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Chapitre II : La forêt

A. Lieu sauvage et frontalier

Lors de sa venue dans l’Autre Monde, la dessinatrice pénètre dans une « forêt plantée d’arbres immenses » (LQE, DMAL, p. 12), cet espace est donc de première importance puisque l’aventure y débute. Comme le remarque Francis Dubost, en littérature médiévale « le romanesque ne commence souvent vraiment qu’avec l’entrée dans la forêt115 ». Tel est aussi le cas de La Quête

d’Ewilan, où l’intrigue s’initie par l’arrivée de l’héroïne dans ce lieu sylvestre et dans ce nouveau

monde. La forêt n’est pas seulement le premier décor de Gwendalavir, elle est aussi un élément itéra- tif dans l’œuvre. Les protagonistes, presque toujours en mouvement, la parcourent, la contournent, l’aperçoivent. Ils sont en relation quasi permanente avec elle. Toujours selon F. Dubost : « l’imaginaire de l’île était dominé par la clôture et l’isolement, celui de la forêt par l’expansion et l’opacité116 ». Cet espace est immense et il est difficile de s’y repérer sans un guide. Alors que cette nature semblait de prime abord salvatrice – Ewilan évite un accident de la route grâce à son dépla- cement instantané dans la forêt – , elle se révèle par la suite tout à fait inquiétante. L’opacité notée par le critique participe à la dangerosité du lieu, qui est aussi le royaume de la sauvagerie, espace sanglant où se déroulent des combats contre des créatures féroces : les Ts’liches. La forêt est un lieu hostile dans la trilogie, des « bête[s] sauvage[s] » (LQE, DMAL, p. 58) s’y trouvent et l’aspect même de la forêt est oppressant puisqu’il est dit que « les arbres les écrasaient » (LQE, DMAL, p. 58). Dans le dernier tome du Pacte des Marchombres, aboutissement du cycle de Gwendalavir, la guerre finale opposant les partisans du Chaos à ceux de l’Harmonie se déroulera précisément dans une forêt, cet espace servant de refuge aux ennemis de l’Empire. Nous pouvons remarquer qu’en littérature médié- vale, la forêt est également l’espace sauvage par excellence. Cette sauvagerie est par exemple per- ceptible dans Le Chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, lorsqu’Yvain vit dans les bois et y mange de la viande crue, comme un animal, en véritable homme sauvage, le cuit étant le propre de l’homme civilisé. La forêt est bien un « lieu d’épreuves et de danger117 » dans la littérature médiévale et dans la trilogie, espace où Yvain affronte le serpent et où Ewilan est attaquée par des créatures malfai- santes. Francis Dubost remarque que « les personnages le plus souvent exposés aux périls naturels et surnaturels de la forêt sont les enfants et les femmes118 ». Tel est le cas, dans les romans de Pierre Bottero, de l’héroïne, à peine sortie de l’enfance et de sexe féminin, ce qui correspond bien au phé-

115 Ibid., p. 314. 116 Idem. 117 Idem. 118 Ibid., p. 324.

48 nomène noté par le critique. D’une part, se rendre dans la forêt, dans la littérature du Moyen Âge, c’est franchir une frontière, pénétrer dans le monde sauvage « où tout devient possible119 ». Dans La

Quête, ce lieu est bien celui des possibles, où la dessinatrice peut rencontrer des créatures imagi-

naires, où la magie est présente et où des chevaliers combattent. Le fait que cet espace soit riche en potentialités semble être un motif récurrent en littérature. Le poète René Ménard perçoit ainsi l’espace sylvestre : « Dans la forêt, je suis en mon entier. Tout est possible dans mon cœur comme dans les caches de ravines. Une distance touffue me sépare des morales et des villes120 ». L’auteur souligne les possibilités illimitées offertes par ce lieu et note son opposition à la ville, à l’univers policé et civilisé construit par l’homme. D’autre part, la forêt est aussi l’espace de l’entre-deux, elle symbolise le passage entre les deux univers, entre le premier monde quitté par Ewilan et Gwenda- lavir. Les frontières se trouvent donc entre un monde premier et un monde second, mais aussi entre un lieu sauvage et un lieu civilisé, représenté par la ville. Ces limites sont éminemment perceptibles. La forêt où se matérialise Ewilan dans le premier tome est décrite comme telle : « La forêt était bien là derrière eux. Elle s’arrêtait brusquement, comme si les arbres avaient respecté une limite invisible et infranchissable, tracée à la règle » (LQE, DMAL, p. 81). La frontière est donc tout à fait sensible. En outre, nous pouvons noter que, dans la littérature médiévale, les chevaliers sont souvent entraînés dans la forêt, lorsqu’ils chassent par exemple, juste avant d’être confrontés au merveilleux. Dans notre œuvre, lorsqu’Ewilan arrive dans ce lieu frontalier, elle rencontre effectivement des chevaliers : Bjorn, puis Edwin. Nous pouvons alors remarquer une inversion du motif puisque, dans la littérature du Moyen Âge, le chevalier rencontre communément la fée dans la forêt et nous avons le point de vue de ce dernier. Or, Pierre Bottero choisit de faire entrer la fée, Ewilan, dans ce monde merveilleux alors que le chevalier s’y trouve et de décrire son impression à elle, ce qui est tout à fait original. L’auteur réutilise également un motif médiéval lorsque les jeunes gens aperçoivent un « cerf de trois mètres de haut » (LQE, DMAL, p. 59) lors de leur arrivée dans les bois. Cet animal est fréquemment un guide vers le merveilleux dans la littérature de cette époque. Nous remarquons que l’animal n’est pas blanc, cette couleur étant signe de féerie, mais il est excessivement grand et « parfois l’animal surnaturel se distingue seulement par sa taille121 ». Si la forêt est un « décor à peu près inévitable dans la littérature du Moyen Âge122 », nous pouvons par exemple penser à la forêt de Brocéliande, utilisée de nombreuses fois en littérature, ce lieu paraît également « à peu près inévitable » dans notre œuvre, lieu d’arrivée d’Ewilan, lieu d’importance, et il présente de nombreuses caractéristiques des forêts de la littérature médiévale. En effet, ce décor est un espace sauvage, dangereux et frontalier.

119 Ibid., p. 313.

120 René MÉNARD, Le livre des arbres, Paris, éd. Arts et Métiers graphiques, 1956, p. 6-7. 121 Francis DUBOST, op. cit., p. 337.

49 Par ailleurs, La Quête entretient des liens avec la littérature de jeunesse et avec le conte. Nous pou- vons alors nous intéresser à ce lieu dans cette littérature en en relevant les caractéristiques et en les appliquant à l’œuvre de Pierre Bottero.