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Les limites institutionnelles et organisationnelles des formes hiérarchiques pour répondre à l’objectif de « non perte nette »

Les mesures compensatoires écologiques au cas par cas : un système défaillant pour répondre à

2.3 Les limites institutionnelles et organisationnelles des formes hiérarchiques pour répondre à l’objectif de « non perte nette »

Dans nos deux cas d’étude, la séquence ERC n’a donc pas été correctement mise en œuvre puisqu’il y a des pertes résiduelles non compensées. Dans le cas de l’éolien en mer en Europe, l’étape de compensation devrait être requise mais ne l’est pas. Aucune mesure de compensation écologique n’est proposée par les développeurs. Dans le cas floridien, la compensation est requise mais elle est mal ou non mise en œuvre via le PRM.

Nous allons maintenant présenter les points communs à nos deux cas d’étude pour revenir sur les éléments qui peuvent expliquer l’inefficacité de l’approche par la forme hiérarchique pour la mise en œuvre de la compensation écologique et pour l’atteinte de l’objectif de « non perte nette » de biodiversité pour les écosystèmes aquatiques marins et continentaux au regard de la théorie néo-institutionnelle.

2.3.1 Caractéristiques des transactions

Nous allons décrire les caractéristiques des transactions participant à la mise en œuvre de la compensation écologique pour comprendre en quoi la forme hiérarchique peut être considérée comme inadaptée aux transactions à réaliser.

Si le nombre de projets de compensation est élevé, la fréquence des relations entre les régulateurs et les développeurs est faible76 puisque pour chaque impact le développeur doit se mettre en relation avec les régulateurs pour la mise en place d’une solution de compensation. En ce qui concerne le cas de l’éolien, elle est même proche de zéro car aucune mesure de compensation n’est proposée dans les études d’impacts, y compris dans les études d’impacts les plus récentes, ce qui laisse penser que les régulateurs n’ont pas particulièrement fait de demande complémentaires concernant l’existence d’impact résiduels négatifs significatifs. La spécificité physique requise par la forme hiérarchique est forte puisque le dimensionnement de la compensation se fait en fonction écologique ou en surface à partir des caractéristiques du milieu impacté. Seulement, le manque de méthode standardisée et de capacité de contrôle et de suivi ne permet pas de garantir une spécificité physique forte.

76 Les régulateurs ont un grand nombre de dossiers à traiter avec des personnes différentes à chaque fois pour chaque impact. Ils n’ont donc pas de relations fréquentes, c’est-à-dire répétées sur le long terme, avec les mêmes personnes.

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La spécificité de site requise est forte puisque la mesure compensatoire écologique doit être réalisée sur place ou à proximité directe du site impacté. Cependant, en l’absence d’un cadre réglementaire clair, les distances entre impacts et mesures compensatoires écologiques ne reposent que sur l’avis des régulateurs en charge de la demande de permis d’impacter. Cela ne permet pas d’assurer une spécificité de site forte.

Théoriquement, les spécificités physique et de site requises sont fortes. Cependant, le réel fonctionnement du système de compensation au cas par cas ne permet pas d’atteindre une forte spécificité puisque les mesures compensatoires sont peu, voire pas du tout, mises en place sur le long terme.

La spécificité humaine demeure faible puisque ce sont des bureaux d’études généralistes en environnement, responsables par ailleurs de la réalisation des études d’impacts, qui proposent les mesures compensatoires écologiques ainsi que les mesures d’évitement et de réduction. Le développement de nouvelles connaissances en écologie de la restauration (Clewell et Aronson 2010), avec notamment l’existence d’une société internationale pour la restauration écologique, augmente cependant peu à peu la spécificité humaine, lorsque cette source d’information est véritablement mobilisée dans les projets.

L’incertitude externe environnementale est forte et repose sur deux éléments.

Le premier n’est pas spécifique à la forme organisationnelle choisie. Il s’agit des limites actuelles de nos connaissances du fonctionnement des écosystèmes et de nos capacités à les restaurer que ce soit de manière générale (Pullin et Knight 2009, Suding 2011) ou spécifiquement concernant les écosystèmes aquatiques marins (EEA 2009, Gill et al. 2005, Köller et al. 2006) et continentaux (Brooks et al. 2005, Moreno-mateos et al. 2012). Dans le cas des études d’impacts pour l’éolien en mer, les développeurs avouent que des impacts sont encore non identifiés par manque de connaissance ou de moyen pour les mesurer (Böehlert et Gill 2010, Burkhard et al. 2011). Le plus souvent la mesure proposée est un simple suivi. Le deuxième est un ensemble d’éléments qui sont liés à la forme organisationnelle choisie. Avec les formes hiérarchiques, ou compensation au cas par cas, les mesures compensatoires écologiques semblent peu efficaces puisqu’elles se font la plupart du temps sur des petites parcelles, sans recherche de cohérence écologique à des échelles plus larges. Structurellement, ce type d’organisation génère par ailleurs des pertes écologiques temporaires puisque les mesures compensatoires sont mises en œuvre en même temps que les impacts et ne procurent donc la totalité de leurs effets écologiques qu’après un temps de récupération nécessairement long (e.g. Bull et al. 2013, Morris et al. 2006, Vaissière et al. 2013, Vesk et al. 2008).

L’incertitude externe institutionnelle est forte et dépend de nombreux facteurs. Dans le cadre de l’éolien, le cadre juridique est peu détaillé et les Etats membres ont une grande marge

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d’interprétation pour sa transposition dans le droit national. Par exemple, dans la section 2.1 de ce chapitre, nous avons évoqué le cas de l’Allemagne qui a décidé de simplifier la procédure de mise en place des projets d’énergies marines renouvelables au risque que les impacts environnementaux ne soient pas correctement identifiés et gérés (Vaissière et al. 2014). Dans le contexte américain, le cadre juridique pour la mise en œuvre des PRM est resté flou au moins jusqu’en 2008 et les rapports du GAO et de la NRC ont souligné les nombreuses conséquences dont le manque de moyens légaux pour mettre en application les politiques de compensation écologique. A titre d’exemple, avant 2008, les permis n’étaient pas assez précis et complets pour être opposables devant une cours de justice ce qui conduisait les régulateurs à avoir un comportement laxiste avec les développeurs devant mettre en œuvre un PRM. Pour nos deux cas d’étude, il n’existe pas d’outil partagé ou de méthode de référence pour la proposition de mesures compensatoires écologiques. Cela ralentit considérablement le processus d’instruction des dossiers de permis, que ce soit pour l’acquisition de données, l’invention de nouveaux outils d’équivalence par les développeurs, ou la compréhension, la vérification et la validation des mesures proposées par les services instructeurs. L’imprécision dans le contrôle et le suivi, qui provient d’une incapacité des régulateurs à traiter un grand nombre de cas de compensation individuels, ne participe pas à la clarification de l’ensemble du processus.

Comme l’incertitude institutionnelle reste élevée et la fréquence des relations entre les développeurs et les régulateurs est faible, des comportements opportunistes sont possibles, ce qui favorise une incertitude interne élevée. Il est possible de mentionner deux exemples qui illustrent les deux principaux cas de comportements opportunistes présentés dans la section D de l’introduction. Premièrement, les développeurs de parcs éoliens en mer peuvent proposer des mesures de suivi au titre de mesure compensatoire écologique en profitant du fait qu’il n’existe pas pour le moment de liste claire et exhaustive de mesures compensatoires écologiques pour les impacts sur le milieu marin (cas de sélection adverse). Deuxièmement, les développeurs américains peuvent profiter du fait qu’ils auront très peu d’occasions d’interagir avec les régulateurs pour ne pas respecter les objectifs de moyen pour lesquels ils se sont engagés dans le cadre de la réalisation d’un PRM (cas d’aléa moral). Dans les deux cas précédents, les acteurs profitent de « zones d’incomplétude contractuelle » (Crozier et Friedberg 1977), on parle de contrats incomplets qui le seront d’autant plus que l’environnement est incertain.

Finalement, les formes hiérarchiques ne permettent pas d’atteindre un degré de spécificité physique et de site suffisant, même si théoriquement elles le devraient, car elles génèrent une très forte incertitude externe et interne et n’autorisent qu’une faible fréquence des transactions entre les acteurs. Une telle organisation n’est donc pas efficace écologiquement.

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2.3.2 Les coûts de transaction liés aux PRM

D’après la fonction reliant les caractéristiques de la transaction et les coûts de transaction présentée dans la section D de l’introduction, il semble que les coûts de transaction auxquels doivent faire face les acteurs dans le cadre de la forme organisationnelle hiérarchique sont élevés. La fréquence des transactions est faible, les spécificités physique et de site sont importantes et l’incertitude demeure élevée. Seule la spécificité humaine est faible. Une telle organisation n’est donc pas efficiente économiquement. La faible et mauvaise mise en œuvre de la compensation écologique via cette forme organisationnelle pourrait donc aussi s’expliquer par l’existence de coûts de transaction élevés qui rendent la mise en œuvre de la politique environnementale de compensation écologique extrêmement laborieuse pour les régulateurs. Des comportements opportunistes de la part des développeurs sont dès lors possibles à cause du manque de moyens légaux et humains auxquels doivent faire face les régulateurs.

La section 5.1 du Chapitre 5 apporte davantage d’éléments sur une analyse comptable des coûts de transaction liés au PRM dans l’optique de comparer leur évolution avec l’arrivée du système des banques de compensation. Nous n’avons pas réalisé d’analyse comptable pour le cas de l’éolien en mer.

Pour conclure, ces formes hiérarchiques ne sont pas adaptées à la mise en œuvre de la compensation écologique qui plus est dans un contexte de forte contrainte budgétaire.

Chapitre 3

Les instruments basés sur le marché sont-ils une