) de l’Américain Claude Mac Kay, font entendre deux critiques du Blanc et du Nègre qui ne seront pas sans conséquences dans leur histoire future.

1° | Batouala, couronné, en 1921, l’année de sa publication par l’éditeur parisien Albin Michel par le prix Goncourt, provoque en France et dans les colonies de vives réactions dans ce que l’historien Charles-Robert Ageron appelle « le parti colonial »41. La critique observe ce « phénomène », vite amplifiée par le ton nouveau de la préface de l’auteur et le pacte de lecture qu’elle entend définir. Voilà donc, pour la première fois, un roman qui fait la part belle à des Nègres de l’austère colonie de l’Obangui-Chari (Tchad), dans lequel les Blancs ne figurent au mieux que comme personnages secondaires, perçus

40 Cité par Léopold Sédar Senghor, Trois poètes négro-américains, Paris, Seghers, 1945.

41 France coloniale ou parti colonial, Paris, PUF, 1973. Lilyan Kesteloot en rapporte quelques réactions dans Les Écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, Institut de sociologie, 1965, pp. 83-87.

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avec le semblable regard qui dans la littérature coloniale des Français a construit une implacable altérité, faisant du Nègre, un Autre, éternellement mineur. René Maran contrevient ainsi aux cadres rigides de la littérature coloniale, qui pose un autre référent géographique et culturel africain, porté par un autre discours qui est celui du doute et du questionnement. Ce roman, qui n’est pas une célébration de la transformation coloniale des territoires conquis, ne pouvait que déranger.

2° | Banjo. Claude Mc Kay fait partie du groupe d’auteurs noirs américains (Countee Cullen, Jean Toomer, J. W. Johnson, Sterling Brown) installés en Europe, peu après la Première Guerre mondiale. Après Paris, c’est à Marseille qu’il choisit de se fixer et y achève l’écriture de Banjo, publié en 1929 et traduit en langue française en 193142, un roman surprenant par la critique qu’il apporte d’un mimétisme extrême de l’« être noir ». Plus précisément, il met en question le Noir évolué, victime de l’idéologie blanche. Ray, le personnage principal du roman – et porte-parole de l’auteur – peut interpeller en ces termes l’élite noire assimilée :

« On vous donne une éducation d’homme blanc et vous apprenez à mépriser votre peuple […] Alors, devenus adultes, vous découvrez avec la violence d’un choc que vous n’appartenez pas et que vous ne pouvez appartenir à la race blanche. »

Là encore, comme chez René Maran, il s’agit de retrouver une identité de l’« être noir43 assez puissante pour contrebalancer les effets du partage racial.

Il y a en ce début des années 1930, au moment où de jeunes étudiants antillais et africains, en formation à Paris, prennent la parole, un contexte de changement radical, sans doute plus culturel que politique. Il va hâter la recherche par les animateurs des

42 Le roman est édité, à Paris, par Rieder.

43 Au début du XXe siècle, l’anthropologie européenne s’y employait déjà à travers les travaux de Léo Frobenius, Georges Hardy, Théodore Monod, Maurice Delafosse. L’essai du docteur Jean Price-Mars

Ainsi parla l’oncle (1927) résume une démarche de révision et de réhabilitation de la tradition noire. Elle est parfaitement entrevue dans la peinture avec les travaux de Vlaminck, Derain, Matisse et Picasso et pour la première fois dans la littérature avec l’Anthologie nègre (1921) de Blaise Cendrars.

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éphémères revues Légitime Défense44 (1932) et L’Étudiant noir45 (1934) de nouvelles filiations, du surréalisme au communisme, et aussi de nouveaux positionnements dans une longue quête identitaire dont le débat, toujours renouvelé, sur la Négritude souligne les attentes.

I.

UNE DIVERSITÉ D’HÉRITAGES

Les littératures nationales d’Afrique noire francophone transcrivent l’héritage commun d’une histoire littéraire diversement partagée à défaut d’être assumée. La spécificité régionale, attribuée dans les discours critiques et historiques sur ces littératures (jusqu’aux lendemains des indépendances), relève au-delà de leur qualification, les difficultés d’émergence et d’autonomisation de littératures portant la conscience politique et juridique des nouveaux États nationaux. Dans une des premières synthèses historiques sur ces littératures d’Afrique noire, Robert Cornevin pouvait pointer un sérieux décalage méthodologique qui perdurait :

« Il est rare que l’auteur soit situé dans son contexte national. Or il paraît impossible de juger une œuvre d’imaginaire si l’on ne tient pas compte du complexe réseau de liens familiaux basé sur le culte des ancêtres qui régit les sociétés négro-africaines et les différencie profondément de nos sociétés européennes46. »

Il convient aussi de dire ce qui marque dans ces sociétés africaines l’identité propre à chaque groupe, transcendant le socle unitaire de pratiques animistes surannées,

44 Le groupe de Légitime Défense est composé de Jules Monnerot, René Ménil et Étienne Léro. Un seul numéro en a été publié au mois de juin 1932 (rééd. en fac-similé par Jean-Michel Place, à Paris, en 1979).

45 Il y a eu deux livraisons de la revue qui portait en tête de son premier numéro le titre L’Étudiant

martiniquais. Dans le groupe des fondateurs, se distinguaient Léopold Sédar Senghor, Birago Diop et Ousmane Socé (Sénégal), Aimé Césaire (Martinique), Léon-Gontran Damas (Guyane), Léonard Sainville et Aristide Maugrée (Antilles).

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métissant de nouvelles croyances monothéistes, chrétiennes et musulmanes. Les singularités culturelles de chaque groupe sont aussi éclairées par les transformations souvent radicales qu’apporte le choc colonial.

La colonisation française détermine, en dépit même de sa barbarie et de sa durable entreprise de dépossession culturelle des peuples asservis47, une entrée dans l’histoire. Cette entrée dans l’histoire reste à la base même de la formation de nouvelles élites indigènes dans les champs politique et culturel. L’avènement d’une écriture négro-africaine en langue française renvoie expressément au rôle subtil de l’institution scolaire coloniale qui a unifié, à travers l’expérience exceptionnelle au Sénégal de l’École William Ponty (Gorée, Rufisque, Dakar), les modèles d’acteurs sociaux et les rangs de l’intelligentsia francophone d’Afrique noire.

- Les fondements d’une écriture en langue française

Dans une étude sur le rapport entre la pédagogie du français et la littérature dans l’Afrique noire francophone48, Jean-Claude Blachère désigne le manuel scolaire de langue française comme une des sources de l’apprentissage de l’écriture littéraire. C’est dans le manuel de langue française, note Blachère, citant la série de Mamadou et Bineta d’André Davesne et Jules Gouin, collection de référence dans les années 1940, que se forment chez les écoliers d’AOF et d’AEF les premiers rudiments de l’écriture49. Et bon nombre d’entre furent tentés d’écrire une « page », imitant celles qui ont nourri leur enfance et surtout leur passage à une langue nouvelle et à ses références civilisationnelles.

Le « roman scolaire », à la manière de Mamadou et Bineta, mais aussi la littérature française, à travers le réseau dense de ses œuvres classiques et modernes,

47 Voir sur cet aspect, un témoignage d’époque : Paul Vigné d’Octon, La Gloire du sabre (1900) ; rééd. Alger, Anep, coll. « Voix de l’anticolonialisme », 2006.

48 « Le chaînon manquant » dans François Durand [dir.], Regards sur les littératures coloniales, Afrique

francophone : Découvertes, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 85-101.

49 Cette expérience est à rapprocher de celle de G. Bruno (Mme Alfred Feuillée), proposant, à partir de 1870, Le Tour de la France par deux enfants. Yves Chevrel évoque à son propos un « roman pédagogique » qui « a fédéré des figures historiques pour en faire des objets de mémoires » (La

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circonscrivent le champ des expériences. Les plus originales furent celles d’un théâtre scolaire inédit qu’entreprennent sous la direction de Charles Béart les élèves de l’école-primaire-supérieure de Bingerville (Côte d’Ivoire). Rendant compte de cette expérience, Béart pouvait insister sur les sources littéraires françaises et les possibles impasses du mimétisme, allant jusqu’à redouter « un Rodrigue-Soundiata » et une « Bineta-Andromaque »50. Ce scepticisme critique accompagne longtemps les débuts de la littérature coloniale négro-africaine de langue française.

Ce mimétisme devait-il être érigé en règle ? Dans Portrait du colonisé51, Albert Memmi notait une attitude constante dans le rapport colonisateur-colonisé, celle de l’état de soumission au modèle du Blanc. « Manière de Blanc », reproduite à l’envi sans qualification ni gratification pour le colonisé en Afrique noire et au Maghreb :

« […] Nègre, juif ou colonisé, il faut ressembler de plus près au blanc, au non-juif, au colonisateur. De même que beaucoup de gens évitent de promener leur parenté pauvre, le colonisé en mal d’assimilation cache son passé, ses traditions, toutes ses racines enfin, devenus infamantes52. »

La venue à la littérature, au début du XXe siècle, des élites indigènes des colonies françaises d’Afrique noire – et aussi des Caraïbes – posait le problème de la confrontation aux modèles littéraires occidentaux, de manière déterminante ceux que diffusait l’institution scolaire, mais aussi ceux qui émergeaient dans les compétitions du champ littéraire français53. Jusqu’à quel point les élites négro-africaines de la première moitié du XXe siècle, entrées, par le concours de l’école républicaine française, de plain-pied dans la culture littéraire française perdaient en authenticité ? Pendant la

50 Cité par R. Cornevin (1976), op. cit., p. 143.

51 Portrait du colonisé suivi du Portrait du colonisateur, Paris, J.J. Pauvert, coll. « Libertés », 1966.

52 Ibid., pp. 150-151.

53 Face à une littérature de Créoles, modulant à l’extrême l’imitation des modèles romantiques, parnassiens et symbolistes dans ses poésies, le groupe Légitime défense choisit de s’inscrire dans une sorte de rupture doublement révolutionnaire, par sa proximité littéraire du surréalisme et politique du parti communiste français.

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période coloniale, les élites africaines n’allaient pas sans dommages évident se fourrer, selon la formule célèbre de Kateb Yacine « dans la gueule du loup »54.

La culture française fut certes pour eux une arme à double tranchant : profondément assimilatrice et libératrice à la fois. Frantz Fanon a situé dans Les Damnés de la terre55, le triptyque dans lequel évoluait l’intellectuel colonisé, reconnaissant trois moments structurants dans la création littéraire :

1° | Celui du mimétisme, répondant d’une situation d’assimilation totale à la culture du colonisateur :

« On trouvera dans cette littérature de colonisé des parnassiens, des symbolistes, des surréalistes56. »

L’Éléphant qui marche sur des œufs (1931) de Badibanga (Congo belge), et Karim, roman sénégalais d’Ousmane Socé (1935) montrent les limites d’un projet de passage dans la culture de l’Autre, assumé dans une fusion du vieux fonds de la tradition africaine à la modernité occidentale.

2° | Celui d’une prise de conscience par l’intelligentsia de sa solitude et de son éloignement du peuple qui suscite une littérature d’évocation, rappelant des souvenirs d’un temps perdu. C’est dans cette phase que se situe l’entreprise de réhabilitation culturelle du groupe de L’Étudiant noir (1936), comme en témoigne ce cri de Léopold Sédar Senghor, rapporté par Lylian Kesteloot :

« Nous n’avions rien inventé, rien créé, ni sculpté, ni peint, ni chanté… Pour asseoir une révolution efficace, il nous fallait d’abord nous débarrasser de nos

54 « Jardin parmi les flammes », Esprit, n° 11, novembre 1962.

55 Paris, Maspero, 1961.

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vêtement d’emprunt, ceux de l’assimilation, et d’affirmer notre être, c'est-à-dire notre négritude57. »

Il y aura dans cette démarche de reconquête de soi, de réhabilitation du vieux fonds patrimonial, qu’entreprend le mouvement de la Négritude, des nuances, de la conception culturaliste de Senghor à celle, plus explicitement politique, d’Aimé Césaire58. Mais elle affirme dans l’intelligentsia africaine et antillaise la nécessité d’une redéfinition du rapport à la colonisation et aux sources de l’« être noir »59.

3° | Celui de la plongée de l’intellectuel dans le peuple, offrant une littérature de combat, proche des aspirations nationales des groupes sociaux colonisés. Cette mutation politique des littératures négro-africaines de langue française est portée essentiellement par le roman des années 1950 ; elle correspond à la volonté de la France d’entrer dans une prudente décolonisation qui aboutit à la proclamation des indépendances des anciens territoires de l’AEF et de l’AOF et à la formation de nouvelles entités nationales (Guinée, en 1958, et, 1960, pour le reste des États). Les noms et les œuvres des Camerounais Mongo Béti (Le Pauvre Christ de Bomba, 1956 ; Mission terminée, 1957; Le Roi miraculé, 1958), Ferdinand Oyono (Une Vie de boy, 1956; Le Vieux nègre et la médaille, 1956), du Sénégalais Ousmane Sembene (Le Docker noir, 1956), marquent sur différents registres de discours – de l’humour à l’ironie – la possibilité de mise à distance de l’histoire coloniale. Elle sera théorisée par les Sénégalais Alioune Diop et Cheikh Anta Diop dans Culture et colonialisme (Paris, La Nef de Paris, 1957).

57 Lylian Kesteloot (1965), op. cit., pp. 110-111.

58 Cf. sa Lettre à M. Thorez, secrétaire général du PCF, reproduite par Présence africaine (1956), Césaire revendique l’autonomie politique de l’intelligentsia négro-africaine et antillaise : « Nous, Hommes de couleur […] avons dans notre conscience pris possession de tout le champ de notre singularité ». Singularité culturelle, certes, mais plus encore politique.

59 Le mouvement de la Négritude sera fortement critiqué aux lendemains des indépendances. Au symposium culturel du Festival panafricain d’Alger (1969), des intervenants en dénonceront les dérives raciales. On en trouvera une lecture de rupture dans Stanislas Adotevi : Négritude et négrologues, Paris, UGE, 10|18, 1972.

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Les littératures négro-africaines de langue française de la période coloniale pouvaient cumuler ces trois moments de l’explication fanonienne dans leur évolution historique, fixant les attentes d’un renouveau politique et culturel noir, depuis le cycle des Congrès panafricains émancipateurs qui débutent en 1902 et se prolongent dans les réunions d’artistes et d’écrivains de Paris (1956) et de Rome (1959), et de manière plus spécifique, dans la durée, avec le mouvement de la Négritude.

II.

ENTRE-DEUX-GUERRES : UNE LITTÉRATURE DE LA DÉPENDANCE

Les premières tentatives littéraires négro-africaines de langue française datent des années 1920. Elles se placent volontairement dans un accompagnement – sans doute nécessaire – de médiateurs français et étrangers qui en précisent les influences. Quatre exemples inauguraux en disent les perspectives : Les Trois volontés de Malic (Paris, Larousse, 1920) de Amadou Mapaté Diagne (Sénégal), récit inspiré par Georges Hardy60, relève d’une conception scolaire de l’écriture littéraire ; Force-Bonté (Paris, 1926) de Bakary Diallo (Sénégal), qui bénéficie de la vive recommandation de Lucie Couturier61 auprès de Jean-Richard Bloch62, distingue le sentiment de fidélité à la

60 Georges Hardy est chargé, en 1911, par le général Hubert Lyautey, chef du Protectorat français au Maroc, d’organiser l’enseignement français dans ce pays où il réside jusqu’au début des années 1920, y gardant aussi de solides liens dans l’administration et dans l’intelligentsia locale. Il est par la suite, jusqu’aux années 1940, inspecteur général de l’enseignement en AOF. Il se fait connaître par de nombreux travaux de didacticien intéressé par la psychologie coloniale. Son ouvrage sur L’Art nègre (1927) reste une des plus sûres références sur la résurgence du vieux fonds civilisationnel de l’Afrique noire. Cette expérience est consignée dans Une conquête morale. L’enseignement en Afrique occidentale

française, Paris, L’Harmattan, 2005 (Présentation de Jean-Pierre Little).

61 Lucie Couturier visite et soigne les blessés africains de la Première Guerre mondiale. C’est par eux qu’elle s’intéresse à l’Afrique et en donne des récits convenus : Des Inconnus chez moi (1918), La Forêt

du Haut-Niger (1923), Mes Inconnus chez eux, Mon amie Fatou citadine et Mon ami Soumaré Laptot (1925).

62 Lorsqu’il introduit l’unique roman de Bakary Diallo, Jean-Richard Bloch (1884-1947) est déjà un auteur reconnu, en France, signant huit romans. Sa carrière d’écrivain et de journaliste se fera dès les années 1920 dans la proximité du PCF. Il fait partie des équipes d’Europe et de Clarté et lance, en 1937, aux côtés de Louis Aragon et de Paul Nizan le quotidien Ce soir.

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France des peuples colonisés d’Afrique noire63 ; Karim, roman sénégalais64 d’Osmane Socé est introduit par Robert Delavignette65 et Théodore Monod66 et les ouvrages de Dim Delobson (L’Empire du Mogho-Naba, 1932 ; Les Secrets des sorciers noirs, 1936) auront bénéficié de l’attention toute professionnelle du gouverneur de Haute-Volta (Burkina Faso) Robert Arnaud, mieux connu dans la littérature coloniale française sous le pseudonyme de Robert Randau67.

Au regard des œuvres, ces parrainages ne sont pas d’une grande lisibilité : un pédagogue colonial foncièrement humaniste, un écrivain-journaliste communiste, anti-colonialiste qui venait de s’engager publiquement contre la guerre du Rif, et des agents d’autorité, défenseurs de l’idée coloniale. S’il est vrai que Georges Hardy et le gouverneur Robert Delavignette ne pouvaient se réclamer que du seul intérêt - encore limité - de favoriser une prise de parole littéraire d’auteurs africains, parlant de leur vécu, au-delà de toute hypothèse littéraire, il n’en est pas de même pour Jean-Richard Bloch et Robert Arnaud-Randau. Et il conviendrait de porter plus d’attention au rôle de l’écrivain Robert Randau, soucieux de forger une conscience littéraire chez les Indigènes des colonies, comme il le fera, en Algérie, partageant ses toutes premières tentatives d’écriture littéraire avec Saadia Lévy (cosignant avec lui deux ouvrages, Rabbin, en 1896, et XI journées en force, en 1903), puis entreprenant avec Abdelkader Hadj Hamou (Abdelkader Fikri) un dialogue politique, assez audacieux pour l’époque (Les Compagnons du Jardin, 1935).

63 L. Kesteloot (1965) rejette cette relation de faits de la Première Guerre mondiale, « naïf panégyrique de la France », p. 21.

64 Jacques Chevrier (1999, p. 7) note cependant un aspect très vite passé sous silence de Force-Bonté qui, au-delà de l’attachement à la France, aiguise sa critique envers ses chefs politiques et dénonce leur ingratitude. Jean-Richard Bloch ne pouvait ignorer ce message qui sourd au fond même d’un langage de

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