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PARTIE THEORIQUE

LES TROUBLES NEUROVISUELS

Les troubles neurovisuels désignent les déficits de la fonction visuelle qui surviennent en l’absence de trouble oculaire majeur et qui sont consécutifs à une lésion ou un dysfonctionnement des régions cérébrales postérieures au chiasma optique (Chokron, 2015; Chokron & Demonet, 2010; Fazzi et al., 2009). Les régions corticales et sous-corticales concernées sont notamment impliquées dans la transmission des informations extraites au niveau de la rétine (radiations optiques), dans l’identification (voie ventrale) et la localisation (voie dorsale) des stimuli visuels et dans la planification

du mouvement (cortex pré-moteur). Selon la localisation et l’amplitude de la lésion, les manifestations cliniques des troubles neurovisuels peuvent être extrêmement variées tant dans leur nature que dans leur intensité (Lueck, 2015). Néanmoins, les corrélations entre l’imagerie médicale et les fonctions visuelles ne sont pas toujours cohérentes chez ces enfants, probablement en raison de l’implication de voies visuelles extra-striées et de la plasticité importante du cerveau en développement du jeune enfant.

Chokron (2015) distingue trois catégories de troubles neurovisuels : les atteintes de la vision élémentaire (amputations du champ visuel), les troubles oculomoteurs (fixation, poursuite, saisie et exploration visuelles) et enfin les troubles de la cognition visuelle (altérations des étapes d’analyse et d’intégration des informations visuelles) présentés au sein de la Figure 2. Ces derniers n’ont été ajoutés à la définition originale des troubles neurovisuels qu’en 2001 (Good, Jan, Burden, Skoczenski, & Candy, 2001).

Ces trois catégories de troubles ne sont pas strictement indépendantes. En effet, plusieurs auteurs ont démontré les effets délétères des atteintes du champ visuel et des troubles oculomoteurs sur les performances aux tests évaluant la cognition visuelle (Fazzi et al., 2004; Guzzetta, Mercuri, et al., 2001; Pagliano et al., 2007).

Ces troubles neurovisuels sont à l’origine de troubles d’apprentissage (lecture, calcul,…) et peuvent gravement perturber la réalisation des activités quotidiennes, la communication non verbale et les interactions sociales (reconnaissance des visages, des mimiques et des expressions faciales). Ils peuvent même engendrer des troubles du comportement de type autistique se traduisant par un repli sur soi ou par de l’évitement (Chokron, Pieron, & Zalla, 2015; Pawleko, Chokron, & Dutton, 2015). De plus, les fonctions visuelles des enfants atteints de CVI sont affectés significativement par différents facteurs tels que l’environnement direct, les situations non familières, l’inconfort physique, la présence d’épilepsie, le type de médication ou encore la faim ou la fatigue. De ce fait, les capacités visuelles résiduelles des enfants peuvent varier de jour en jour et même d’heure en heure, en lien direct avec leurs capacités d’attention générales et spécifique (Lanners et al. 1999), comme présenté dans la Figure 2.

Les troubles neurovisuels et la paralysie cérébrale partagent plusieurs étiologies telles que les lésions hypoxo-ischémiques, les leucomalacies périventriculaires, les malformations cérébrales congénitales et les infections. Un grand nombre d’enfants

avec PC, dont le pourcentage varie en fonction du type d’atteinte motrice et d’étiologie, présentent des troubles neurovisuels associés différant dans leur nature et leur intensité. Par exemple, plus de 60% des enfants avec PC causée par des lésions hypoxo-ischémiques souffrent de troubles neurovisuels associés.

Les champs visuels

Les champs visuels correspondent à l’ensemble des points de l’espace perçus par un œil immobile fixant droit devant. Sur le plan horizontal, l’œil perçoit 90° à 100° à gauche comme à droite. Sur le plan vertical, il perçoit 40° à 50° vers le haut et 60° à 70° vers le bas. Dans la paralysie cérébrale, les atteintes du champ visuel sont le plus souvent latérales (hémianopsies latérales homonymes) chez les enfants avec hémiplégie ou inférieures chez les enfants nés prématurément. Au sein de la partie supérieure du cortex occipital, la projection des faisceaux supérieurs et inférieurs est très différenciée de part et d’autre de la scissure calcarine. Du fait de la proximité anatomique des deux scissures et de leur vascularisation par le tronc basilaire, les atteintes à ce niveau sont souvent bilatérales. Au sein du cortex pariétal, le faisceau supérieur des radiations optiques se situe près des ventricules et est donc très sensible aux leucomalacies périventriculaires (Aubry et al., 2002; Guzzetta, Mercuri, et al., 2001;

Mazeau, 1995).

D’un point de vue clinique, cela signifie que les enfants avec une atteinte des champs visuels, quand ils regardent un endroit déterminé (un point de fixation) n’ont qu’une vue et donc une représentation partielle de leur environnement proche ou des éléments visuels à prendre en considération dans leurs apprentissages scolaires (feuille, référentiel, tableau,…). De nombreux déplacements des points de fixation et de mouvements de tête sont nécessaires afin d’appréhender l’entièreté de cet environnement proche et l’assembler mentalement.

Les fonctions oculo-motrices

Elles comprennent la fixation oculaire, les saccades oculaires, la poursuite visuelle et l’exploration visuelle.

Les troubles oculomoteurs sont très répandus et ont été étudiés à de nombreuses reprises (Guzzetta, Fazzi, et al., 2001; Salati et al., 2002). La prévalence des troubles oculomoteurs varie de 21% à 29% selon la nature du trouble (poursuite visuelle, fixation oculaire, exploration visuelle ou saccades visuelles). Ces troubles oculomoteurs s’accompagnent également dans plus de 70% des cas d’une acuité visuelle binoculaire inférieure à la normale (Guzzetta, Mercuri, et al., 2001). Les effets délétères des troubles oculomoteurs sur les performances aux tests évaluant les processus visuo-perceptifs ont pourtant déjà été démontré (Fazzi et al., 2004;

Guzzetta, Mercuri, et al., 2001; Pagliano et al., 2007).

La fixation oculaire

La fixation est la capacité à maintenir son regard sur un point donné malgré les mouvements de la tête et du corps dans le but de centrer l’image à analyser sur le centre de la rétine. Dans la paralysie cérébrale, il existe une instabilité de la fixation dans le sens où elle ne dure que peu de temps et est entrecoupée de saccades erratiques pendant lesquelles les yeux ne semblent pas regarder de cible particulière.

Cette instabilité complique la prise d’informations et le suivi visuel et a des répercussions négatives sur les capacités attentionnelles. La fixation peut être atteinte à des degrés divers jusqu’à l’impossibilité de fixer le regard, celui-ci erre alors de façon désordonnée et la cible n’est qu’entraperçue parmi les mouvements aléatoires des yeux (Aubry et al., 2002; Dutton, 2015; Mazeau, 1995). Salati et al. (2002) ont mis en évidence que seuls 16% des enfants avec CP et CVI possèdent des capacités de fixation oculaires normales. Des troubles légers (pertes régulières de la fixation) sont observés dans 63% des cas et des troubles sévères (incapacité de maintenir la fixation) dans 21% des cas. Aubry et al. (2002), quant à eux, font le lien entre les capacités de fixation et l’âge gestationnel chez les enfants avec PC. Plus de la moitié des enfants nés prématurément (< 34 semaines d’âge gestationnel) présentent des troubles de fixation alors que seulement 16% des enfants nés à terme présentent de tels troubles.

Les saccades oculaires

Les saccades oculaires permettent l’orientation rapide du regard grâce à des mouvements rapides pendant lesquels les yeux sautent de la fixation d’un objet à la fixation d’un autre objet. Elles sont déclenchées par l’apparition ou la prise en considération d’un stimulus rétinien périphérique et ont pour but d’amener ce stimulus en vision centrale (Aubry et al., 2002; Dutton, 2015; Mazeau, 1995; Van Nechel, 2007).

Dans la paralysie cérébrale, les saccades sont fréquemment ralenties (200 ± 30ms pour les enfants tout-venant contre 250 à 600ms pour les enfants avec PC) ou manquent de précision, c’est-à-dire que l’écart entre la position de l’œil et la position de la cible (négligeable chez les enfants tout-venants) peut aller jusqu’à 30% de l’amplitude totale chez les enfants avec PC. L’hypo- ou l’hypermétrie des saccades entraîne donc la multiplication des mouvements oculaires, accentue la lenteur de l’enfant avec PC et pénalise la qualité et l’efficacité de son repérage (Aubry et al., 2002;

Salati et al., 2002). Cette hypo- ou hypermétrie est présente chez 64% des enfants avec PC et CVI alors qu’un tiers de ces enfants montrent des mouvements oculaires en arc ou un phénomène d’évitement. Ce phénomène est décrit comme une fuite du regard alors que l’enfant essaie de regarder la cible, fuite du regard suivie d’une saccade hypermétrique de correction (Salati et al., 2002). D’un point de vue clinique, les différents types d’atteinte des saccades oculaires ont des répercussions négatives sur toutes les activités impliquant un balayage visuel coordonné telles que la lecture, l’écriture ou les mathématiques.

La poursuite visuelle

La poursuite visuelle permet le maintien de la fixation sur un objet en mouvement. Ce déplacement oculaire, dont la vitesse est induite par celle de la cible, est régulier et lisse. Le glissement de la cible sur la rétine induit un mouvement oculaire de même amplitude afin de conserver la projection de la cible sur le centre de celle-ci. Plusieurs structures cérébrales dont les cortex occipitaux, pariéto-occipitaux et frontaux sont impliquées et permettent la détection de la position et du déplacement de la cible et la commande motrice requise pour maintenir la cible visuelle sur le centre de la rétine.

Néanmoins, toute discordance entre l’amplitude du mouvement oculaire et de celui de la cible induit une dérive progressive des yeux, un retard de poursuite et donc des

saccades de rattrapage. Dans la paralysie cérébrale, la vitesse possible des poursuites oculaires est souvent ralentie. De plus, la poursuite de ces enfants s’apparente plus à des saccades erratiques d’amplitude variable avec des récupérations plus ou moins précises de la trajectoire cible. De nombreuses compensations sont donc nécessaires en effectuant des mouvements avec leur tête pour suivre les cibles plutôt qu’avec leurs yeux, ou en complétant les mouvements oculaires par une rotation de la tête (Aubry et al., 2002; Dutton, 2015; Mazeau, 1995; Van Nechel, 2007). Salati et al. (2002) ont mis en évidence que seul 4% des enfants avec PC et CVI présentent une poursuite visuelle satisfaisante, 75% d’entre eux présentent une poursuite entrecoupée de saccades alors que 21% ne peuvent pas réaliser de poursuite visuelle, ce qui les empêche de suivre du regard tout objet en mouvement.

L’exploration visuelle

La dernière fonction oculomotrice concerne l’exploration visuelle qui permet l’analyse d’un espace donné à l’aide du regard et l’extraction des indices et des informations en fonction du projet de la personne. Les yeux parcourent cet espace donné dans un mouvement de fond lent et régulier sur lequel s’ajoutent des saccades et des fixations en fonction de la détection des éléments pertinents définis par le projet de la personne.

L’exploration visuelle nécessite donc l’intégrité des champs visuels et des saccades oculaires ainsi qu’une bonne coordination entre la vision focale et la vision périphérique (Aubry et al., 2002; Mazeau, 1995; Salati et al., 2002).

D’un point de vue clinique, l’exploration visuelle est nécessaire pour prendre en considération les éléments visuels présents dans l’environnement direct. Néanmoins, Salati et al. (2002) ont mis en évidence au sein d’un échantillon d’enfants avec PC et CVI, des troubles sévères de l’exploration visuelle chez 23% de ces enfants et des troubles légers chez 55% d’entre eux. Ce pourcentage élevé de troubles peut en partie s’expliquer par la présence de troubles des saccades oculaires, de fixation et l’atteinte des champs visuels, trois processus dont le fonctionnement normal est indispensable à la réalisation de l’exploration visuelle. La présence d’un tel trouble va donc entraver la prise en considération de l’ensemble des éléments visuels présents dans l’environnement.

La cognition visuelle

La troisième et dernière catégorie de troubles neurovisuels définis au sein de la Figure 2 concerne les troubles de la cognition visuelle impliqués dans les processus d’attention sélective visuelle et les traitements perceptifs (traitements visuo-perceptifs et traitements visuo-spatiaux). Ces troubles visuo-perceptifs seront présentés spécifiquement au sein du chapitre 3.