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Limitations à l’exploitation des gisements

Nous l’avons vu, le gisement potentiel de matière organique pouvant être mobilisé pour la production de méthane est important : il pourrait représenter près de 10% de la consommation énergétique Française, sans compter l’immense réservoir représenté par les déchets issus de l’agriculture. Mais la question n’est pas de fabriquer du biogaz partout et à tout prix. Il s’agit plutôt que la filière puisse trouver sa place et son équilibre dans le bouquet énergétique renouvelable de demain. Les limitations à l’exploitation de ce gisement sont nombreuses, aussi ne mentionnerons-nous pas dans le présent rapport celles dont l’origine est d’ordre réglementaire ou politique. Nous nous intéresserons plutôt à expliquer quelles sont les limites techniques à l’exploitation de ce gisement :

Les limitations liées à la production de méthane et au pouvoir méthanogène ;

Les limitations liées à des produits à fort pouvoir méthanogène, mais posant problème lors de la mise en œuvre pratique.

Les limitations liées à la mobilisation du gisement. 1.3.3.1 Une limitation intrinsèque : le potentiel méthanogène

1.3.3.1.1 Mesure du potentiel méthanogène

Le potentiel méthanogène est une propriété intrinsèque de la matière organique. Il est le témoin en quelque sorte de l’aptitude d’un déchet à générer du méthane. La mesure du potentiel méthanogène d’un produit donné est un problème non encore résolu, en ce sens qu’il n’existe pas de protocole standardisé universellement utilisé. Nous trouvons cependant un certain nombre de normes pour ce test (en France, norme ISO 11734 pour l’estimation de la biodégradabilité ultime par mesurage de biogaz), mais il faut admettre que très peu d’équipes l’utilisent.

Les équipes de recherche à l’échelle mondiale ont pendant longtemps utilisé des protocoles de mesure tout à fait adaptés, quoique différents. Le principe global de la mesure est le même :

- Placer une quantité connue de produit à tester dans un milieu spécifique ;

- Ajouter un inoculum constitué de bactéries actives capables de faire du méthane ; - Mesurer la production de biogaz (et de méthane) au cours du temps.

Certaines différences apparaissent lorsque nous étudions de manière plus détaillée les protocoles, en particulier au niveau de la préparation et de la composition du milieu, de la durée des essais, ou de la méthode de mesure du biogaz et (surtout) du méthane produit. En particulier, certains auteurs n’utilisent qu’un bilan carbone car le test ne sert qu’à déterminer la biodégradabilité : il s’agit donc de connaître la quantité de carbone introduite, et de mesurer la quantité de biogaz produite (CH4

et CO2 n’ayant chacun qu’un atome de carbone) pour avoir une estimation de la biodégradabilité mais pas du pouvoir méthanogène (Shelton et Tiedje, 1984). Owen et coll. (1979) ont, les premiers, proposé une technique de mesure complète pour l’estimation du pouvoir méthanogène. C’est dans l’esprit de cette technique que d’autres auteurs ont perfectionné la méthode (Chynoweth et coll, 1993). Les grandes lignes associées à la détermination du potentiel méthanogène ont été mises à plat à l’occasion d’un groupe de travail Européen sur l’harmonisation des tests de méthanisation en 2002. Bien que ce travail n’ait pas pu être mené complètement à terme, une publication en reprend les principaux éléments (Angelidaki et Sanders, 2004), et des tentatives pour fixer les derniers détails et proposer une méthodologie commune à l’ensemble de la communauté scientifique est en cours (travaux en marge du dernier congrès sur la digestion des déchets solides, Mai 2008).

Conditions générales pour la mesure de potentiels méthanogènes

Inoculum : utiliser des boues anaérobies acclimatées ou provenant d’un digesteur de boues urbaines ;

La concentration en inoculum se situe entre 3 et 5 grammes par litre en matières volatiles.

Température : la température n’affecte pas le pouvoir méthanogène, elle joue simplement sur la

vitesse de production de méthane. L’inoculum utilisé doit être préalablement adapté à la température de travail.

Milieu : le milieu de culture doit comporter des éléments nutritifs nécessaires au développement de la

biomasse méthanogène (azote, phosphore, certaine métaux comme le fer, le cuivre ou le nickel). Un milieu type est proposé dans Angelidaki et Sanders, 2004.

Produit à tester : la quantité à ajouter correspond à la moitié (en matière volatile) de la quantité

d’inoculum ; une quantité inférieure peut être nécessaire lorsque le produit testé est suspecté d’être difficile à dégrader, toxique ou inhibiteur.

Anaérobiose : elle est assurée par le bullage initial du milieu d’un mélange N2 / CO2 (80-20 ou 70-30).

Mesure du biogaz : il en existe de toute sorte, par déplacement d’eau ou par différence de pression. Mesure du méthane : la teneur en méthane peut être dosée par chromatographie en phase gazeuse.

Combinée à la mesure du volume de biogaz produit, la mesure de la teneur en méthane permet de calculer le méthane total produit lors de la dégradation.

Réacteurs témoins : un réacteur témoin contenant le milieu et l’inoculum seul est obligatoire ; il permet

de mesurer la production de méthane résiduelle de l’inoculum (respiration endogène). D’autres réacteurs témoin, contenant des produits connus ou standard, peuvent également être utilisés pour confirmer la validité des mesures.

Durée de l’essai : l’essai doit durer tant que du méthane est produit par la dégradation du produit

considéré ; il est possible de considérer que l’essai est terminé dès lors que le réacteur produit à nouveau la même quantité de méthane que le témoin. Selon la température et les produits considérés, un test de potentiel méthanogène dure de 20 à 50 jours.

Calcul du potentiel méthanogène : le calcul du potentiel méthanogène se déduit de la quantité de

méthane produite dans le réacteur minorée de la quantité produite par l’inoculum dans le réacteur témoin ; le tout est divisé par l’unité caractéristique du produit (quantité de DCO ou de matière volatile).

Réplicats : il est conseillé de réaliser les essais en triple, c’est-à-dire dans 3 réacteurs en parallèle

dans les mêmes conditions. Pour notre part, nous préconisons de réaliser des essais successifs dans le même réacteur : nous avons en effet remarqué que la première mise en contact de produit avec un inoculum non adapté pouvait donner une valeur plus faible du pouvoir méthanogène.

1.3.3.1.2 Les produits à faible potentiel méthanogène

Rappelons le, tous les produits organiques ne donnent pas la même quantité de méthane lors de leur dégradation : ainsi, les graisses, sont beaucoup plus énergétiques que les sucres ou les protéines. Cette composition biochimique établit une première hiérarchie entre les produits susceptibles d’avoir un pouvoir méthanogène plus ou moins élevé (cf. Tableau 2 page 17).

La seconde hiérarchie concerne la biodégradabilité anaérobie des produits, c’est-à-dire leur aptitude à être dégradé en méthane. Nous avons vu qu’un certain nombre de composés organiques ne se prêtent que difficilement à la dégradation. Pour les déchets, c’est en particulier le cas des plastiques ou des déchets ligneux.

La teneur en fibres, et en particulier en lignine, a parfois été évoquée comme un bon indicateur de biodégradabilité et du pouvoir méthanogène. Suite aux travaux de Chandler et coll. (1980), qui ont les premiers établi une relation entre la teneur en lignine et la biodégradabilité, d’autres auteurs ont utilisé les mesures de fibres (Tong et coll., 1990 ; Eleazer et coll., 1997 ; Gunaseelan, 2007). Nous avons regroupé certaines données pour produire une relation entre la teneur en lignocellulose et la biodégradabilité (Figure 4) : il semble qu’une corrélation intéressante puisse être établie, bien que la dispersion des points soit encore importante.

Il faut souligner néanmoins deux points importants qui rendent difficile l’interprétation directe de ces résultats :

- La teneur en lignine et cellulose n’est pas, en toute logique, un critère satisfaisant : en effet, la cellulose est à grande majorité biodégradable.

- Il ne faut pas oublier que chaque produit organique se compose d’une fraction soluble et d’une fraction non soluble : la partie non biodégradable de la fraction non soluble peut être approchée à partir de la teneur en fibres et en matières plastiques, mais la partie non biodégradable de la fraction soluble est beaucoup plus complexe à appréhender.

Nous retrouvons donc ici, en grande partie, une problématique commune avec tout ce qui concerne la valorisation de la biomasse par voie biologique ou chimique, à savoir que la partie difficile à dégrader de la paroi des végétaux demeure un obstacle à la valorisation.

Nous aborderons dans la suite les solutions envisagées pour améliorer la biodégradabilité d’un composé, en particulier les pré-traitements et co-traitements possibles.

Figure 4 : Influence de la composition en lignine et cellulose sur la biodégradabilité de différents déchets solides (Buffière et coll. , 2008).

1.3.3.2 Produits présentant des difficultés en méthanisation

D’autres composés, généralement disponibles et facilement mobilisables, présentent une aptitude certaine en méthanisation, mais ne peuvent pas être valorisés en l’état pour des raisons associées au fonctionnement du procédé ou de la chaîne trophique de la méthanisation :

- Soit qu’ils présentent une déficience d’un ou plusieurs éléments nutritifs essentiels à la digestion anaérobie (azote, phosphore, autre,….) : c’est en particulier le cas de nombreux rejets industriels, notamment de la chimie, qui ne contiennent parfois que du carbone : il faut alors prévoir des compléments minéraux à ajouter.

- Soit qu’ils contiennent des substances toxiques ou inhibitrices, auquel cas seule une dilution peut permettre de les rendre dégradables dans une logique industrielle ;

- Soit qu’ils entraînent des problèmes opérationnels au niveau du procédé (moussage, …). Le cas « emblématique » de ces produits est celui des graisses, qui présentent les trois caractéristiques citées plus haut. Les graisses possèdent, nous l’avons vu, un excellent pouvoir méthanogène, et représentent une source d’énergie très intéressante en méthanisation.

Cependant, leur digestion « directe » en réacteur industriel est rarement fructueuse : - Les graisses présentent un fort excès en carbone ;

- Les intermédiaires réactionnels qui interviennent dans la digestion des graisses (acides gras à longue chaîne) présentent parfois un caractère inhibiteur ;

- Les graisses ont tendance, lorsqu’elles sont en excès, à former des agglomérats en raison de leur faible solubilité dans l’eau, ce qui entraîne de nombreux problèmes d’accès à la nourriture pour les bactéries, mais aussi en termes de gestion du procédé.

Dans bien des cas, la co-digestion de matières « à problème » avec d’autres produits peut permettre d’atteindre une solution acceptable.

1.3.3.3 La mobilisation du gisement

Il peut se présenter des cas où le gisement existe, mais n’est pas forcément mobilisable pour la valorisation sous forme de méthane :

- il est diffus ou peu accessible, comme par exemple les déchets forestiers ou les déchets des récoltes laissés sur place : la collecte et la centralisation de la valorisation en méthanisation peut alors présenter un surcoût considérable.

- Le gisement ne peut pas être utilisé dans les conditions techniques et/ou économiques du moment : nous pensons en particulier au cas des eaux résiduaires urbaines en zones tempérées ou froides.

D’autres facteurs, bien sur, contribuent à limiter l’exploitation des gisements, mais cette fois davantage en termes de performance de valorisation au niveau des installations. Nous aborderons, en particulier, les problèmes liés à la récupération et à la valorisation énergétique des biogaz (partie 1.4, L’utilisation du biogaz : les filières de valorisation), qui peuvent représenter une limitation importante à l’exploitation du potentiel énergétique. Nous mentionnerons également les limitations associées aux procédés en tant que tels, en insistant en particulier sur la notion de performance des installations (partie 1.4, les procédés).

1.3.4 Les perspectives en recherche et développement associées