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Les libertés publiques et les droits de l’homme sont des concepts assez proches pour que leur assimilation dans la démarche normative sénégalaise ne soit pas rejetée. On pourrait même y

voir un avantage simplificateur dans un débat terminologique et conceptuel qui fait encore

                                                                                                               

474 Pour une étude sur la justiciabilité des droits sociaux en Afrique du Sud, cf. Robitaille (D), « La justiciabilité des droits sociaux en Inde et en Afrique du Sud, Séparation des pouvoirs, manque de ressources et pauvreté massive comme moyen d’interprétation des droits sociaux » in, Roman (D), (Dir.), Droit des pauvres, pauvres droits ? : Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux, Paris, Mission de recherche Droit et Justice, Nanterre, 2010, pp. 158-175.

475 La valeur symbolique des droits de l’homme auSénégal se retrouve dans le préambule de la Constitution qui affirme le « respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen comme base de la société sénégalaise ».

couler beaucoup d’encre

476

. Cependant, la réalité conceptuelle et juridique des deux notions

présente des différences si fondamentales qu’on ne peut se livrer à une telle fusion sans

aucune précaution. Tout d’abord, il faut savoir que dans la doctrine juridique, les droits de

l’homme et les libertés publiques ont des fondements différents sur plusieurs points. Les

libertés publiques s’inscrivent indéniablement dans une dynamique de droit interne, alors que

les droits de l’homme sont plus de l’ordre de la sphère internationale d’où leur prétention à

l’universalité.

Ensuite, les libertés publiques sont définitivement positives, c’est-à-dire que leur justiciabilité

n’est pas en question dans les systèmes juridiques qui les ont consacrées. La raison est toute

simple, les libertés publiques sont des garanties législatives

477

, leur existence est certes

consacrée par la Constitution, mais leur mise en œuvre est le fait du législateur qui vote des

lois pour en déterminer le cadre d’exécution. De ce fait, leur opposabilité est une condition

essentielle et déterminante de leur existence normative. Par exemple, au Sénégal, toutes les

catégories de libertés publiques sont prises en charge par la loi. C’est le cas pour n’en citer

que quelques-uns de la liberté d’expression avec les organes de presse

478

, de la liberté

syndicale, ou du droit de propriété

479

. Certes, la notion de liberté publique semble être en

perte de vitesse, en raison d’une concurrence sémantique et matérielle par la notion de droits

et libertés fondamentales. Cette dernière présente des proximités certaines avec le concept de

droits de l’homme par ses origines internationales, d’où une certaine assimilation. À l’inverse

tel n’est pas le cas entre la notion de liberté publique et celle de droit ou liberté fondamentale.

Pour le professeur Henry Oberdorff, « la distinction entre libertés fondamentales et libertés

publiques peut se faire sous un angle simplement formel, car les premières découlent d’une

norme supérieure comme la constitution ou des dispositions internationales. Ce rattachement

à une norme de degré supérieur explique que ces droits bénéficient d’une protection très

complète, non-seulement à l’égard des autorités de l’exécutif, mais aussi du législatif et du

                                                                                                               

476 Pour la restitution des enjeux de ce débat sémantique. cf. Champeil-Desplats (V), « Des libertés Publiques aux « Droits Fondamentaux » : Enjeux d’un changement de dénomination », Jus Politicum, no 5, 2010, op.cit., p. 1-16.

477 Le Sénégal consacre le régime législatif des libertés publiques dans l’article 8 de la constitution sous la forme d’un catalogue de droits et libertés dont le régime de mise en œuvre est confié au législateur.

478 L’article 11 de la Constitution dispose « La création d'un organe de presse pour l'information politique, économique, culturelle, sportive, sociale, récréative ou scientifique est libre et n'est soumise à aucune autorisation préalable. Le régime de la presse est fixé par la loi ».

479 CC.sn., 3 juin 1996, Exception d’inconstitutionnalité de la loi du 2 juillet 1976 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique, Fall (I-M), (Dir.), Les décisions et avis du Conseil constitutionnel du Sénégal, Dakar, C.R.E.D.I.L.A., 2007, p. 145.

judiciaire »

480

. Ces distinctions rendent superflue et surtout décalée l’assimilation qui est faite

dans la Constitution sénégalaise entre droits de l’homme et libertés publiques

481

. C’est dans

ce sens que le formalisme sénégalais soulève des interrogations qu’il ne serait pas sérieux

d’écarter. Le principal est relatif à l’assimilation de certains droits de l’homme aux libertés

publiques dans l’encadrement normatif sénégalais.

En effet, ce ne sont pas tous les droits de l’homme qui bénéficient de cette consécration dans

le droit interne. Le législateur s’est limité aux droits dits de première génération, c’est-à-dire

ceux portant sur les droits civils et politiques à l’exclusion d’autres droits de l’homme

d’importance égale

482

. La différenciation ainsi opérée est difficilement défendable au regard

de la théorie des droits de l’homme, mais aussi sur la base de l’esprit même de la Constitution

sénégalaise

483

. De ce fait, elle est porteuse d’une forme d’arbitraire qui obscurcit le régime

juridique des droits de l’homme au Sénégal. De surcroît, sur le terrain de la réception du droit

international des droits de l’homme, cette idée doit être rejetée. La procédure de réception est

une conséquence de l’engagement international du Sénégal aux différents instruments

internationaux constitutifs du droit international des droits de l’homme. Par voie de

conséquence, ces instruments doivent tous être répercutés dans le droit national sans

distinction de fait ou de droit.

La signification de cette double consécration des droits de l’homme est assez énigmatique

pour susciter des réserves. Peut-on déduire de cette pratique que, les autorités sénégalaises ont

voulu marquer une différence d’importance entre les instruments internationaux relatifs aux

droits de l’homme dans le droit interne ? Une réponse positive est avancée par une partie de la

doctrine sénégalaise

484

. Pour notre part, nous nous contenterons d’observer que si tel est le

cas, il est consacré une rupture dans l’unicité du droit international des droits de l’homme

incompatible avec sa dynamique de réception et de concrétisation.

                                                                                                               

480 Oberdorff (H), Droits de l’homme et Libertés Fondamentales, 3e éd., Paris, L.G.D.J., 2011, p. 48.

481 Le préambule et son titre II relatif aux libertés publiques et de la personne humaine, des droits économiques et sociaux et des droits collectifs.

482 Titre II de la Constitution du 22 janvier 2001, op.cit.

483 La distinction ainsi opérée mérite d’être relativisée car l’évolution constitutionnelle sénégalaise montre que les droits de l’homme occupent une place importante dans la construction politique sénégalaise. De plus, cette distinction semble remise en cause par la doctrine africaniste en matière de droits de l’homme. cf. Gherari (H), « La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (bilan d’une jurisprudence) », in, Tavernier (P), (Dir.), Regards sur les droits de l’homme en Afrique, Paris,l’Harmattan, 2008, op.cit., p. 154.

484 cf. N’gaide (M), « Le Conseil d’État sénégalais et le principe de l’égal accès des citoyens à un emploi public : à propos de l’arrêt du 29 juin 2000, Association nationale des handicapés moteurs du Sénégal contre État du Sénégal », Afrilex, no 3, 2003, op.cit., pp. 193-222.

Au fond, le problème de l’encadrement hiérarchique du droit international des droits de