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LE LEXIQUE DE LA TRANSCENDANCE EN QUÊTE DE SOLENNITÉ

Dans le document Proust : entre transcendance et immanence (Page 102-180)

LE LEXIQUE DE LA TRANSCENDANCE

EN QUÊTE DE SOLENNITÉ

Au sein du texte proustien, le monde mythologique représente un des points de bascule privilégiés par lequel le romancier déploie des univers distincts au sein de son œuvre. Les 156 emprunts de Proust à la mythologie gréco-romaine n’ont donc pas nécessairement comme fonction de réactiver les figures convoquées, ni même d’insérer un jeu intertextuel1. Dans

l’univers complexe de la Recherche, les technologies émergentes au tournant du XXe siècle

côtoient de près l’architecture médiévale, comme les figures de proue du faubourg Saint- Germain s’assimilent bien souvent à une assemblée divine au sommet de l’Olympe. Proust semble prendre un malin plaisir à associer un avion aperçu Ŕ le premier que le héros contemple dans sa vie Ŕ dans les environs de la Raspelière, les épisodes de « téléphonage » tragi-comiques pour les lecteurs postérieurs à l’époque de Proust et les technologies de l’image Ŕ stroboscope, lanterne magique, cinéma, photographie Ŕ à un décor mythologique qui, paradoxalement, tend à disqualifier la notion d’époque au profit d’une temporalité suspendue. Décalage ironique ou enchevêtrement de deux réalités qui ont en commun d’être synonyme de surgissement et d’émerveillement dans l’univers de la Recherche? À cela s’ajoute l’ambition de dépeindre la naïveté et l’imagination fortement disposée à engendrer des visions fantastiques proprement infantiles.

Le lexique mythologique n’est pas l’apanage unique du narrateur, alors que certains personnages, particulièrement Bloch et son langage ampoulé et ostensiblement érudit, le prennent en charge à travers leurs discours. C’est l’occasion pour Proust de se moquer de ses personnages, mais également de faire preuve d’autodérision, de se pasticher lui-même, lui dont l’écriture n’échappe pas à l’attrait de l’érudition et à l’imaginaire qu’ont pu faire naître les traductions de plusieurs textes antiques menées par Leconte de Lisle2. On voit bien que le

1 Nous nous fions ici, quant au dénombrement des occurrences mythologiques, à l’ouvrage de Victor E. Graham, The imaginary of Proust, Oxford, Blackwell, (coll: Language and style series), no 2, 1966, p. 159.

2 Raymond Trousson a bien fait voir le tribut mêlé d’ironie que paie Proust au poète parnassien : « Il a donc dévoré les traductions, par Leconte, d’Homère, des tragiques grecs ou des hymnes orphiques, il en a savouré la phraséologie un peu barbare, séduit par une raideur parnassienne qui lui semblait synonyme d’authenticité. Proust exorcisa cette déplorable influence en inoculant sa propre manie au personnage de Bloch, dont le parler agaçant et pédant traduit le snobisme intellectuel. Bloch, à la suite de Leconte, jure “par le Kroniôn Zeusˮ, parle de “l’Ithakésien Odysseusˮ ou des “joies nectaréennes de l’Olymposˮ. »

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recours proustien aux mythes est complexe, les références étant parfois l’occasion de ponctuer le texte de traits humoristiques, parfois d’insérer de manière plus subtile des éléments de sens dans celui-ci3. Ce sera tout particulièrement le cas avec le mythe d’Orphée

qui, en filigrane, offre, à travers ses principaux épisodes, un équivalent réduit de la structure romanesque de la Recherche. Nous nous pencherons d’ailleurs sur l’emploi bien particulier que Proust fait de ce mythe dans notre dernier chapitre.

Selon nous, l’univers mythologique que Proust se plaît à convoquer s’insère à l’intérieur d’une stratégie discursive qui fait également appel à la mythologie chrétienne, au lexique mystique et religieux et à un espace romanesque souvent structuré par les monuments religieux. Analysant le langage religieux prisé par Proust, Stéphane Chaudier rend compte du fait que le romancier n’est pas dupe de la tendance esthétique propre à la fin 19e siècle, laquelle allie une tonalité solennelle avec une écriture empreinte d’une sensibilité

tourmentée et exacerbée4. En évitant de tomber dans les procédés littéraires stéréotypés,

Proust tente à son tour de déplacer le langage religieux et mythologique sur le registre de la création artistique. La métaphore de la foi créatrice poussera sur un terreau fertile en ironie, en irrévérence religieuse et même en profanation teintée de lubricité. La religion de l’art, guidée par la quête d’une vérité autant ontologique qu’éthique, et dont l’originalité est justement de déboucher sur l’esthétique, s’achemine malgré l’ironie acerbe et assidue de la plume proustienne, laquelle fait d’ailleurs naître une tentation vers le nihilisme5 que seule

peut détourner la voie de l’art.

Contrairement aux précédents chapitres où nous concentrions nos analyses sur un thème bien précis, nos efforts se déploieront ici dans plusieurs directions. Notre ambition n’est pas de renouveler les analyses qui portent sur la mythologie, le langage religieux, mystique et spirituel de Proust, car les ouvrages s’y consacrant sont, à notre avis, menés de main de

3 Voir Raymond Trousson, Proust et les « mythes », communication de la séance du 9 mars 1991, Bruxelles,

Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1991, p. 2. [En ligne] Site consulté le 2 janvier 201 www.arllfb.be/ebibliotheque/communications/trousson090391.pdf

4 Stéphane Chaudier, « Proust et les clichés religieux » dans Proust et le langage religieux, op. cit., p. 22-32.

5 « La tentation de Marcel Proust n’est autre que celle d’un acquiescement à la crise du sujet, ce fleuron du nihilisme moderne. […] Car la crise du sujet est le risque qui guette le rapport d’un homme à soi-même quand ont disparu garanties extérieures et raisons des valeurs et qu’il est réduit à son simple état, circonscrit dans son organisme. » Anne Henry, La tentation de Marcel Proust, op. cit. p. 1.

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maître6 . Plus modestement, nous voudrions faire voir que l’ambivalence rhétorique qui

caractérise l’emploi par Proust du lexique en question rejoint notre problématique centrale. Pour ce faire, nous comptons certes encore une fois être attentif aux croisements de sens privilégiés qu’entraîne l’usage d’expressions à connotation spirituelle, mais en portant cette fois une attention toute particulière aux contextes énonciatifs et au cotexte7. De cette

manière, nous croyons être en mesure de dégager une polysémie intrinsèquement liée aux passages marqués par un aspect ou un style renvoyant au religieux, du moins à la dimension spirituelle. Il s’agit de passages dans lesquels il se construit une liturgie aussi railleuse que solennelle. Notre hypothèse, partant du constat que Proust ne peut se résoudre à discréditer entièrement et à abandonner le style romantique qui puise dans le registre surnaturel, propose de réfléchir cet aspect de l’écriture proustienne comme d’une tentation à laquelle l’auteur n’aura su résister. Or, le crédo proustien étant de tendre vers l’originalité, adopter un style qui fait date ne va pas sans une grande dose d’adaptation. Pour qu’un discours authentique et assumé de la transcendance de l’art naisse, Proust doit en quelque sorte dépouiller de toute magie les diverses méprises sur le prestige de l’amour, de la noblesse et des voyages. En ce sens, la mythologie, le décor religieux et le mysticisme repérables au sein de la phrase proustienne se discréditent bien souvent, en tant qu’ils sont enchevêtrés à des illusions. Le langage spirituel est du coup et en quelque sorte purgé des associations puériles et du ton enfantin qui le caractérisait au début du roman. Il renaîtra purifié, aménageant un espace textuel propice à faire naître le sublime, l’épiphanie et la transcendance.

La modulation du sens que revêt la prose spiritualiste de Proust suit, à notre avis, les grandes étapes de la Recherche, laquelle est scandée par les différentes illusions à franchir et les grandes révélations qui suivent ces dernières. Ainsi, la disposition naïve à l’idolâtrie, laquelle caractérise l’enfance et les sphères faussement transcendantes que représentent l’amour et la mondanité, s’accompagnent généralement de passages où le vocabulaire épiphanique est la

6 Nous pensons ici, en ce qui a trait à l’étude mythologique de la Recherche, à Marie Miguet-Ollagnier, La mythologie de Marcel Proust, op., cit.

En ce qui a trait à l’étude du langage religieux, nous nous référons à Stéphane Chaudier, Proust et le langage religieux. La cathédrale profane, op. cit. et à Paul Mommaers, Marcel Proust, esthétique et mystique, op. cit.

Quant aux analyses concernant le décor religieux de l’univers de la Recherche, nous pensons à Luc Fraisse, L’œuvre cathédrale. Proust et l’architecture médiévale, op. cit.

7 « L’interprétation du vocabulaire religieux de Proust est beaucoup moins redevable à la mise au jour d’une structure lexicologique qu’à la prise en compte du fait énonciatif. » Stéphane Chaudier, Proust et le langage religieux. La cathédrale profane, op. cit., p. 13.

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plupart du temps implicitement tourné en dérision par le narrateur. Par ailleurs, l’intertexte religieux bifurque assez radicalement avec l’insertion du thème de l’inversion dans l’œuvre, éclipsant ainsi le caractère exagérément merveilleux que revêtait cet intertexte au profit d’une ambiance inquiétante. Cette première grande révélation de la Recherche ébranle toutes les valeurs du héros et le conduit à se résigner à un monde d’apparence, un monde vidé de toute transcendance. Le temps retrouvé et les intermittentes révélations qui surgissent à l’occasion de la découverte des grands artistes occasionnent, quant à eux, le déploiement de ce que Stéphane Chaudier a nommé la « Poétique du divin8 ». Nous structurerons nos prochaines

analyses en suivant ces diverses étapes sur le chemin de la quête de Marcel.

COMBRAY :DE LA RYTHMIQUE RELIGIEUSE À LA CADENCE DU DÉSIR

« Gisement profond d’[un] sol mental9 », Combray est ancré dans son histoire médiévale et

religieuse. Le château de Combray à « demi-enfouie dans l’herbe10 », l’église Saint-Hilaire,

construite sur les fondements de l’ancienne église que Gilbert le Mauvais détruisit, et qui, via sa crypte, « nous enfonce « dans une nuit mérovingienne11 », les pierres tombales des anciens

abbés du village formant « un pavage spirituel12 », le narrateur se référant à ses souvenirs de

Combray comme à des « terres reconquises13 » ; une vaste imagerie d’un terroir sillonné par

des siècles de religion et dominé par les seigneurs Guermantes s’élabore sous la plume de Proust. Le porche de l’église se veut probablement l’exemple culminant de cette rêverie de la terre :

Son vieux porche par lequel nous entrions, noir, grêlé comme une écumoire, était dévié et profondément creusé aux angles (de même que le bénitier où il nous conduisait) comme si le doux effleurement des mantes des paysannes entrant à l'église et de leurs

8 Stéphane Chaudier, « Poétique du divin » dans Proust et le langage religieux. La cathédrale profane, op. cit. p. 395-497. 9 CS. p. 274. 10 CS. p. 252. 11 CS. p. 121. 12 CS. p. 118. 13 CS. p 128.

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doigts timides prenant de l'eau bénite, pouvait, répété pendant des siècles, acquérir une force destructive, infléchir la pierre et l'entailler de sillons comme en trace la roue des carrioles dans la borne contre laquelle elle bute tous les jours14.

L’image invraisemblable que propose Proust fonctionne à titre de transfert : les attributs matériels et immanents de la terre viennent caractériser une spiritualité traditionnellement associée à la légèreté aérienne, ce que Proust ne renie pas pour autant. Ce dernier concilie les valeurs antithétiques du sol et de l’aérien pour former, comme nous l’avons mentionné lors du premier chapitre, un élan vertical qui, lorsque parvenu à son sommet Ŕ nous pensons ici au clocher de Saint-Hilaire Ŕ, se libère de toute pesanteur. Si le clocher étend sa protection et sa vie spirituelle sur tout le village qui se serre autour de lui, c’est qu’il prend appui et s’enracine dans la terre. Nous verrons plus loin comment Proust s’est amusé à profaner le sous-sol religieux de son roman. Par ailleurs, la rythmique de la vie spirituelle suit le cycle des saisons, lequel détermine la variation du décor floral et des plats que concocte Françoise. La temporalité combraysienne, marquée par les cycles et les fêtes religieuses est donc fortement liturgique, immobile dans son mouvement et à l’antipode de l’évènement. La séduction de cette séculaire atmosphère religieuse n’échappe pas au héros enfant qui, ébloui, découvre le décor empreint d’histoire et de légende de l’Église :

Tout cela, et plus encore les objets précieux venus à l'église de personnages qui étaient pour moi presque des personnages de légende (la croix d'or travaillée, disait-on, par saint Eloi et donnée par Dagobert, le tombeau des fils de Louis Le Germanique, en porphyre et en cuivre émaillé), à cause de quoi je m'avançais dans l'église, quand nous gagnions nos chaises, comme dans une vallée visitée des fées15 […]

Juxtaposé au décor fabuleux que créent les projections de la lanterne magique, Combray avec son église et son château est propice à la rêverie du jeune héros, laquelle s’axe sur un passé surnaturel, duquel naissent des personnages mythologiques et légendaires. Le paroxysme de cette vision naïve et féérique est atteint avec l’apparition de la duchesse de Guermantes qui concrétise ou incarne problématiquement Ŕ les yeux de pervenche de la duchesse viennent sauver le rêve éveillé que désagrégeait le bouton sur son nez Ŕ les personnages représentés sur les tapisseries et sur les vitraux de l’Église. L’épisode s’inscrit comme un véritable

14 CS. p. 118. 15 CS. p. 121.

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bouleversement, en tant qu’il vient subvertir de façon subtile la temporalité proprement combraysienne, au moment même où le village est en pleine procession religieuse Ŕ on célèbre un mariage Ŕ, faisant de cette occasion un évènement au sens plein du terme, c’est-à- dire un imprévu qui vient rompre la continuité du temps immobile du village. Les premiers mots qui suivent la péripétie sont d’ailleurs « Combien depuis ce jour16 », marquant ainsi la

rupture que crée l’évènement. Et en quoi consiste cet évènement au juste? L’apparition de la duchesse est paradigmatique de toutes les grandes scènes de la Recherche, en tant qu’elle suscite la confrontation entre la réalité objective et la réalité subjective. Entre la fée et la dame à la cravate mauve, il y a un hiatus que le héros s’ingénie à combler pour ne pas ruiner sa vision fantasque : « […] sur cette image toute récente, inchangeable, j'essayais d'appliquer l'idée : "C'est Mme de Guermantes", sans parvenir qu'à la faire manœuvrer en face de l'image, comme deux disques séparés par un intervalle17. »

Il faut toutefois peser nos mots et rendre compte du fait que ce que nous venons d’appeler un bouleversement ou une subversion a plutôt les proportions d’un léger et délicat déplacement ; le sentiment religieux cède la place à celui du désir. Cérémonie de l’incarnation, ce n’est plus le mariage de la fille du docteur Percepied auquel nous assistons, mais à une célébration dont la duchesse tient lieu à la fois de célébrant et d’objet de culte. Hypnotisé par la grande dame, le héros assiste à la distribution des regards bienveillants et des sourires timides de la duchesse, lesquelles, lorsqu’ils sont plus spécifiquement destinés au plus fervent de tous, soit au héros, lui tombent dessus comme une grâce. Proust s’empare donc de la solennité engendrée par le prétexte de la fête religieuse pour l’amalgamer au désir, faisant éclore, au milieu d’une atmosphère marquée par la valeur érotique et sensuelle des fleurs, un culte amoureux :

Ses yeux bleuissaient comme une pervenche impossible à cueillir et que pourtant elle m'eût dédiée ; et le soleil, menacé par un nuage mais dardant encore de toute sa force sur la place et dans la sacristie, donnait une carnation de géranium aux tapis rouges qu'on y avait étendus par terre pour la solennité et sur lesquels s'avançait en souriant

16 CS. p. 266. 17 CS. p. 263.

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Mme de Guermantes, et ajoutait à leur lainage un velouté rose, un épiderme de lumière18.

L’« épiderme », le « velouté rose » en continuité avec les « tapis rouges » , la « carnation » ; la plume de Proust se fait plus colorée, plus lascive sans pour autant perdre de sa teinte de grandiloquence sacrale. L’omniprésence florale, bien entendu, participe au contexte de séduction, comme le décrit Jean-Pierre Richard : « [La fleur], souvent marquée d’une teinte plus intense, ou plus ardente […] forme alors tout à la fois le symbole et le lieu de retrait (mais aussi d’accès) de la féminité désirable19. »

La fleur dans l’univers de la Recherche, et a fortiori dans celui de Combray et ses alentours, est en effet ce séducteur agent de liaison entre les différents thèmes de la religiosité mystique, de l’esthétique, de la nature et du désir charnel. À ce titre, comment ne pas penser aux aubépines, qui, lors du mois de Marie, viennent faire « vibrer de leur vie intense » l’autel de l’église de Saint-Hiaire. Nous nous permettons ici de citer longuement Proust pour mieux dégager la stratégie rhétorique qu’il déploie :

N'étant pas seulement dans l'église, si sainte, mais où nous avions le droit d'entrer, posées sur l'autel même, inséparables des mystères à la célébration desquels elles prenaient part, elles faisaient courir au milieu des flambeaux et des vases sacrés leurs branches attachées horizontalement les unes aux autres en un apprêt de fête, et qu'enjolivaient encore les festons de leur feuillage sur lequel étaient semés à profusion, comme sur une traîne de mariée, de petits bouquets de boutons d'une blancheur éclatante. Mais, sans oser les regarder qu'à la dérobée, je sentais que ces apprêts pompeux étaient vivants et que c'était la nature elle-même qui, en creusant ces découpures dans les feuilles, en ajoutant l'ornement suprême de ces blancs boutons, avait rendu cette décoration digne de ce qui était à la fois une réjouissance populaire et une solennité mystique. Plus haut s'ouvraient leurs corolles çà et là avec une grâce insouciante, retenant si négligemment, comme un dernier et vaporeux atour, le bouquet d'étamines, fines comme des fils de la Vierge, qui les embrumait tout entières, qu'en suivant, qu'en essayant de mimer au fond de moi le geste de leur efflorescence, je l'imaginais comme si ç'avait été le mouvement de tête étourdi et rapide, au regard coquet, aux pupilles diminuées, d'une blanche jeune fille, distraite et vive20.

Évidemment, c’est l’aisance avec laquelle les aubépines se fondent dans le décor, spiritualisé jusqu’à outrance, qui saute aux yeux du lecteur. La description de leur disposition dans l’espace et des effets qu’elles procurent sur le reste des apprêts de fête en font une part

18 CS. p. 266.

19 Jean-Pierre Richard, Proust et le monde sensible, op. cit. p. 125. 20 CS. p. 184-185.

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entière de l’architecture interne. Or, la description qui, au départ s’étalait sur le plan horizontal, suivant les ramifications des branches, se resserre sur les petits boutons blancs du feuillage pour ensuite parvenir au centre vivant des fleurs, aux organes sexués de celles-ci. La séquence culmine avec la comparaison qui transforme les aubépines en de vivantes et charmantes jeunes filles, achevant ainsi la personnification amorcée dès la seconde phrase de l’extrait. L’élégance du style et la continuité de celui-ci dans l’extrait font en sorte que les touches d’érotisme s’harmonisent et se décalquent sur le décor pastoral et faussement pieux du village. Nulle communion avec un au-delà dans ce passage, mais plutôt une véritable exaltation de la vie, un rapport exalté et sanctifié à la nature sous forme d’un désir qui, soutenu par un imaginaire effervescent, substitue la moindre matière fragile et mystérieuse en femme.

Comme par souci de réversibilité ou pour définitivement arrimer les différents thèmes exploités dans l’extrait précédemment cité, Proust combine à nouveau architecture ecclésiastique et aubépine à la ferveur Ŕ moins religieuse que libidineuse Ŕ du protagoniste, lors de la description de la promenade du côté de Méséglise. Or, il faut bien voir que le désir dans la Recherche, aussi transgressif qu’il puisse être dans l’univers pacifié et idyllique de Combray, n’en est pas moins le vecteur de croyances tout aussi prégnantes qu’une

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