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Littérature et autres objets (selon les dates)

Français et littérature

Chapitre 1. Une didactique de la littérature ?

5. Littérature et autres objets (selon les dates)

Avant l’année de thèse, mes écrits traitant d’autres objets que la littérature dominent, (18 contre 8 références) même s’il est significatif que les deux références « en noir » concernent la littérature. Avec la thèse, c’est l’inverse : 33 références concernent la littérature contre 20 pour d’autres objets et la tendance s’accentue si l’on ne tient compte que des travaux visés par un comité scientifique (respectivement 27 et 13).

Que l’année de ma thèse permette ainsi de voir cette spécialisation est d’une certaine manière assez normal : c’est cette dernière et mes ouvrages (Daunay, 2002a [DOC. A] ; 2002b [DOC. B]) qui m’ont fait reconnaître comme un spécialiste (critique) du champ de

l’enseignement-apprentissage de la littérature3 et m’ont amené à quelques communications

ou articles sur la question. Cette tendance s’explique aussi par le fait que mon premier travail de recherche d’envergure après ma thèse ait porté sur l’écriture d’invention, ce qui

2. Cf. l’indexation de mes travaux, infra, annexe, p. 212.

3. Cette reconnaissance peut se mesurer par exemple au fait que j’ai été sollicité pour la rédaction d’articles destinés au Dictionnaire

encyclopédique de l’éducation et de la formation, sur des questions touchant à la littérature (cf. Daunay, 2005a ; Daunay, Veck,

2005). Autre indice : la référence à mes travaux dans la réédition récente de deux ouvrages importants dans le champ, l’un portant sur la didactique du français (Chiss, David, Reuter, 1995/2005), l’autre sur la lecture littéraire (Dufays, Gemenne, Ledur, 1996/2005) : alors qu’évidemment mes recherches étaient inconnues des auteurs de ces ouvrages lors de la première édition (respectivement 1995 et 1996), ils font référence, dans la nouvelle édition, à mes travaux sur la lecture littéraire, en insistant d’ailleurs sur leur dimension critique : Chiss, David, Reuter (1995/2005, p. 227), Dufays, Gemenne, Ledur (1996/2005, p. 88-96).

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72 m’a conduit également à diverses publications sur cet objet4 : il y avait là une opportunité institutionnelle (l’introduction de ce nouvel exercice dans les instructions officielles pour le lycée en France), et je trouvais là surtout le moyen de poursuivre des recherches assez proches finalement de la problématique de la paraphrase5.

Tout montre donc que j’ai suivi une pente qui m’amène finalement à me spécialiser en partie dans le domaine littéraire. Or, comme le montraient les statistiques élémentaires que j’ai présentées concernant la répartition de mes articles selon les domaines, cette pente n’était pas, apparemment, forte au départ… Cette question mérite un examen plus détaillé, qui interrogera mon rapport à la littérature et mon positionnement dans le champ des recherches didactiques sur la littérature. Je mènerai cet examen en trois étapes : après avoir montré la réserve que j’ai toujours eue à l’égard d’une spécificité du traitement de la littérature (comme objet d’enseignement ou comme objet didactique), j’en expliciterai les raisons en décrivant les risques que contient une naturalisation du littéraire ; j’en viendrai enfin à interroger la possibilité d’une « didactique de la littérature ».

Une position de réserve quant à la spécificité de la littérature

Si mes premiers articles dans Recherches (de 1987 à 1990) traitent de littérature, ils la cantonnent au récit6, envisagé en fait dans la perspective d’une typologie textuelle, alors dominante en formation et dans les pratiques innovantes – sinon dans les recherches en didactique, déjà critiques à leur égard – et ces articles s’intègrent à un ensemble plus vaste, où prennent place des travaux sur d’autres types de textes7.

Autrement dit, la dimension littéraire est quasiment absente de mes premiers écrits, ce qui signale une volonté de rupture, clairement consciente à l’époque, avec un positionnement des corps d’inspection, garants d’une tradition scolaire qui privilégiait la littérature dans l’enseignement du français. Me considérant comme professeur de français – et non de lettres, je m’inscrivais alors, dans mon engagement militant au sein de la revue

Recherches (dont on a vu plus haut qu’elle était née dans la mouvance de la rénovation des

collèges et des MAFPEN, en rupture avec les corps d’inspection), dans un courant qui se méfiait sinon de la littérature, du moins de son usage scolaire8 et surtout de son rôle dans la reproduction des héritages culturels, pour employer des mots qui renvoient aux travaux de Bourdieu, lequel avait marqué de son empreinte les premiers didacticiens du français de la décennie précédente.

Le caractère militant et idéologique de ces choix d’évacuer le littéraire dans l’approche des faits didactiques se retrouve même, d’une certaine manière, dans les premiers de mes articles qui abordent franchement une problématique littéraire : Daunay, 1993a [doc. 2] ; 1993b [doc. 3]. En effet, dans ces articles datés de 1993, qui sont sans doute les plus importants d’avant mon entrée dans le travail de thèse9, il est frappant de voir une série d’excuses qui marquent comme une gêne à envisager le littéraire pour lui-même :

– en introduction de mon article sur le commentaire (1993a [doc. 2], p. 5), pour justifier que peu d’études aient été faites sur cet objet d’enseignement, j’écrivais que la

4. Daunay, 2003b [doc. 16] ; 2003c [doc. 17] ; Cauterman, Daunay et al., 2004 [DOC. C] ; Daunay, 2005d [doc. 22] ; 2006a [doc. 24] ; 2006c [doc. 26] ; 2006d [doc. 27] ; 2006f [doc. 28].

5. Sur le rapport entre paraphrase et écriture d’invention et la conception de la littérature qui se dégage de cette relation, cf. infra, p. 118.

6. Daunay (1988b) ; Daunay, Lusetti (1988a et 1988b).

7. Le texte injonctif (Daunay, Lusetti, 1987), l’argumentation (Daunay, 1988a), le schéma (Daunay, 1989, 1990a), le texte explicatif (Daunay, Lusetti, 1990 ; Daunay, 1990b [doc. 1]).

8. Qu’il s’agisse de la limitation du corpus scolaire aux œuvres canoniques, du rapport révérencieux à ces dernières, des exercices destinés à leur étude, etc.

9. Importants par la dimension théorique affichée et par l’attention portée à la méthodologie – il seront d’ailleurs intégrés ultérieurement à la thèse, alors qu’ils n’étaient pas conçus pour elle.

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73 didactique du français s’était « donné comme objets d’étude des problèmes que l’urgence sociale légitimait mieux », comme pour m’excuser de me lancer dans cette voie. Et je continuais d’un « pourtant » qui voulait justifier mon initiative, en précisant que le commentaire pouvait être formateur « tant par l’appropriation d’une culture que par l’amélioration des compétences d’écriture », et qu’une réflexion sur cet apprentissage relevait « d’une réflexion plus vaste sur le rôle de la littérature dans l’apprentissage du français et sur la fonction d’une meilleure maîtrise du métalangage dans le perfectionnement de l’écriture ». On voit à l’œuvre ici la volonté de minimiser la dimension littéraire de mon approche, en l’incluant dans des préoccupations didactiques plus vastes (écriture et métalangage) ;

– dans le même article, à la fin de l’introduction (p. 6), prend place une note significativement intitulée « Nota bene ou mea culpa », qui là encore s’excuse d’un choix mal assumé :

On trouvera dans cet article exclusivement des exercices sur des textes littéraires et narratifs. Ce n’est certes pas blâmable en soi, mais ce le deviendrait si l’on y voyait l’effet d’un double parti pris, que pourtant je récuse. Évitons donc d’emblée deux malentendus :

– un texte n’est pas forcément un texte littéraire. Permettre aux élèves de se construire une culture littéraire est un objectif, leur apprendre à commenter un texte en est un autre. Que les deux puissent se combiner est possible, mais pas nécessaire.

– un texte n’est pas forcément un texte de type narratif. Si les élèves de collège sont amenés à produire majoritairement des récits fictifs, il vaut la peine de chercher à diversifier les types de textes – à lire, à écrire et à commenter.

Il y a tout à gagner à construire un apprentissage du commentaire de texte qui ne se fonde pas exclusivement sur des textes littéraires et narratifs.

Les excuses initiales résonnent pourtant comme un déni, le reste de l’article ne traitant effectivement, comme annoncé, que de textes littéraires10 ;

– la conclusion de l’article enfin (p. 33) est aussi une forme d’excuse, quand elle renvoie la problématique du commentaire au domaine plus large du métadiscours et assimile de fait le texte littéraire à un discours comme un autre, ce qui permet de conclure sur la possibilité de penser « l’enseignement du français » (pas de la littérature) « en le considérant comme ouvert »11. Le jeu typographique final12 est également un moyen d’assimiler culture, discours et savoir, pour ne pas hypostasier la littérature, mais pour l’inclure comme un élément parmi d’autres de l’enseignement du français ;

– dans mon article sur les questions de compréhension au brevet des collèges (1993b [doc. 3]), je ne traite que de textes littéraires narratifs, contraint évidemment par mon corpus, mais sans vraiment d’état d’âme : je mène sur ce corpus une étude fortement influencée par la narratologie et je forge à cette occasion un concept – la détextualité – que je reprendrai plus tard, sans d’ailleurs jamais le mettre à l’épreuve que sur des textes narratifs13. Pourtant, vers la fin de l’article, je m’interroge sur l’évaluation de la compréhension dans les épreuves de brevet : « Pourquoi cette compétence est-elle jugée exclusivement à partir de textes narratifs fictifs – et littéraires ? » (p. 44). Manière assez limpide de me dédouaner de la dimension littéraire dans laquelle je m’étais pourtant inscrit. Cette réserve à l’égard du littéraire, dans des articles pourtant centrés sur des questions issues des théories littéraires, se lit aussi, assez logiquement, dans d’autres écrits qui abordent d’autres problématiques didactiques. C’est le cas d’un article collectif (portant sur l’enseignement de la grammaire), où est posé le principe (en faisant appel à Jean-François Halté, 1992, p. 23) de ne pas subordonner la grammaire à la littérature et de ne pas prendre comme référence la « langue écrite “littéraire” (ou plus vraisemblablement d’une

10. Dans une perspective souvent critique sur l’approche scolaire de la littérature : cf. la partie intitulée « fans et profanes », p. 22 sqq. 11. Cf. également le sous-titre, p. 22 : « Littérature et commentaire : la circulation des discours. »

12. « Ouvert à la circulation des cultures, des DISCOURS, des savoirs, des savoirs sur les discours, des DISCOURS sur les cultures, des

savoirs sur les CULTURES, des savoirs sur les discours sur les cultures, des DISCOURS sur les SAVOIRS sur les… » 13. Cf. Daunay (2002a [DOC. A], p. 111-134).

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74 représentation plus ou moins arbitraire de la langue littéraire – en fait : la langue des grammaires) » (Cauterman, Daunay, Fabé, Suffys, 1996 [doc. 5], p. 69).

Si j’ai cité ces passages (où, de l’excuse fondée sur des réserves a priori, on passe à l’affirmation d’un principe, fût-il encore faiblement étayé théoriquement), c’est que j’y vois le germe de positions qui fondent mes recherches futures, jusqu’aux plus récentes. On peut schématiquement les ramener à deux :

– la critique des notions de langue, de texte, de lecture ou d’écriture littéraires, qui fonctionnent comme autant de moyens (peu justifiés sur le plan théorique) de naturaliser la littérature et son usage scolaire ;

– l’inscription de la littérature dans la matière « français », sans supposer qu’elle soit susceptible d’une didactique spécifique, une « didactique de la littérature ».

Ces positions sont attestées dans ma thèse14, qui précisément cherchait à les étayer théoriquement, et se voient encore plus nettement défendues dans mes dernières recherches sur l’écriture d’invention (cf. infra, p. 83). De mes premiers travaux aux derniers s’observe donc la constance d’une conception de la place de la littérature dans l’enseignement du français ; celle-ci est défendue selon des positionnements progressivement différents, qui me font passer d’une affirmation de principe à l’argumentation théorique : mais cette dernière n’était possible qu’en fonction de la première et semble finalement se légitimer de la volonté de donner une assise théorique à une position de principe. Si j’ai assez souligné l’origine idéologique de cette conception – ce qui n’en fait pas, à mes yeux, une objection

préjudicielle – je voudrais maintenant m’arrêter sur les deux positions que j’ai signalées à

l’instant, en les examinant successivement pour interroger leurs fondements épistémologiques dans une perspective didactique.

Les risques d’une naturalisation du littéraire

On sait le statut ontologique un peu particulier de la littérature, qui déjoue toute définition de la part de ses spécialistes… Gérard Genette le rappelle dans son introduction à Fiction et diction (1991, p. 11) :

Si je craignais moins le ridicule, j’aurais pu gratifier cette étude d’un titre qui a déjà lourdement servi : « Qu’est-ce que la littérature ? » – question à laquelle, on le sait, le texte illustre qu’elle intitule ne répond pas vraiment, ce qui est somme toute fort sage : à sotte question, point de réponse ; du coup, la vraie sagesse serait peut-être de ne pas se la poser.

Entre une position sage et une attitude ridicule ou sotte, j’aurais presque spontanément envie d’opter pour la seconde… Mais Genette ne m’y invite pas vraiment, n’étant pas aussi simpliste que le font supposer les grossières dichotomies que je lui prête : sa sagesse, modalisée, est au conditionnel.

C’est ce qu’observe Jacques Rancière (1998, p. 5), qui ouvre son livre La Parole

muette par cette citation de Genette, en notant cette « sagesse au conditionnel », qu’il

interroge ainsi :

La question est-elle sotte parce que tout le monde sait, en gros, ce qu’est la littérature ? Ou bien, à l’inverse, parce que la notion est trop vague pour jamais faire l’objet d’un savoir déterminé ? Le conditionnel nous convie-t-il à nous délivrer des fausses questions d’hier ? Ironise-t-il au contraire sur la naïveté qui nous en croirait une bonne fois délivrés ?

Mais, ajoute Rancière (ibid.) :

14. La première, qui fait l’objet de tout le chapitre 4 (Daunay, 1999d, p. 190-246), s’affiche dès les tout premiers mots de ma thèse : « Le texte dit littéraire […] », écrivais-je, pour lancer mon enquête sur la paraphrase (cf. Daunay, 2002b [DOC. B], p. 1). La deuxième est défendue dès l’introduction, avec comme sous-titre : « Didactique du français ou didactique de la littérature ? » (Daunay, 1999d, p. 9 sqq.).

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La sagesse d’aujourd’hui allie volontiers à la pratique démystificatrice du savant le tour d’esprit pascalien qui dénonce en même temps la duperie et la prétention de n’être point dupe. Elle invalide théoriquement les notions vagues mais elle les restaure pour l’usage pratique.

Or précisément cette position favorise la naturalisation de notions, fussent-elles mises en doute sur le plan théorique. C’est ce que je voudrais montrer par un exemple précis, issu de l’ouvrage d’Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie (1998), qui interroge les notions des théories littéraires, en les confrontant à l’approche du « sens commun » : il me semble en effet bien illustrer la position que décrit ici Rancière. Son appel final à la

gradation de Pascal et à la bathmologie de Barthes15 dit assez ce choix de position, mais celle-ci est explicitement revendiquée par Compagnon (ibid., p. 278 sq.) :

L’attitude des littéraires devant la théorie rappelle la doctrine de la double vérité dans la théologie catholique. Chez ses adeptes, la théorie est en même temps l’objet d’une foi et d’un désaveu : on y croit, mais on ne va quand même pas faire comme si on y croyait tout à fait. Certes, l’auteur est mort, la littérature n’a rien à voir avec le monde, la synonymie n’existe pas, toutes les interprétations sont valables, le canon est illégitime, mais on continue à lire des biographies d’écrivains, on s’identifie aux héros des romans, on suit avec curiosité les traces de Raskolnikov dans les rues de Saint Pétersbourg, on préfère Madame Bovary à Fanny, et Barthes se plongeait délicieusement dans Le Comte de Monte-Cristo avant de s’endormir. C’est pourquoi la théorie ne peut pas l’emporter. Elle n’est pas en mesure d’anéantir le moi liseur. Il y a une vérité de la théorie, qui la rend séduisante, mais elle n’est pas toute la vérité, car la réalité de la littérature n’est pas entièrement théorisable. Dans le meilleur des cas, mon fidéisme théorique n’affecte qu’à moitié mon sens commun, comme chez ces catholiques qui, quand cela leur convient, ferment les yeux sur les enseignements du pape à propos de la sexualité.

Cette théorie conçue comme critique du sens commun n’irait cependant pas jusqu’à interroger cette idée du sens commun de certains théoriciens selon laquelle il faudrait

anéantir le moi liseur – au lieu, par exemple, de le théoriser… S’il va de soi qu’« il y a

théorie quand les prémisses du discours ordinaire sur la littérature ne sont plus acceptées comme allant de soi, quand elles sont questionnées, exposées comme des constructions historiques, comme des conventions » (ibid., p. 16), quelle mystique de la théorie peut supposer qu’il s’agisse d’« anéantir » ce qui relève de ce discours ordinaire, de « balaye[r] ces questions lancinantes » que posent les enseignants depuis toujours et encore maintenant sur les textes littéraires (ibid., p. 15), de « se débarrasser du langage ordinaire sur la littérature, celui des liseurs et des amateurs » (ibid., p. 15), bref de mener une « offensive […] contre le sens commun » (ibid., p. 278), de le « réduire définitivement au silence » (ibid., p. 277)16 ?

Quant à l’idée que la théorie serait en soi légitime pour sa valeur heuristique (ce sur quoi insiste Compagnon dans son ouvrage) sans qu’elle croie nécessaire d’interroger la

possibilité de son usage, elle dit assez combien la didactique ne peut trouver son compte

aux apports d’une telle théorie. Car ce que dit ce propos de Compagnon n’est pas seulement le partage de deux pratiques, celle du chercheur et du non-chercheur, mais aussi le partage de deux objets, la littérature comme concept et la littérature comme corpus d’usage. Or celle-ci n’a pas attendue celle-là pour se constituer et si l’école a pu trouver dans la première un objet transposable, c’est pourtant la seconde qui est la constante visée de l’enseignement littéraire (cf. infra, p. 94).

Et si la désinvolture théorique de Compagnon peut l’amener à se dire en même temps pape (dispensateur de théorie) et catholique (utilisateur libre de cette théorie)17, tout en

15. Cf. ma critique, déjà évoquée, de l’usage de cette notion, supra, p. 39, n. 52.

16. Cf. la « croisade, hélas toujours inachevée, contre l’illusion référentielle » de Michel Picard (1989, p. 56). Il faut noter qu’une didactique applicationniste a pu naguère se retrouver dans une telle logique : par exemple, J.-F. Halté, R. Michel, A. Petitjean (1977, p. 163) relatant une expérience en collège, justifient en ces termes la « démarche structurale » qu’ils proposent : « Les emprunts de concepts à Barthes […], à Greimas […], à Benveniste […], ont permis de contrecarrer les lectures heuristiques fondées sur la question “Qu’est-ce que cela veut dire ?”, en développant la question sur “Comment c’est fabriqué ?” » (cf. Halté, Martin, Michel, Petitjean, 1974, p. 6.

17. Comme s’il était anodin que le pape puisse enchaîner son admonestation dominicale sur la sexualité par une débauche sexuelle… Au reste, la métaphore est encore curieuse par le fait qu’elle identifie in fine la recherche théorique à une croyance – ce que d’ailleurs suggère le premier chapitre, intitulé « Que reste-t-il de nos amours ? » (la source des métaphores de Compagnon est assez localisée), où l’auteur évoque « ces années féeriques » et la « nostalgie » du « courant puissant » qui, ajoute-t-il, « nous emportait

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76 pointant la contradiction des deux postures, ce qui reste d’un tel équilibrisme est le constat que « la réalité de la littérature n’est pas entièrement théorisable ». Mais serait peut-être théorisable le partage du théorisable et du non théorisable dans les théories littéraires : pourquoi théoriser la mort de l’auteur plutôt que l’intérêt pour le biographique ? La non-référencialité du texte plutôt que l’identification effective aux personnages ? L’illégitimité du canon plutôt que l’évidence du jugement de goût ?

À vouloir justifier le cantonnement de la théorie qu’il défend à ce qui ne lui permet pas de répondre aux questions essentielles, Compagnon donne à penser, sans assurément s’en rendre compte ni s’en soucier, qu’il est loin de pouvoir se dédouaner de la rigidification de cette même théorie dans les pratiques d’enseignement. Écoutons Compagnon (ibid., p. 11) :

La théorie s’est institutionnalisée, elle s’est transformée en méthode, elle est devenue une petite technique pédagogique18 souvent aussi desséchante que l’explication de texte à laquelle elle s’en prenait alors avec