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Objet: Étude sur la prise en compte du risque dans la décision publique.

La décision publique est la traduction des orientations décidées par le législateur et l’exécutif conformément à la volonté des citoyens. Son auteur assume une responsabilité qui dépasse la seule application mécanique des règles existantes.

La prudence et la prévoyance sont, à cet égard, deux qualités essentielles de l’action publique. Néanmoins, certaines situations, parce qu’elles sont inédites ou incertaines, nécessitent une marge d’appréciation, une capacité d’adaptation, voire une forme de créativité des décideurs publics. Pour exercer leurs missions et les responsabilités qui les accompagnent, ces derniers doivent être en mesure de faire des choix qui, tout en étant conformes à l’intérêt général et aux objectifs qui leur sont assignés, comportent une part d’incertitude ou de risque. Cette marge d’appréciation et de liberté est essentielle au bon fonctionnement de l’administration qui doit s’adapter, au service des citoyens, aux transformations des conditions économiques, sociales et technologiques. Elle est aussi indispensable au développement économique.

Cependant, il semble qu’en l’état actuel du droit la décision publique puisse se trouver inhibée par la crainte de la survenance des dommages, réels ou supposés, qu’elle est susceptible de causer. Les considérations générales du rapport public 2005 du Conseil d’État, Responsabilité et socialisation du risque, mettent en évidence une évolution de la perception des risques et une volonté accrue des citoyens de s’en prémunir via des dispositifs juridiques complets. Cet état d’esprit suscite une demande sociale favorable à la pénalisation des manquements constatés et à l’émergence de systèmes normatifs ou de réglementations et procédures complexes fondés sur la répression, plutôt que sur la prévention ou la confiance. Les textes législatifs et réglementaires ont ainsi multiplié les obligations

de sécurité imposées aux agents publics ou aux opérateurs privés ainsi que les qualifications pénales en cas de manquement à celles-ci, sans toujours prendre en considération leur faisabilité concrète. L’instabilité de la norme, la remise en cause parfois imprévisible de certains choix antérieurs et l’imposition de nouvelles obligations assorties de sanctions pénales peuvent aussi exercer un effet dissuasif sur la prise de décision publique, l’activité d’entreprises privées ou la recherche-développement. Dans ce contexte, certains décideurs publics peuvent manifester une réelle aversion à la prise de risque et se montrer peu enclins à faire preuve de créativité ou à adapter les dispositifs existants par crainte des conséquences qu’ils pourraient encourir en cas de dommage.

Sans encourager une prise de risque disproportionnée ou irréfléchie qui aurait, pour nos concitoyens, des conséquences négatives, voire irréparables, il est nécessaire que les décideurs publics puissent mieux prendre en compte et assumer la part de risque inhérente à la conduite des politiques publiques. L’excès de prudence fait en effet courir à l’État, aux personnes publiques et à la société dans son ensemble la menace d’une perte de dynamisme et d’efficacité. Les dispositifs qui conduisent à une mise en cause systématique des agents publics devraient ainsi être transformés, sans déresponsabiliser les agents, ni remettre en cause le principe légitime de précaution, les mesures de prévention et de sanction nécessaires et les mécanismes de réparation en cas de préjudice.

Dans ce contexte, je souhaite que le Conseil d’État puisse conduire une étude permettant d’éclairer cette réflexion et de faire des propositions susceptibles de renouveler l’équilibre entre, d’une part, la prévention et la répression des auteurs de décisions pouvant causer des dommages, ainsi que la légitime réparation des préjudices subis et, d’autre part, la part de risque inhérente à toute décision publique prise dans l’intérêt général, notamment lorsqu’elle tend à inscrire l’action publique dans les évolutions économiques, technologiques ou sociales plus globales auxquelles notre pays est confronté. Il convient, en particulier, de s’attacher à évaluer le cadre général de la prise de décision publique pouvant avoir des impacts dans les domaines de la sécurité, de la santé, de l’environnement et de la recherche.

Cette étude devra faire le point, d’une part sur les pratiques de gestion et les modes de gouvernance publics les plus adaptés, d’autre part sur la législation, la réglementation et la jurisprudence – constitutionnelle, pénale, civile et administrative – pertinente dans notre pays et analyser la manière dont les textes, tels qu’interprétés par le juge, encadrent, au regard de risques divers, la prise de décision publique ainsi que les activités privées et de recherche.

Elle devra se prononcer sur la pertinence, au regard de l’objectif poursuivi, des principales législations de l’Union européenne. Elle devra également recenser, à partir de l’expérience d’autres Etats, en particulier des principaux Etats de l’Union européenne et de l’OCDE, les règles et bonnes pratiques en la matière dont la transposition pourrait, le cas échéant, être recommandée. Il sera aussi utile que cette étude dresse un bilan des dispositifs de socialisation du risque, tels que ceux développés en matière sanitaire, qui assurent une indemnisation effective des victimes en dehors de tout lien avec une responsabilité particulière.

Je souhaite que, sur la base de ces constats, le Conseil d’État formule des recommandations sur la manière de parvenir à un nouvel équilibre entre les règles préventives et répressives de nature à favoriser la prise de décision par les autorités publiques et certains opérateurs privés. Cette étude devra également procéder à une analyse critique du régime de responsabilité des agents publics afin d’en tirer toute recommandation utile. Ce régime ne doit pas être un frein à la prise de décision et doit, au contraire, permettre à l’administration d’exercer avec courage et efficacité ses missions, sans bien sûr remettre en cause le principe de responsabilité en cas de faute avérée et sans renoncer à adapter les régimes de responsabilité sans faute.

Il est aussi important que les décideurs publics puissent mesurer le plus précisément possible la part de risque inhérente à l’exercice de leurs missions afin de l’évaluer et de le maîtriser ex ante et d’en tirer les conséquences nécessaires ex post. L’étude devra, à cet égard, s’attacher à proposer des axes de réflexion sur la sensibilisation des agents publics à ces questions et sur les éventuelles actions de formation à mettre en oeuvre, ainsi que sur le renforcement de la collaboration entre les différents pôles d’expertise et de décision publique. Elle pourra aussi faire des recommandations portant notamment sur les règles d’organisation et de gouvernance qui paraîtront de nature à assurer une gestion des risques qui ne freine pas l’innovation.

Je souhaite pouvoir disposer de l’étude du Conseil d’État pour le début du mois de mai 2018.