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J. Introduction

II. La vidéosurveiUance dissuasive par les particuliers des propriétés priyées

2. Les libertés en cause

On peut relever plusieurs libertés potentiellement mises en cause par la vi-déosurveillance: le droit au respect de la sphère privée (art. 13 al. 1" Cst., art. 8 CEDH, art. 19 Pacte II4'), la liberté personnelle, et plus particulière-ment la triple garantie de l'intégrité physique et psychique et de la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cs!.), le droit d'être protégé contre l'emploi abusif des dooo6es personnelles (art. 13 al. 2 Cs!.; Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère

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Commission de Venise, Avi's sur la vidéosurveillance dans les lieux publics par les autorités publiques et la protection des droits de l'homme, Venise, l6. et 17 mars 2007 (CDL-AD[2007]014).

Commission de Venise (note 42), ch. 8, p. 4.

HOTTELIER MICHEL, La réglementation du domaine public à Genève, La Sema;ne judiciaire 2002 II, p. 123-126; MOOR PIERRE, Droit administratif, vol. III, Berne 1992, p. 253 ss., 321 ss.; GRISEL ANDRE, Traité de droit administratif, vol. II, Neuchâtel 1984, p. 525 ss.

Commission de Venise (note 42), ch. 9, p. 4.

AUERlMALlNVERNI BOTTELIER (note 16), p. 57 ss.; GRlSEL (note 16), p. 13 ss.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques (RS 0.103.2).

personnel") bu la liberté de réunion (art. 22 Cst.; art. 11 CEDH; art. 21 Pacte Il).

Le Tribunal fédéral a jugé que la vidéo surveillance dissuasive des lieux ac-cessibles au public par les autorités touchait les garanties des articles 13 al. 2 Cst. et 8 al. 1" CEDH. Il a laissé ouverte la question de savoir si l'article 10 al. 2 Cst. l'était également4'.

Le Département fédéral de justice et police rajoute à la liste la protection de la dignité humaine (art. 7 Cst.)'o

3.. L'existen'ce d'une atteinte

La vidéosurveillance ne pose problème que dans la mesure où elle porte une atteinte aux libertés précédentes.

Lorsqu'une personne se rend dans un lieu ouvert au public, elle sera poteniiellement vue, reconnue ou observée par des tiers, sans que l'on puisse nécessairement déceler une quelconque atteinte à ses.libertés. La question est en revanche· différente lorsqu'une machine se substitue à l'œil, La Commis,

'sion de Venise a bien mis en évidence ces dissemblances. Tout d'abord en

montrant l'impact des perfectionnements technologiques, dépassant les possibilités d'observation humaine:

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"La vidéosurveillance, à plusieurs égards, est bea.ucoup plus efficace que l'observation humaine. Tout d'abord, la technologie s'est con-. sidérablement améliorée et peut être extrêmement ingénieuse: ainsi, la vision de nuit est possible, les possibilités· de zoom et de pistage automatique. sont courantes, et certains faits, détails et traits précis qui· seraient invisibles ou non visibles à l'oeil nu peuvent être détectés. Un dispositif intelligent peut même détecter de fausses barbes ou de fausses moustaches et peut comporter un système de reconnaissance faciale ou vocale."Sl

RS 0.235.1.

ATF 136187, 112; 133177,80.

Département fédéral de justice et police, Vidéosurveillance exercée en vue d'assurer la sécurité dans les gares, les aéroports et les autres espaces publics, Rapport du 28 septembre 2007, p. 25..

Commission de Venise (note 42), ch. 17, p. 6.

1":nsuite en soulignant l'élargissement du champ même de la surveillance:

"la possibilité de reproduire la même image sur plusieurs moniteurs pouvant être ·visualisés par plusieurs observateurs améliore les· possibilités de contrôle de certains événements, faits ou comporte-ments qui, autrement, pourraient échapperI··a~ention d'un observa-teur sur le terrain." [ ... ) Il devient ainsi plus facile d'observer de manière envahissante et permanente les personnes et les "lieux; le champ de vision, par rapport à l'observation humaine, s'en trouve élargi."" . .

La caméra peut en outre facilement enregistrer et conserver les images, qui peuvent ensuite 'être traitées, utilisées abusivement ou diffusées sur Internet sans connaissances techniques particulières".

La Commission de Venise en, conclut dès lors que "si l'on compare la vidéosurveillance' à l'observation humaine en l'état achlel des choses, il devient évident que [celle-ci] offre bien .plus de possibilités et pourrait donc être bien plus attentatoire aux droits de l'homme que l'observation humaine,,,S5

La'Cour européenne des droits de l'homme a considéré, dans le même sens,

que la communication aux média de la vidéo d'une tentative de suicide enregistrée par des caméras surveillance était une ingérence grave dans la vie privée alors· même que la personne a tenté de mettre fm à ses jours dans un lieu public au moment des faits'6

La Cour distingue cependant selon la technique utilisée. Dans l'affaire Perry c. Royaume-Uni, elle a jugé que "la surveillance des faits et gestes d'une personne dans un lieu public aU moyen d'un dispositif photographique ne

'mémorisant pas les données visuelles ne constitue pas en elle-même .une

forme d'ingérence dans la vie privée"". Elle se référait à la décision de la Commission dans l'affaire Herbecq et autre c. Belgique dans laquelle

ceIle-"

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"

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Commission de Venise (note 42), ch. 17, p. 6.

Commission de Venise (note 42), ch. 18, p. 6.

Commission de Venise (note 42)', ch. 19 et 20, p. 6.

Commission de Venise (note 42), ch. 21, p. 6.

CourEDH, Peck c. Royaume-Uni, 28 janvier 2003, § 87.

CourEDH, Perry c. Royaume-Uni, 17 juillet 2003, § 38; repris dans CourEDH, 'Ca/manovici c. Roumanie, 1 er juillet 2008, § qO.

ci avait jugé que "les systèmes de prise de vueS dont se plaint le requérant sont susceptibles d'intervenir sur la voie publique ou dans des locaux · occupés régulièrement par les utilisateurs des dits systèmes, dans un but de surveillance des lieux pour en garantir .la sécurité. En l'absence de tout enregistrement, on voit mal comment les données visuelles recueillies pourraient être portées à la connaissance du public ou utilisées à ·d'autres fins que des fins de surveillance des lieux. La Commission relève encore que les données qui pourraient être recueillies par une personne se trouvant derrière des écrans de contrôle sont identiques à ce.lles qu'elle aurait pu obtenir par sa présence sur les lieux"s8. Dès lors, selon la Cour, "l'.utilisation ordinaire de . caméras de surveillance dans des rues et dans des édifices publics, tels que .des centres commerciaux ou des commissariats, où elles visent ·un but

légi-time et identifiable, ne soulève en elle-même aucune difficulté au regard de . l'article 8 § 1 de la Convention"" .

D.ans l'affaire PG el J.H. c. Royaume-Uni, la Cour avait déjà relevé cette distinction:

"Une personne marchant dans la rue sera forcément vue par, toute autre personne qui s'y trouve aussi. Le fait d'observer cette scène pu-blique par des moyens techniques (par exemple un agent de sécurité exerçant une surveillance au moye,TI d'un système de télévision en, cir-cuit fermé) revêt un caractère similaire. En reva,nche, la création d'un enregistrement systématique ou permauent de tels éléments apparte-nant au domaine public peul donner ljeu à des considérations liées' à la vie privée. ,,60 .

Dès lors selon la Cour "le fail de recueillir systématiquement de telles· données et de les mémoriser peut soulever des questions liées à la vie privée,,61 qui se fonde sur les arrêts Rolaru c.Roumanie62 et Amanri c. Suis-se63, où elle a jugé que la collecte de données par les services de sécurité

"

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CommEDH, Herbecq et Ligue 'des droits de l'homme c. Belgique, -14 janvier 1998,

§ 3.

CourEDH, Perly c. Royaume-Uni, 17 juillet 2003, § 40.

CourEDH, PG el J.H. c. Royol/me-Vni, 25 septembre 2001, § 57.

CourEDH, Peny c. Royoume-Uni, 17 juillet 20()3, § 38; repris dans CourEDH,

Calmanovici c. Roumanie, 1er juillet 2008, § 130. . CourEDH, ROIOru c. Roumanie, 4 ruai 2000, § 43-44.

CourEDH, Amonn c. Sl/isse; 16 février 2000, § 65-67.

relative à des personnes précises' constituait une ingérence dans la vie privée de ces dernières, bien que ces données aient é,té recueillies sans recourir à des techniques de surveillance secrète,

La vidéo surveillance utilisée à des fins de sécurité dans un lieu public ou , accessible au public ne porte ainsi pas atteinte à la sphère privée dès lors que les données obtenues ne sont pas enregistrées et pour autant qu'il s'agisse de l'utilisation "ordinaire"" de caméras de surveillance. On précisera que cette conclusion doit être comprise d'une part dans le contexte de l'affaire, c'est-à-dire dans l'exemple de lieux publics dans lesquels des personnes vont et viennent indistinctement et non si les caméras devaient être braquées conti-nuellement sur une personne détern1inée dans un bureau par exemple.

)J'autre part cette conclusion ne saurait valoir qu'en l'état de la technique au moment des faits. )Jès lors que la vidéosurveillance s'informatise, elle recèle un potentiel d'atteintes' à la sphère privée indépendamment de l'

enregistre-ment des données6s Tel sera le cas si des données ,visuelles sont portées en direct à la connaissance du public sans enregistrement. Cet exemple reste cependant théorique dans la mesure où les caméras numériques, aujourd'hui courantes, et la diffusion sur Internet permettent, voire impliquent, l'enregistrement, même provisoire, des données. On devrait dès lors d, ésor-mais ne trouver que peu d'exemples de situations exemptes d'atteinte: Tel pourrait encore être le cas des rétroviseurs électroniques que l'on peut trou-ver dans certains véhicules. Mais ce type d'instruments n'entre pas dans 'la catégorie de la, vidéosurveillance par les autorités publiques destinée à dis-suader les citoyens de commettre des infractions.

En matière de vidéosurveillance' invasive, le Tribunal fédéral semble égale-ment porter attention à l'existence ou non d'un enregistrement. Il a jugé, en 2005, que la vidéosurveillance par la police d'un garage souterrain, espace

"quasi' public" dans lequel la personne surveillée ne demeure qu'un temps limité, et dont le dispositif emice automatiquement les enregistrements après 24 heures, ne constituait pas une atteinte grave aux droits de la pèrsonnHlité du recourantM En revanche, la vidéosurveillance invasive effectuée par un

64 CourEDH,'Perry c. Royaume-Uni, 17 juillet 2003, §

40.

RUEGG/FLüCKlGERlNoVEMBERlKLAUSER (note 6), p. 54.

L'arrêt a ·été rendu dans le contexte de J'admissibilité de l'utilisation de preuves obtenues de manière illicite. l' Z/./ Recht ha! es envogen, die Tiefgarage sei ein

,qUQ-si-ofJentlicher' Roum, {n dem sich die Übenvachten in der Regel zeitlich eng be- '

détective privé et utilisée par l'autorité pour refuser des prestations d'assurance-accidents constitue une atteinte .au respect de la vie privée ga-ranti par [' article 13 CSt.67 Le Tribunal fédéral a depuis lors eu l'occasion de juger que la conservation durant cent jours des enregistrements résultant de la vidéo surveillance dissuasive constituait une atteinte non négligeable (" nicht unerheblich ,,)68 aux droits fondamentaux et qu'une disposition sur la vidéo surveillance rédigée de façon trop imprécise portait atteinte aux droits fondamentaux en ne satisfaisant pas aux conditions minimales en matière de densité nOlmative69.

Il en découle que la vidéosurveillance dissuasive des lieux publics restreint les droits fondamentaux et doit être fondée sur une base légale, être justifiée par un intérêt public et être proportionnée au but visé (art. 36 Cst.). On re-trouve ces conditions en droit conventionnel (art. 8 al. 2 CEDH) selon leqnel l'ingérence doit être prévue par la loi et constitner une ,mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté pu-blique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la pré-vention des infractions pénales, à la 'protection de la santé 01.\ de la morale, on à la protection des droits et libertés d'autrui.

Le noyan dur des libertés n'est dans tous les cas pas atteineo.

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grenzt aujha/ten. Zwarfand die Oberwachung nmd um die Uhr slalt, die Auf nah-men wurden aber automatisch aile 24 Stunden gel6scht. Unter diesen Umstiinden kann âne schwere Beeintriichtigung der PersonUchkeitsrechte des Beschwerdefüh-rers vernein! werden ", ATF 131 1 272, c. 6.2 [Co non publié auxATF].

ATF 129 V 323, 325; dans le cas d'espèce, l'atteinte était cependant couverte par l'art. 47 LAA, justifiée

par

un intérêt' public et propo'rtionnelle; voir aussi un arrêt . de la 2' Cour civile du TF du IS'décembre 1997, SJ 1998 301, confirmé par la Cour européenne des droits de l'homme JAAC 65 (2001) n0134, p. 1381, qui concernait une vidéosurveillance effectuée par une compagnie d'assurances, considérée en

l'espèce comme confonne à l'art. 28 CC (voir ci-dessus, note 18).

ATF 133 1 77, 87.

ATF 136187, 115.'

JOHRI'YvONNE, Handkommentar zum Datenschutzgesetz, Zurich 200S, Art. 17, N 45; DFJP (note 50), p. 28.

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