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Ces courants qui sont d’une certaine manière les fruits de déterminismes sociaux et culturels, influencent grandement la réception de ce droit par les États selon qu’ils se réclament de l’un

Cité par Kéba Mbaye, Raymond Verdier affirmait l’existence d’une différence de perception

des droits de l’homme entre l’Afrique et l’Occident

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. De nos jours cette idée garde toute sa

pertinence à travers l’interrogation d’Etienne Leroy, se demandant « pourquoi les africains

n’adhèrent pas « spontanément » aux droits de l’homme ? »

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. Ces interrogations et

affirmations montrent bien que malgré leur prétention à l’universalité, les droits de l’homme

de l’homme présentent une forme de contingence liée à la configuration sociale et culturelle

des pays. Cette contingence est d’ailleurs inhérente à la notion, compte tenu des courants

idéologiques qui ont marqué sa formulation.

Kéba Mbaye la met en exergue en affirmant que, « la conception des droits de l’homme à

travers l’histoire s’est modelée dans des canaux préétablis que l’on peut regrouper sous quatre

courants : le courant individualiste, le courant socialiste, le courant communautaire et le

courant internationaliste »

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. Si les pays d’Afrique comme le Sénégal relèvent du courant

communautaire en tant que pays en développement, le droit international des droits de

l’homme repose pour sa part sur le mélange d’une logique individualiste et libérale que la

doctrine socialiste a su infléchir avec la proclamation des droits sociaux

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.

Ces courants qui sont d’une certaine manière les fruits de déterminismes sociaux et culturels,

influencent grandement la réception de ce droit par les États selon qu’ils se réclament de l’un

ou l’autre de ces courants. Ainsi donc, il existerait à côté de la réception juridique des droits

de l’homme au plan normatif, une réception sociale qui viserait à donner une certaine assise

sociologique à ces normes dans un espace social et politique déterminé. L’idée de réception

sociale des droits de l’homme traduit cette nécessité que, l’effectivité de ces normes dans le

droit interne des États passe par une acculturation visant à les intégrer dans les mœurs et les

codes de conduites locales. D’ailleurs cette orientation de l’application des droits de l’homme

                                                                                                               

92 « Si nous pouvons utiliser le concept {dit-il}, c’est parce que et seulement dans la mesure où il est susceptible de plusieurs interprétations et que dans d’autres cultures il reçoit d’autres significations. Le recours au concept général est alors justifié par le fait qu’il y a une conception africaine des droits de l’homme qui diffère précisément de la nôtre », in, Verdier (R), « Problématique des droits de l’homme dans les droits traditionnels d’Afrique noire », Revue droit et culture, p. 98. Cité par Mbaye (K), les droits de l’homme en Afrique, 2e éd., Paris, Pedone, 2002, op.cit., p. 69

93 Leroy (E), « Pourquoi les Africains n’adhèrent pas « spontanément », aux droits de l’homme », in, Tavernier (P), (Dir.), Regards sur les droits de l’homme en Afrique, Paris, l’Harmattan, 2008, pp. 66-79.

94 Mbaye (K), les droits de l’homme en Afrique, 2e éd., Paris, Pedone, 2002, op.cit.,p. 54.

95 Bedjaoui (M), « La difficile avancée des droits de l’homme vers l’universalité », in,Universalité des Droits de l’homme dans un monde pluraliste, Actes du colloque du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 17-19 avril 1989, N.P. Engels, 1990, p. 37.

est loin d’être une hérésie et semble de plus en plus s’imposer dans la doctrine onusienne

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.

Sous cet angle, la réception du droit international des droits de l’homme au Sénégal interroge

d’abord sur les politiques et initiatives nationales mises en place dans le but de favoriser le

respect social de ce droit par la population.

Le point central de cette démarche étant l’articulation entre la logique de « spécificité

africaine » et la logique d’universalité des droits de l’homme. Ce débat qui est tout autant

sociologique que juridique s’appréhende dans un cadre strict qui est celui de leur

harmonisation. S’il est aujourd’hui clair que l’universalité des droits de l’homme ne signifie

pas une uniformité

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, il semble tout autant juste de soutenir que sa portée mérite d’être

précisée tant au plan conceptuel qu’opérationnel. La nécessité d’une définition réaliste de

l’universalité des droits de l’homme est d’autant plus nécessaire que dans le contexte africain,

l’application des droits de l’homme doit se faire en référence aux « traditions africaines

positives »

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.

De ce fait, notre sujet s’inscrit dans un débat devenu actuel malgré sa relative ancienneté entre

particularisme et universalité dans la théorie des droits de l’homme. Le caractère actuel de ce

débat est le fruit de l’orientation identitaire des systèmes régionaux de protection des droits de

l’homme revendiquée par certains auteurs

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et qui, à vrai dire, ne peut être balayée d’un revers

de main sur le fondement de l’universalité des droits de l’homme. Si l’idée n’est pas de prôner

une remise en cause de l’universalité des droits de l’homme, il est aussi juste de dire que pour

que les droits de l’homme ou le droit en général soient efficients en Afrique, ils doivent être

en adéquation avec les déterminismes propres aux pays africains. La démarche contraire serait

une erreur par ailleurs déjà constatée sur le terrain du droit général en Afrique

100

, et en ce qui

                                                                                                               

96 Observation générale no 13 sur le droit à l’éducation du Comité sur les droits économique sociaux et culturels,

in,HRI/GEN/1/Rev.9 (vol. 1), p. 86-87. 97

Cohen-Jonathan (G), « Les droits de l’homme, une valeur internationalisée », Droits fondamentaux, no 1, juillet-décembre 2001,pp. 157-164.

98 Le préambule de la Charte a fait preuve d’une clarté sans équivoque sur ce point en disposant que la mise en œuvre de la Charte tient compte « … des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l’homme et des peuples ». Pour une présentation de la spécificité de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples cf. Fall (A B), « La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme »,

Pouvoirs, no 129, pp. 77-100.

99Olinga (A-D), « Les emprunts normatifs de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples aux systèmes européen et américain de garantie des droits de l’homme », R.T.D.H., no 62, 2005,pp. 499-537.

100 Darbon (D), « Un royaume divisé contre lui-même ». La régulation défaillante de la production du droit dans les États d’Afrique noire », in, Darbon (D), Du Bois de Gaudusson (J), (Dir.), La création du droit en Afrique, Paris, Karthala, 1997, pp. 100-129.

concerne les droits de l’homme, une « fausse bonne idée ». Si la théorie des droits de

l’homme postule l’idée d’un « Homme universel » titulaire de droits intrinsèques, la réalité

montre que cet « Homme universel » enlevé des oripeaux de la société est une vue de

l’esprit

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. Il y a forcément une logique culturelle qui doit être prise en compte dans

l’application du droit international des droits de l’homme au Sénégal. La question est donc de

savoir si cette dimension culturelle est réellement prise en compte par les autorités

sénégalaises dans leur entreprise de réception du droit international des droits de l’homme.

Cette interrogation revêt d’ailleurs une importance capitale au Sénégal dont la diversité des

pratiques coutumières est une réalité tangible. Il s’agit ici d’un pluralisme coutumier et

confessionnel qui doit être pris en compte dans l’application des normes relatives aux droits

de l’homme

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. Contrairement à une certaine idée, la coutume n’est pas monolithique

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et

dans le cas du Sénégal, cela est d’autant plus vrai qu’il existe à côté des pratiques coutumières

païennes des pratiques issues de l’islamisation de la société. Ces pratiques, qu’elles relèvent

de l’islam ou de la cosmogonie ancestrale, constituent dans certains cas, des obstacles à

l’effectivité des droits de l’homme dans le pays

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. L’incompatibilité de certaines de ces

pratiques avec la conception moderne de l’homme promue par la philosophie des droits de

l’homme, constitue aussi un enjeu soulevé par l’étude de la réception des droits de l’homme

au Sénégal. Cet enjeu appelle donc les autorités étatiques nationales à faire preuve

d’originalité dans la réception des droits de l’homme. Or, cette dimension ne semble pas être

réellement prise en compte dans le pays. De ce fait, il subsiste un vide conceptuel dans

l’application interne des droits de l’homme qui ne manque pas d’avoir des conséquences sur

son niveau de respect par la population. Cette situation présente par ailleurs une forme

d’ambivalence, car la réception des droits de l’homme a des incidences institutionnelles qui

permettraient de répondre à ce défi.

                                                                                                               

101 Koudé (R-K), « Les droits de l’homme : De l’intuition universaliste à l’universalité récusée », R.T.D.H., no

68, 2006, pp. 909-938.

102 cf. Hesseling (G), Histoire politique du Sénégal. Institutions, droit et société, Paris, Karthala, 1985, p.75-82.

103 Bayart (J-F), « La démocratie à l’épreuve de la tradition en Afrique subsaharienne », Pouvoirs no 129, pp. 27-44.

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Badji (M), Sidibé (A), (Dir.), Genres, inégalités, et religion, Actes du premier colloque inter-réseau du programme thématique « Aspects de l’État de droit et démocratie », Dakar, 25-27 août 2006, Paris, E.A.C., 2007, 456 p.