Chapitre II Le renforcement des exigences d’information face aux déficiences du
2) les limites du rôle des actionnaires dans le contrôle de l’information
Le pouvoir des actionnaires connaît cependant des limites. En premier lieu, l’actionnaire peut manquer d’information au sujet de la compétence d’un administrateur. Dans ce cas la recherche d’informations sur ce dernier représente un coût pour l’actionnaire, qu’il n’est pas toujours prêt à assumer.
En deuxième lieu, en cas de manquement au respect des règles du gouvernement d’entreprise, l’actionnaire peut se trouver dans l’impossibilité d’agir en justice. En effet, en matière de responsabilité civile, il devra démontrer l’existence d’un préjudice, d’autant plus difficile à démontrer que le non respect des règles de gouvernance n’est pas considéré comme un préjudice en tant que tel. Ainsi, une rémunération trop élevée des dirigeants n’est pas constitutive d’un préjudice pour les actionnaires. En outre, la diffusion d’une information erronée entraîne une baisse de la valeur du titre45. L’actionnaire subit alors une perte.
43 Avon letter.
44 Les mésaventures du modèle de la valeur actionnariale : montée en puissance dans la propriété des entreprises
et échec de la gouvernance. Michel Aglietta, Université Paris Ouest, CEP II et Groupama-AM. Intervention au 5ème Forum annuel de la recherche en gouvernance de l’IFA sur le thème : « Crise : les actionnaires sont-ils
victimes ou coupables ? » 5 mai 2010.
45 « si l’information est faussement pessimiste, le prix du titre baisse alors qu’il aurait dû monter et il remontera
en principe lorsque l’information juste aura été rétablie. Si l’information est faussement optimiste, le prix du titre monte alors qu’il aurait dû baisser et il baissera en principe lorsque l’information juste aura été rétablie ». l’indemnisation du préjudice de l’actionnaire en cas de diffusion d’une information erronée. Sophie Schiller. 2001-2010 Dix ans de transparence en droit des sociétés sous la direction de Edith Blary-Clément et Jean Christophe Duhamel.
Cependant, aux fins d’être indemnisé il doit établir le caractère personnel46 du préjudice et déterminer l’étendue de ce dernier. L’actionnaire doit apporter la preuve d’un préjudice personnel et spécial, distinct du préjudice subi par la société elle-même. La dépréciation de la valeur d’un titre n’est pas indemnisable s’il n’est pas distinct du préjudice social. Il s’agit d’une jurisprudence constante, à la fois pour la chambre commerciale de la Cour de cassation 47 et pour la chambre criminelle qui a jugé que la dépréciation des titres sociaux dû à des délits (à titre d’exemple : abus de biens sociaux) commis par des dirigeants constitue un préjudice subi par la société et non un dommage personnel de l’associé.48 Cependant il n’en est pas de même en ce qui concerne le manquement à une obligation d’information financière et comptable. En effet, la diffusion d’une information erronée n’appauvrit pas le patrimoine social, mais cause un préjudice personnel aux actionnaires trompés. Cette idée a été exprimée dans le rapport de la cour de cassation pour 2002 : l’information financière et comptable est une obligation de la société envers ses associés, une défaillance à une telle information causerait donc nécessairement un préjudice direct et personnel, et donc réparable. Cependant, le montant du préjudice subi doit être ensuite établi, ce qui n’est pas chose facile.
Le dernier recours est alors l’utilisation du droit de vote. Encore faut-il pour exercer ce droit que la question puisse être soumise au vote en assemblée. Or en France comme aux Etats Unis, la rémunération des dirigeants ne pouvait jusqu’à récemment (en 2010 pour les Etats Unis) faire l’objet d’une résolution en assemblée.
Il est cependant possible de révoquer un administrateur ou un dirigeant en faisant usage de son droit de vote. La situation de l’actionnaire aux Etats Unis est alors moins favorable que celle de l’actionnaire en France. En effet, aux Etats Unis, la révocation doit être inscrite à l’ordre du jour alors qu’en France la révocation est toujours possible même si elle ne figure pas à l’ordre du jour. Il s’agit d’une révocation ad nutum.
Cependant, on observe une certaine convergence entre les Etats Unis et la France dans le renforcement des droits des actionnaires. Ainsi, comme cela est déjà interdit en droit français
46 Cass com. 28 juin 2005, Petites Affiches 11 oct 2005, n°202, note J.F Barbièri
47 Dans une espèce où la ruine de la société avait été causée par la faute volontaire de gestion d’un dirigeant, la
chambre commerciale a refusé de qualifier le dommage de « préjudice personnel distinct du préjudice social » Cass com, 19 avr. 2005
Dans une autre espèce où de fausses facturations avaient entraîné des pertes comptables, la chambre commerciale a refusé de qualifier le préjudice de personnel car la perte de valeur n’était que « le corollaire de celui causé à la société ».
et en droit communautaire par la directive 2007/36 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires des sociétés cotées, la NYSE a élaboré une nouvelle règle, sous la pression de la SEC, afin d’interdire aux banques intermédiaires de voter à la place des actionnaires et sans qu’ils aient donné d’indication de vote, pour l’élection des directeurs.
Ainsi, la réponse aux crises des années 2000 a été de renforcer les obligations d’information des actionnaires pour tendre vers une transparence pure et parfaite.
III La recherche de la transparence
La recherche de la transparence passe par l’exigence d’une information financière périodique, permanente, exhaustive et fiable, par l’intégration des enjeux environnementaux dans le champ de l’information et enfin par un renforcement des obligations d’information en matière de rémunération des dirigeants.