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Adapter la gestion des ressources humaines et le management

2.3.  Encourager les décideurs publics à agir de façon audacieuse

2.3.3. Adapter la gestion des ressources humaines et le management

On a vu que les règles et les modes de gestion des agents publics valorisaient peu la prise de risque (cf. 1.2.2.2). Plusieurs propositions sont faites pour améliorer cette situation.

Proposition n° 20 : prendre en compte l’aptitude à l’audace et à la créativité dans le recrutement des agents publics.

Comme le relevait en 2008 le Libre blanc sur l’avenir de la fonction publique : « Le recrutement dans la fonction publique est essentiellement conçu comme un processus logistique et juridique et non comme la première étape – fondamentale – de la gestion des ressources humaines ». La situation n’a pas été significativement modifiée depuis.

De nombreux rapports de jurys de concours d’entrée dans la fonction publique (notamment pour les catégories A et A+) relèvent le manque d’originalité des candidats et le fait que, par conviction ou par tactique, ils se signalent plus par le conformisme que par l’audace ou la créativité. La première recommandation simple qui peut donc être faite est que les jurys de recrutement soient encouragés à sélectionner, toutes choses égales par ailleurs, les candidats manifestant de telles qualités.

D’une manière générale, le caractère « mono-culturel » des décideurs publics, relevé dans de nombreuses études, est en lui-même un facteur de fragilisation des décisions. Au-delà même de l’identification de profils professionnels plus ouverts à l’innovation et à l’inventivité, une plus grande diversité, à compétences égales, des origines professionnelles, sociales, géographiques et culturelles est en soi une garantie de meilleure prise en compte de la réalité des situations et des enjeux dans la décision publique.

La troisième voie d’accès à l’École nationale d’administration (ENA) avait cette vocation. Mais comme le relevait un rapport sur les concours d’accès à la fonction publique de Corinne Desforges, en 2008, cette modalité de recrutement n’a que très imparfaitement atteint son objectif. Le Livre blanc proposait de réformer le processus de recrutement par cette voie, en privilégiant le mécanisme de reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle, ce qui permettrait de mieux identifier les candidats qui ont fait preuve de capacité d’innovation et d’audace. Ainsi réformée, cette modalité de recrutement pourrait être étendue à l’ensemble des corps et cadres de catégories A et A+.

Proposition n° 21 : introduire des enseignements intégrant la gestion des risques dans la formation initiale et continue des fonctionnaires.

Au stade de la formation initiale, outre les stages, les élèves fonctionnaires devraient être systématiquement sensibilisés à la prise de décision, en situation d’incertitude, de risque et de gestion de crise, par des praticiens mais aussi par des sociologues, des DRH et des juristes. Cette sensibilisation devrait se poursuivre, dans le cadre de la formation continue, tout au long de la carrière, notamment à l’occasion de la prise de responsabilités managériales.

Proposition n° 22 : prendre en compte l’exposition au risque dans la rémunération.

Au sein des collectivités publiques, les postes présentant des sujétions particulières, notamment des risques de différentes natures, ne sont pas assez attractifs et sont donc pourvus avec difficulté. Sauf quand il s’agit de fonction d’encadrement, ils sont trop souvent occupés par des agents en début de carrière affectés d’« office », donc sans le souhaiter, et ne disposant pas de la formation et de l’expérience nécessaires. Dans l’esprit des préconisations du Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique (2008), il est proposé que, dans le cadre de la réforme du régime de rémunération des fonctionnaires récemment annoncée par le Gouvernement, la détermination du montant de la part fonctionnelle tienne compte de façon significative du degré de risque du poste occupé. Cet exercice sera effectué à partir des répertoires des métiers de la fonction publique ainsi qu’au vu des difficultés objectivement constatées pour pourvoir ces postes.

Proposition n° 23 : valoriser, dans la carrière, les fonctions exposées aux risques.

Il y a une forme de paradoxe à ce que la formation et la culture administratives soient perçues et vécues comme développant une aversion aux risques alors que le principe de mutabilité était présent dès les prémices du droit administratif et que la prise de risque professionnel est d’autant peu pénalisante que le statut protège des conséquences les plus fâcheuses d’un échec, notamment quand les fonctions comportent des prérogatives de puissance publique (cf. 1.2.2.2).

Toujours dans la suite du Livre blanc, il est proposé d’étendre dans les statuts des corps et des cadres d’emploi qui ne la prévoient pas, la règle selon laquelle un agent ne peut accéder au grade terminal de son corps ou cadre que s’il a occupé pendant une certaine durée, qui pourrait être de six ans, un des emplois présentant des sujétions particulières. Cette mesure permettrait d’attirer vers les postes difficiles des agents expérimentés mieux à même de faire face aux risques.

Par ailleurs, la mobilité entre les fonctions à caractère plutôt conceptuel et celles à caractère plus opérationnel devrait être organisée et promue. L’avancement à certains grades des corps et cadres d’emploi de catégorie A pourrait ainsi être conditionné à la réalisation préalable d’une mobilité statutaire.

Proposition n° 24 : prendre en compte l’exposition au risque dans l’évaluation individuelle des agents.

Les démarches innovantes impliquent une prise de risque pouvant aboutir à un échec, lequel ne doit pas être assimilé, de manière systématique, à une « sous performance ». Inciter à innover et à s’exposer à un plus grand risque d’échec, implique de faire évoluer les représentations. La sécurisation des parcours de fonctionnaires subissant un échec, après avoir accepté une mission particulièrement risquée, doit également être organisée, dès lors que cet échec, finement analysé dans le cadre de retours d’expériences, ne correspond pas à une sous performance.

n Il est proposé que, dans le cadre de l’entretien individuel d’évaluation, généralement annuel, se tienne un échange entre chaque agent et son supérieur hiérarchique, visant à analyser les situations de risque rencontrées et assumées par l’agent et à effectuer un retour d’expérience. Le supérieur hiérarchique pourrait en tenir compte pour fixer la part de la rémunération au mérite de l’agent ou du groupe d’agents concerné, si cette action ou décision a eu un caractère collectif. Cette évaluation devrait tenir compte des objectifs fixés à l’agent et des risques pris pour les atteindre.

Elle pourra aussi permettre d’enrichir le parcours professionnel de l’agent.

n Il faut, parallèlement, promouvoir l’évaluation des cadres dirigeants. Si des progrès significatifs ont été faits sur l’identification en amont des profils à haut potentiel, sur les formations à la prise de responsabilité de premier rang et sur la constitution des viviers dans lesquels s’effectue le choix du Gouvernement, cela ne s’est pas accompagné d’un effort équivalent sur l’évaluation des cadres dirigeants de l’État (directeur d’administration centrale, préfet, recteur, directeur de service déconcentré, directeur général d’établissement public, etc.) qui, pour une part très importante, ne sont pas évalués du tout ou le sont de manière informelle et sur des critères non objectivisés et non formalisés. Il convient de mettre en place une telle évaluation, notamment pour mieux prendre en compte le degré d’exposition au risque des postes qu’ils occupent.

Proposition n° 25 : apporter un soutien aux agents publics confrontés au risque.

Les agents publics qui sont confrontés à un risque – en subissant parfois une pression telle qu’ils ne peuvent occuper leurs fonctions que quelques mois – doivent être effectivement soutenus. De même, ceux qui, malgré les mesures prises pour l’éviter, sont confrontés à la réalisation d’un risque, ne doivent pas être stigmatisés (cf. 1.2.2.2). Or, les uns comme les autres, qui ont souvent le sens du service public « chevillé au corps », peuvent vivre ces situations douloureusement.

Qu’il soit ou non en situation d’échec, l’agent public, qui prend un risque à bon escient, doit ainsi pouvoir bénéficier, de la part de l’administration dont il relève, d’un soutien approprié.

n Sans aller jusqu’à reconnaître formellement un « droit à l’erreur » aux agents publics, comme cela a été fait au profit du public (cf. 1.2.1.3), certaines mesures concrètes devraient être prises. Bien sûr, les agents ont toujours la possibilité d’interroger la direction des affaires juridiques de leur administration, qui peut leur apporter un soutien utile, comme ils peuvent saisir un référent en matière de déontologie351. Mais, comme cela existe dans plusieurs grandes entreprises privées, un cadre de discussion informel, réunissant d’anciens titulaires de fonctions exposées au risque, devrait être mis en place, afin d’apporter un soutien de proximité aux agents confrontés à un risque important. Ce cadre devrait également pouvoir servir, en amont, au moment où se pose la question de la prise d’un risque ou, enfin, lorsque les agents sont l’objet de propos portant atteinte à leur réputation ou les mettant en cause, notamment sur les réseaux sociaux.

n L’accompagnement des agents confrontés à un risque passe aussi par une information sur leurs droits, notamment la protection fonctionnelle prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 (cf. 1.2.2.1). Il consiste aussi dans les moyens propres à garantir que l’exposition à un risque, qui se solde par un échec, ne nuira pas à leur carrière.

Compte tenu de l’importance de la question, les administrations devraient se doter de lignes directrices en la matière qui feraient l’objet d’une circulaire, prise au niveau interministériel et complétée dans chaque ministère, définissant les modalités pratiques de la protection apportée aux agents, lesquelles ne sont pour l’instant précisées qu’en ce qui concerne la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales352.

Proposition n° 26 : encourager l’innovation en matière de management public.

La gestion des ressources humaines dans la fonction publique repose beaucoup trop, on le sait, sur la gestion des textes353. Des efforts ont été faits pour y introduire une stratégie « RH » portant sur la gestion des compétences et l’accompagnement des parcours des agents. Les cadres ne sont toutefois pas suffisamment incités à mettre en place des modes de fonctionnement innovants et à favoriser la créativité de leurs collaborateurs.

n Les outils innovants de management et d’organisation du travail devraient donc être promus. À cet égard, pourraient être étoffées les formations, initiales et continues, aux méthodes d’« amélioration continue » (lean management), qui visent à améliorer la performance d’un service en fournissant aux usagers ce à quoi ils attachent de la valeur, ou à la « pensée de conception » (design thinking), qui consiste à résoudre un problème en élaborant la solution, comme pour un prototype, par de multiples aller-retour avec les usagers.

351 Article 28 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires.

352 Décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit.

353 Conseil d’État, Perspectives pour la fonction publique, la Documentation française, 2003 ; J.-L. Silicani, Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique : faire des services publics et de la fonction publique des atouts pour la France, La Documentation française, 2008.

n L’encouragement de l’innovation en matière managériale devrait aussi passer par l’organisation plus régulière de réunions entre cadres appartenant à des services et domaines variés, visant à partager des bonnes pratiques et à bénéficier de témoignages de décideurs publics de haut niveau sur les difficultés, erreurs ou échecs qu’ils ont pu rencontrer dans leur carrière, afin de dédramatiser la prise de risque.

n Enfin, promouvoir l’innovation de manière générale dans la fonction publique implique de faire émerger des espaces et des modes d’organisation au sein des administrations favorisant l’initiative, l’autonomie et la prise de risque. La création d’organisations de type « intrapreneuriat », permettant à des fonctionnaires volontaires, éventuellement après un appel à idées, de développer un projet en dehors de leur service d’affectation, et de bénéficier, à cette occasion, d’un accompagnement méthodologique, répondrait à plusieurs objectifs : détection de potentiels, fidélisation de talents et incitation à la prise d’initiative.

2.4. Améliorer le traitement du contentieux