La datation des structures de référence : enjeux, méthodes et limites
4. Limites du calage chronologique
4. Limites du calage chronologique
L’analyse détaillée du contexte archéologique et chronologique selon les principes développés en section 2 est nécessaire pour assurer le meilleur calage chronologique possible. Le cas idéal (Figure 2.6) est une datation directe de la fin du fonctionnement du four ou du foyer, par la thermoluminescence ou par le radiocarbone (sur plusieurs charbons de petit bois provenant du niveau de cendres associé à la dernière utilisation du four). Cette datation directe peut être confortée par la datation chrono-‐typologique des unités stratigraphiques antérieures et postérieures à cette dernière utilisation.
Alors que les résultats chronométriques « absolus » donnent en général des résultats pérennes (Evin, 2008 pour le radiocarbone), la datation par le mobilier est plus susceptible d’évoluer du fait des améliorations des chrono-‐typologies. Comme l’illustrent les exemples précédents, il est aussi plus difficile de s’assurer de la fiabilité d’une datation chrono-‐typologique, car elle dépend de nombreux facteurs : l’interprétation correcte du contexte stratigraphique, le nombre de tessons datants, l’homogénéité de l’ensemble, l’état de la chrono-‐typologie régionale, mais également l’expérience du céramologue (Rivet, 2007). Au cours de notre étude, plusieurs
problèmes se sont posés pour les structures dont la dernière chauffe est calée chronologiquement par le mobilier :
Problème 1 : la datation par les importations méditerranéennes
Comme le montrent les exemples précédents du Mont-‐Beuvray et de Lattes, la datation par la chrono-‐typologie des céramiques repose essentiellement sur les céramiques fines d’importation méditerranéenne (céramiques étrusques, marseillaises, grecques ou italiques). Ces catégories sont peu fréquentes sur les sites archéologiques et il apparaît nécessaire d’avoir un nombre de tessons datants important pour avoir un calage chronologique fiable. Par exemple, le four 5106 de Perpignan-‐Ruscino est daté par les archéologues du dernier quart du VIIème siècle av. J.-‐C. grâce à un tesson de bucchero nero (céramique fine étrusque) et huit tessons d’amphores étrusques (Marichal et Rébé, 2003). Sans remettre en cause la date centrale de cet intervalle, nous en avons doublé la largeur, [-‐640 ;-‐585].
De plus, les céramiques d’importation sont plus susceptibles d’avoir une longue durée d’utilisation (Morel, 1990). Le risque d’un décalage significatif entre la date de production et la date d’arrivée sur le site n’est donc pas nul. Cependant, comme les sites de production sont le plus souvent mal localisés ou inconnus, les intervalles de date donnés par ces céramiques sont généralement définis sur les sites d’utilisation et correspondent à la date de circulation de ces céramiques.
Problème 2 : le passage de la chronologie relative à la chronologie absolue
Une autre difficulté du calage chronologique par le mobilier est le passage de la chronologie relative à l’échelle calendaire. Si dans le Midi les archéologues travaillent en date calendaire, les datations dans l’aire non-‐méditerranéenne sont généralement abordées selon la chronologie hallstattienne et laténienne (Figure 1.15). Cette chronologie reste particulièrement « flottante » et susceptible d’être modifiée, à l’exception peut-‐être de la fin du premier millénaire av. J.-‐C. (Cf. Chapitre 2, page 62) et des régions riches en palafittes comme le Jura (Cf. Chapitre 2, page 63). Par exemple, le fonctionnement du foyer 63 du 4-‐6 rue-‐du-‐Mont-‐d’Or à Lyon-‐Vaise est daté de la transition entre le Hallstatt D3 et la Tène A1, dont le calage sur l’échelle calendaire est
très discuté même s’il est placé vers -‐450/-‐440 par la majorité des chercheurs (Cf. Chapitre 2, page 64). Toujours par précaution, nous avons décidé de dater le moment d’acquisition de l’aimantation dans un intervalle plus large [-‐500 ;-‐400]. Ces intervalles plus larges peuvent être ultérieurement réduits en fonction des nouvelles données archéologiques, comme le montre l’étude archéomagnétique du site d’Albinia (Hill et al., 2007, Cf. chapitre 8, Appendix B).
Problème 3 : la datation par le mobilier du comblement du four
Parfois, un four peut être isolé comme sur les sites de Béziers ZAC-‐de-‐la-‐ Domitienne (34032A) et Lunel Mas-‐de-‐Fourques (34145A). La datation chrono-‐ typologique repose uniquement sur le comblement du four et de sa fosse d’accès. à Lunel, les 696 tessons (NMI=140) retrouvés dans le comblement du four constituent un ensemble céramique homogène, dont la datation est placée dans le dernier quart du IIIème siècle av. J.-‐C. par la céramique campanienne A (16 tessons pour un NMI de 7 individus). Mais la dernière utilisation d’un four peut précéder de plusieurs années son comblement et donc la datation chrono-‐typologique (Bellanger et Husi, 2011). La datation du comblement d’un four isolé ne peut être conforté par les autres unités stratigraphiques du site, contrairement aux sites d’habitat comme Lattes Saint-‐Sauveur. Dans ce cas, il semble préférable d’assurer (si c’est possible) le calage chronologique par une datation radiocarbone, même si l’intervalle de date est plus large. A Lunel Mas-‐de-‐ Fourques, l’analyse radiocarbone d’un charbon de bois retrouvé à la base du comblement de l’alandier donne un intervalle de date à 95% de confiance entre 386 et 201 av. J.-‐C., cohérent avec la datation chrono-‐typologique.
4.3 Comment traiter les erreurs systématiques ?
A cause de ces différents problèmes, les datations par le mobilier sont susceptibles d’être entachées d’une erreur systématique (c’est-‐à-‐dire d’une erreur extrinsèque). L’effet vieux bois des datations radiocarbone, même s’il semble minimisé pour le premier millénaire av. J.-‐C. en raison des effets de plateau sur les courbes de
calibration dendrochronologique, constitue aussi une erreur systématique. Plusieurs solutions peuvent être proposées pour tenir compte des erreurs systématiques.
Solution 1 : Multiplication des structures de référence, des aires géographiques et des méthodes de datation
La confrontation des résultats archéomagnétiques obtenus sur des structures datées par des méthodes variées permet de vérifier la cohérence et la fiabilité du corpus de référence (Cf. Chapitre 8, Figure 12). Pour la même raison, il paraît judicieux d’analyser pour chaque période (pour chaque siècle par exemple) des sites de plusieurs régions. Les chrono-‐typologies varient en effet régionalement et la dispersion géographique des sites de référence limite le risque d’une erreur systématique due à une mauvaise attribution sur l’échelle calendaire d’une seule chrono-‐typologie flottante régionale. Ce principe est globalement respecté dans le cas de notre corpus. On peut également remarquer que la chronométrie est utilisée préférentiellement pour l’aire non-‐méditerranéenne, le premier âge du Fer et le début du second âge du Fer, qui sont les régions et les périodes pour lesquelles les chronotypologies établies restent incertaines. Le risque d’erreurs systématiques paraît alors considérablement diminué.
Solution 2 : Prise en compte de la possibilité d’une erreur systématique lors de la construction de la courbe de référence
Le logiciel Rencurve de construction des courbes de référence par la statistique bayésienne, développé à Rennes par Philippe Lanos (Lanos, 2004) prend en compte la possibilité d’une erreur systématique en incluant chaque datation a priori d’une structure de référence dans un « Fait » (Lanos et Dufresne, 2012). Cette notion de « Fait » ajoute un degré de liberté sur la datation (Cassen et al., 2009). Autrement dit, les bornes des intervalles de date a priori ne sont plus limitatives. A la différence d’une courbe construite par moyenne mobile, cette approche statistique bayésienne permet ainsi d’obtenir des courbes de référence beaucoup moins sensibles aux erreurs systématiques.
De plus, cette approche statistique permet de tenir compte de la stratigraphie des structures. Cette information supplémentaire, qui réduit le nombre de degrés de liberté
des datations a priori, permet de construire des courbes de référence plus précises et plus fiables. L’exemple le plus éloquent est la courbe de Lübeck établie à partir de 25 fours de boulanger superposés (Schnepp et al., 2009). Malheureusement, de tels contextes archéologiques sont rares et pour notre corpus, les relations stratigraphiques n’ont pu être prises en compte que pour les cinq fourneaux à sel de Gouy-‐Saint-‐André (62382A-‐B-‐C-‐D-‐E), pour les deux états du fourneau 2 de Sorrus-‐la-‐Bruyère (62799B1-‐ B2) et pour les deux foyers superposés de la Côme-‐Chaudron au Mont-‐Beuvray (58128E-‐F).
Conclusion
La résolution et la fiabilité des courbes de référence dépendent essentiellement du calage chronologique des structures de référence. Toute l’information chronologique associée à la construction, à l’utilisation et à l’abandon du four ou du foyer doit être utilisée pour chercher à mieux contraindre le moment d’acquisition de l’aimantation, comme l’illustre l’exemple du foyer 9534 de la Pâture-‐du-‐Couvent au Mont-‐Beuvray. Le problème des possibles erreurs systématiques sur le calage chronologique des structures de référence et donc sur la courbe de référence, est évité en :
-‐ multipliant, sur une aire géographique large, le nombre de points datés par différentes méthodes.
-‐ utilisant des outils statistiques bayésiens, qui prennent en compte l’ensemble de l’information archéologique comme la stratigraphie. La possibilité d’erreurs systématiques est résolue par la notion de « Fait ».
Ces principes ont été appliqués à notre corpus de sites de référence autant que le rendaient possible la documentation archéologique et les limites des méthodes de datation. En ce qui concerne les données archéomagnétiques précédemment acquises (Thellier, 1981 ; Bucur, 1994 ; Gallet et al., 2002), leur calage chronologique est susceptible d’avoir évolué en fonction des progrès des méthodes de datation. Même si la notion de « Fait » permet de tenir compte des éventuels décalages des datations, il serait utile de vérifier le contexte stratigraphique de ces structures pour mieux s’assurer de la fiabilité de ces anciennes données.