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D’un point de vue global, les données scientifiques définissent le cadre institutionnel comme l’élément organisateur et contenant de l’établissement. De ce fait, lorsque ce cadre n’arrive plus à endiguer les débordements, les limites de ce dernier sont dépassées. Dès lors, ces écrits retiennent l’attention sur la possibilité que l’institution soit passablement ébranlée. Les conduites problématiques d’un adolescent particulièrement difficile peuvent alors provoquer des répercussions néfastes sur toutes les personnes qui l’entourent. En systémique, la théorie des systèmes de Ludwig von Bertalanffy (1980, in : Meynckens-Fourez, M. 1994) illustre bien ce phénomène.

Les limites touchées varient selon les institutions et les affectent sur plusieurs niveaux :

a. L’épuisement des moyens éducatifs

Tout d’abord, il y a atteinte des limites quand les moyens éducatifs ne suffisent pas pour encadrer, faire évoluer le jeune et que l’équipe éducative a épuisé toutes ses stratégies, ses ressources. De ce fait, parfois les éducateurs se sentent impuissants face à l’ampleur des problématiques. En recueillant les propos, il me semble que ce qui influence le plus sur le moral des éducateurs est la situation qui stagne, qui s’envenime malgré leurs multiples tentatives et l’énergie qu’ils ont érigées envers le jeune. Or, lorsque les limites de l’équipe éducative sont touchées, les éducateurs, éreintés, peuvent être affectés dans leur santé et le risque d’arrêt maladie ou de burn-out augmente.

Les interviewés explicitent : « C’est une sorte d’impuissance, en colloque on peut vraiment se libérer et dire ce qu’on pense, c’est là qu’on constate soit un ras-le-bol, soit une impossibilité à trouver des stratégies, des solutions et il y a franchement une fatigue qui s’installe assez rapidement. », « Nos limites institutionnelles c’est qu’avec tout ce qu’on a essayé, mis en place, le jeune n’évolue pas. Donc nous là, c’est de dire stop, ça ne sert à rien de continuer, avec les moyens qu’on a, ça ne fonctionne pas. ».

b. L’agression physique sur un professionnel

De plus, un autre événement primordial dans l’atteinte des limites institutionnelle, qui fait l’unanimité auprès des professionnels interrogés sont les débordements de violence, et plus particulièrement l’acte de violence dirigé sur l’adulte. Celui-ci représente un des motifs principaux d’un arrêt de placement. Dans certaines mesures, l’agression physique d’un autre résident peut être aussi source de renvoi. « […] pour qu’on le mette dehors, ça va vraiment loin, en principe c’est une agression physique sur un adulte. », « les limites c’est la violence, l’agressivité caractérisée plusieurs fois sur un adulte, ce débordement, alors ça je ne peux pas accepter, une fois, deux fois, trois fois, après c’est trop, c’est stop. ». Un des répondants fait référence à la notion de sécurité envers les autres jeunes lors d’épisodes de violence. Il dit : « des fois il faut qu’on pense à sécuriser le groupe parce que ça ne va plus. Il y a un item de sécurité, je crois que c’est ça la limite institutionnelle. ». En conclusion, « une équipe ne peut pas travailler en ayant la menace constante d’un passage à l’acte de violence. ».

c. L’inadaptation de la prise en charge institutionnelle

Mais encore, les limites sont rapidement touchées « quand ça ne correspond pas aux besoins du jeune ». Si aucune intervention ne porte ses fruits au bout de quelques mois, « on n’est pas outillés pour aller plus loin. Donc là on est dans des alternatives où on va devoir aller ailleurs, que ce soit la consommation, que ce soit des problèmes psychiques trop importants, etc. ».

d. La répercussion néfaste des problématiques de l’adolescent sur le groupe de jeunes et l’institution

Les professionnels relatent aussi que la limite se situe au moment où les conduites de l’adolescent particulièrement difficile se répercutent sur l’ensemble du groupe de jeunes. À partir de l’instant où toute la structure subit les effets néfastes du jeune, tant les éducateurs que les autres usagers, une décision est en générale tranchée afin de préserver ces derniers. « La priorité c’est le bien-être de l’équipe et des autres jeunes qui vivent là. On ne peut pas accepter qu’un seul jeune fasse souffrir tous les autres, c’est aussi de la maltraitance. ». Dans ces circonstances, je remarque qu’une des particularités d’un bon nombre d’éducateurs consiste à avoir du mal à « lâcher prise » sur la situation du pensionnaire, de se dire « j’ai fait tout mon possible ». Ainsi, beaucoup de questionnements émergent :

« Qu’est-ce qu’on met dans la balance ? Jusqu’où on va ? Qu’est-ce qu’on peut encore faire ? On essaie toujours de se dire mais est-ce qu’il y aurait peut-être une dernière piste ? Mais à un moment donné, on ne peut pas mettre en péril l’équipe, sa santé, il en ressort de la maison finalement. Il y a toujours une pesée d’intérêts qui n’est pas simple dans ces situations-là, et puis on doit aussi mettre la priorité sur l’institution par moment. ».

e. Le manque de soutien de services psychiatriques dépassés

Enfin, un chef de structure fait part d’un dernier point qui accentue et précipite l’atteinte des limites en termes de ressources. Il s’agit des services médicaux de son canton, notamment les structures et les hôpitaux psychiatriques prenant en charge les adolescents, qui s’avèrent très souvent complets, débordés. Par conséquent, quand les éducateurs hospitalisent un jeune qui a fait une énorme crise et qui a perdu tout contrôle et demandent une observation, il arrive parfois, que faute de place, l’adolescent, une fois calmé, soit renvoyé dans son foyer. Dans ce cas, les ressources extérieures sur qui les centres éducatifs peuvent de temps en temps s’appuyer, se restreignent et font défaut, renforçant le caractère problématique de la situation. Il raconte : « Mais que la nuit-même il ne reste pas à l’hôpital, ça m’a complètement scié. On n’arrive plus, non seulement on n’arrive plus avec lui mais quand on demande du soutien à l’extérieur, ce soutien n’est pas là, on ne peut pas porter ça tout seul. ».

III. Conclusion

Ces affirmations confirment bien que les jeunes particulièrement difficiles touchent fréquemment les limites de l’institution. Toutefois, un des responsables précise que la situation dépend aussi des capacités de l’équipe éducative. Il argumente :

« L’équipe, selon son histoire, selon comment elle est formée, l’expérience qu’elle a, etc. peut avoir des limites plus ou moins grandes au-delà des limites institutionnelles. Ce que je veux dire clairement par-là, c’est qu’il y a des équipes qui peuvent se sentir très rapidement dépassées et d’autres qui ont peut-être une marge de tolérance plus grande. ».

4.6. Ressentis de l’équipe éducative

4.6.1. Ressentis de l’équipe éducative par rapport à la problématique

Les chapitres précédents montrent bien l’ampleur des problématiques qui découlent d’une situation particulièrement difficile. Ces circonstances m’ont amenée à m’intéresser aux ressentis que pouvaient éprouver les éducateurs dans ces cas-là. Je précise que lorsque j’ai abordé ce sujet avec les différents interrogés, j’ai eu l’impression pour quelques-uns, qu’il n’était pas évident de parler d’émotions et de sentiments en rapport avec ces situations. J’ai senti parfois une certaine retenue. Cependant, trois éprouvés se retrouvent dans plusieurs entretiens.