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2.1 Le lien entre la vulnérabilité et la mobilité des travailleurs

Comme nous venons de le mentionner, la majorité des études traitant de la vulnérabilité économique considère les travailleurs comme ayant une localisation géographique fixe dans l’espace. Nous avons également vu que la mobilité quotidienne des individus a certaines limites et que nous devrions considérer les individus comme étant mobiles dans l’espace. Il serait donc intéressant de regarder quels sont les comportements des individus lorsque leur situation d'emploi nécessite des changements dans leur localisation. Nous pourrions donc nous demander si les individus réagissent aux changements qui surviennent dans leur situation d'emploi en se relocalisant. Certaines études démontrent effectivement que les individus sont mobiles à la suite de chocs économiques. Par exemple, Reisinger (2003) analyse les réponses des travailleurs de 13 secteurs industriels aux différents changements économiques survenus entre 1985 et 1990. Les réponses sont mesurées par le biais de la mobilité géographique des travailleurs, puisque la mobilité est considérée comme étant un mécanisme d’ajustement aux chocs. Les résultats montrent que les travailleurs ayant des emplois requérant un haut niveau de compétences ou de scolarité sont les plus enclins à déménager lorsque les conditions relatives sont meilleures ailleurs. En effet, bien qu’une population hautement scolarisée soit synonyme d’emplois à plus grande valeur ajoutée, cela est également synonyme d’une population très mobile : « […] it seems likely that during a negative shock to a labor market, highly educated and skilled workers will be the first to leave a declining area. » (p.391). Conserver cette main-d’œuvre passe donc par l’offre de meilleures conditions de travail relatives. De cette affirmation, deux éléments sont à retenir. Tout d’abord, on constate qu’une mobilité géographique massive de travailleurs serait un bon indicateur d’un éventuel choc économique négatif dans une collectivité. Deuxièmement, sans qu’il y ait eu de chocs économiques, il est fort possible que des travailleurs très mobiles décident de quitter leur ville s’ils constatent qu’ils pourraient avoir des meilleures conditions d’emploi ou de vie ailleurs. Ainsi, une collectivité pourrait se retrouver dans une situation problématique uniquement parce que sa population était à la base très mobile. Ce dernier point est très important. Il nous indique en effet qu’une collectivité peut non seulement être vulnérable face à des chocs économiques négatifs qui pourraient l’affecter, mais également l’être face à des chocs positifs qui affecteraient des communautés l’entourant. Par exemple, le boom pétrolier canadien, qui a bénéficié principalement à l’Alberta, a provoqué un exode de travailleurs vers cette région. Certaines communautés pourraient ainsi avoir vu des travailleurs compétents quitter, ce qui pourrait avoir eu des répercutions négatives sur leur économie. La mobilité des travailleurs nous renseignerait donc sur tous les spectres de la vulnérabilité. Ces deux éléments seront utilisés pour la suite de cette étude.

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Weller (2009) confronte la théorie économique néo-classique au sujet des ajustements régionaux au niveau de l'emploi. Selon la théorie néo-classique, une économie optimale serait une économie où les travailleurs sont très mobiles et où les économies se spécialisent. Les ajustements au niveau de l'emploi entre les différentes régions se feraient donc par le biais des salaires. Si une région offre de meilleurs salaires, les travailleurs seront incités à aller vers cette région pour améliorer leurs conditions de travail. Cependant, cette théorie ne tient pas compte complètement des barrières sociales, culturelles, politiques et géographiques qui limitent les déplacements, même lorsque les conditions économiques sont favorables. Afin d'identifier les motifs qui sous-tendent les mouvements géographiques des travailleurs, elle analyse l'évolution de la situation des anciens travailleurs de la compagnie aérienne Ansett Airlines. Cette compagnie, qui a dû fermer ses portes en 2001, était l'un des employeurs les plus importants dans le domaine des services aériens en Australie. C'est suite à cette fermeture que ces individus ont dû modifier leur situation d'emploi. À l'aide de données d'enquête qui relatent les déplacements des individus et leurs causes entre 2001 et 2006, l'auteure remarque que les jeunes et les hommes sont plus mobiles que les autres. Le type d'emploi qu'occupe la personne a également un impact car il conditionne le nombre d'opportunités ailleurs. L'auteure remarque également, à l'aide d'informations données par les individus sur les raisons de leur déménagement, que des déplacements dans des régions éloignées ou outremer étaient presque toujours motivés par l'obtention d'un nouvel emploi à cette destination. Ceci démontre, selon l'auteure, que, malgré le fait que les caractéristiques des individus ont un impact certain, ceux-ci vont avoir plus tendance à déménager s'ils ont une offre d'emploi ferme. Les déménagements réalisés avant même d'avoir pu trouver un nouvel emploi au lieu de destination (migrations spéculatives) seraient donc beaucoup plus rares. Ainsi, les différentiels de salaire et du coût des maisons (gain de la mobilité et coût de la mobilité) seraient des facteurs facilitant la mobilité, mais pas des incitatifs primaires. Plus les emplois potentiels seront difficiles à trouver, plus le risque de se relocaliser sera élevé et plus le gain devra être important pour que la personne accepte de déménager. Les ajustements spatiaux du marché du travail sont donc limités par diverses caractéristiques individuelles et géographiques et sont conditionnés par les conditions des marchés eux-même.

Fahr et Sunde (2006) viennent corroborer ces résultats. Ces auteurs s'intéressent en effet à l'impact des conditions du marché local sur la mobilité régionale. Ils tentent de voir s'il existe un lien entre ces deux variables pour l'Allemagne de l'Ouest. Leur questionnement vient du fait que la littérature mentionne que cet impact existe au États-Unis, mais qu’il est plus incertain selon les études qui se penchent sur le cas de l'Europe. Leurs résultats démontrent que ce phénomène existe bel et bien. En plus d’être influencée par les conditions sur le marché du travail, la mobilité est fortement affectée par la compétition qui peut exister entre les individus en emploi et ceux au chômage. Lorsque ces derniers font de la recherche d’emploi dans leur région de résidence, ils font face à une forte concurrence de la part des individus en emploi qui eux bougent d’emploi en emploi. On pourrait lier les

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résultats de ces auteurs au fait que les individus les plus compétents sont les plus mobiles. En effet, les individus en emploi seraient, en moyenne, plus compétents que ceux au chômage de façon prolongée. Ainsi, ils auraient priorité sur le choix des emplois, ce qui leur confèrerait une plus grande mobilité.

Ensuite, Dohmen (2005) développe un modèle théorique expliquant le lien entre le fait d'être propriétaire ou locataire de son logement, le chômage et la mobilité régionale. Ce modèle décrit le comportement des individus en fonction de leurs caractéristiques individuelles et de la situation du marché du travail. Il démontre entre autre que les individus hautement scolarisés sont plus mobiles, puisque leur potentiel de gain à déménager est plus élevé, et que le fait d'être propriétaire d'une maison tend à faire diminuer la mobilité puisque le coût à déménager devient plus élevé que pour une personne locataire. Combinant ces deux éléments, il démontre que plus le coût de déplacement est élevé et que la mobilité des individus est faible, plus le chômage relatif d'une région tend à rester élevé. Concernant l'impact des chocs économiques, son modèle montre qu'une croissance généralisée augmente la mobilité générale de la population, principalement chez les hauts salariés. Ces résultats sont en lien avec les observations de Polèse et Shearmur (2002) qui montrent que plus le taux de chômage canadien diminue et que le taux relatif des régions périphériques augmente, plus l'émigration des régions périphériques augmente. De ce fait, les chocs localisés accroissent la mobilité des régions en déclin relatifs vers les régions en croissance relative. Les hauts salariés sont dans ce cas les premiers à partir.

2.2- La mobilité géographique et l’évolution de la situation de la population