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Les études décrites plus haut ont fait appel à la neuro-imagerie pour quantifier le degré d’atteinte neuronale. La neuro-imagerie peut également apporter des informations importantes sur les réseaux neuronaux recrutés dans la réalisation des tâches cognitives. Ce type d’études permet de tester directement l’hypothèse des

modèles actifs selon laquelle les personnes dont la réserve est supérieure recrutent des réseaux alternatifs pour compenser une atteinte neuronale.

Plusieurs études ont rapporté que le recrutement de zones cérébrales plus étendues était associé à de meilleures performances cognitives, tant chez des personnes âgées normales que chez les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer (pour des revues voir [2, 17 ,66 ,67]). Ces données indiquent qu’une activation atypique pourrait être le signe d’une réorganisation fonctionnelle permettant de compenser une atteinte neuronale. Parmi les études les plus intéressantes, Cabeza et al. [68] ont comparé l'activité cérébrale de 12 jeunes adultes à celle de 8 personnes âgées avec de bonnes capacités mnésiques (équivalentes à celles des jeunes adultes) et à celle de 8 personnes âgées avec de faibles capacités mnésiques (inférieures à celles des jeunes adultes). L’étude montre que les personnes âgées ayant de bonnes capacités mnésiques recrutent des aires controlatérales à celles qui sont recrutées par les sujets jeunes, alors que ce n’est pas le cas des personnes âgées dont les capacités mnésiques étaient moindres. Ces résultats sont compatibles avec la notion compensation neuronale proposée par Stern [6,66] puisqu’ils montrent que les personnes âgées dont le fonctionnement mnésique est supérieur recrutent des réseaux différents de ceux qui sont recrutés par les jeunes. Ils suggèrent également que l’activation de réseaux cérébraux alternatifs peut compenser les changements cérébraux associés au vieillissement. Il faut toutefois souligner que l’étude rapportée ici ne teste pas directement le modèle de réserve cognitive proposé par Stern [6, 66] puisqu’elle n’évalue pas si cet effet de compensation est associé à une plus grande réserve.

Solé-Padullés et al.[27] ont, pour leur part, testé les modèles actifs et passifs de réserve cognitive chez 16 personnes âgées dont le fonctionnement cognitif était normal, 12 personnes présentant un trouble cognitif léger et 16 personnes souffrant de maladie d’Alzheimer. Pour cela, ils ont évalué la relation entre la réserve et le volume intracérébral et entre la réserve et l’activation cérébrale associée à une tâche de mémoire. Le niveau de scolarité, le type d’emploi occupé, la pratique d’activités stimulantes et le quotient intellectuel prémorbide étaient utilisés comme marqueurs de réserve. Chez les patients, le volume intracérébral permettait d’estimer le degré d’atteinte cérébrale.

Les auteurs rapportent un ensemble de données complexes mais cohérentes avec plusieurs des hypothèses de la réserve cognitive. Chez les personnes âges normales, une réserve élevée était associée à un volume intracérébral supérieur, ainsi qu’à une réduction de l’activation cérébrale lors d’une tâche d’encodage visuel. Les résultats concernant le volume intracérébral sont compatibles avec le modèle passif qui propose que la réserve cognitive est associée à un plus grand volume cérébral. Selon les auteurs, la baisse d’activation cérébrale observée chez les personnes dont la réserve était supérieure, pourrait indiquer que la réserve leur permettait de recruter des circuits neuronaux plus efficaces. D’autres études ont rapporté des résultats semblables chez les personnes âgées saines [6]. Il est à noter que ces résultats diffèrent de ceux rapportés par Cabeza [68] qui a montré que les personnes âgées plus performantes recrutaient des réseaux étendus. Une telle divergence peut avoir plusieurs sources dont le type et la difficulté de la tâche utilisée ou la façon de mesurer la réserve [27].

Chez les personnes présentant un trouble cognitif léger ou une maladie d’Alzheimer, une réserve élevée était associée à une atrophie cérébrale plus importante, confirmant encore que les personnes dont la réserve est supérieure peuvent tolérer un niveau plus important d’atteinte cérébrale. Chez les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, une réserve élevée était associée à des activations cérébrales plus importantes pendant la tâche de mémoire dans le cervelet droit, le gyrus lingual bilatéral et le gyrus cingulaire antérieur. Ces résultats suggèrent que la réserve permet de compenser activement l’atteinte cérébrale par le recrutement de circuits neuronaux alternatifs. Aucun effet de la réserve sur l’activation cérébrale n’était observé chez les personnes avec trouble cognitif léger, possiblement en raison du faible nombre de participants dans ce groupe.

Les résultats des études en neuro-imagerie sont cohérents avec l’hypothèse de la réserve cognitive, puisque les personnes saines dont la réserve est élevée ont une capacité neuronale supérieure aux personnes dont la réserve est faible et que les personnes atteintes de maladies neurodégénératives dont la réserve est élevée peuvent tolérer un niveau d’atteinte cérébrale plus important que ceux dont la réserve est faible. Ces résultats apportent également des précisions quant aux substrats neurocognitifs de la réserve. D’une part, les résultats concernant les personnes âgées saines appuient les modèles passifs, puisque ceux dont la réserve est élevée ont un volume intracérébral supérieur. En revanche, les résultats obtenus chez les personnes avec maladie d’Alzheimer appuient les modèles actifs, puisque la réserve est associée à des activations plus importantes. À la lumière de ces résultats, une vision plus inclusive de

la réserve devrait intégrer les mécanismes proposés dans les deux types de modèles présentés.

Conclusion

Bien qu’il s’agisse d’une notion récente, l’hypothèse de la réserve cognitive est appuyée par de très nombreuses données empiriques. Toutefois plusieurs questions restent sans réponse. D’abord, les études sont limitées à l’examen d’un nombre restreint de facteurs de réserve. Ces facteurs sont le plus souvent des variables socioculturelles comme la scolarité ou l’occupation et on comprend encore mal leur relation de causalité avec la réserve. Par exemple, les études ne permettent pas de déterminer si l’éducation augmente la réserve ou si la réserve permet d’accéder à une éducation plus importante. Il est aussi probable que d’autres facteurs jouent un rôle de modérateur dans la relation entre les lésions cérébrales et les manifestations cliniques. Nous avons proposé que le fardeau vasculaire puisse diminuer la réserve, mais d’autres facteurs comme une histoire de maladie psychoaffective (dépression, schizophrénie), la présence de troubles du sommeil ou le stress sont également susceptibles d’avoir un impact délétère sur la réserve. Enfin, il est important de se pencher sur les conséquences cliniques des observations rapportées ici. En particulier, les travaux présentés dans cet article montrent que les personnes dont la réserve est élevée ont des atteintes cérébrales importantes quand apparaissent les signes cliniques. Ces résultats pourraient indiquer que le diagnostic est posé tardivement chez ces personnes. Ce diagnostic plus tardif retarde la prise en charge pharmacologique ce qui pourrait avoir un biais délétère dans l’éventualité où un médicament curatif serait identifié. L’ensemble de ces observations souligne la complexité du phénomène et l’importance

de mieux comprendre la façon dont la réserve cognitive agit dans le vieillissement normal et dans les maladies neurodégénératives.

Figure 1: Schéma inspiré de Stern [6]. Les personnes avec une réserve cognitive élevée peuvent soutenir un niveau d’atteinte cérébrale plus élevé avant de présenter des signes de détérioration cognitive. Toutefois, lorsque les troubles cognitifs débutent (point d’inflexion), le déclin des personnes avec une réserve cognitive élevée est plus rapide.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier Véronique Olivier, Chloé de Boysson et Francine Fontaine pour leurs commentaires sur le manuscrit.

Les auteurs reçoivent l’appui des l’Institut de Recherche en Santé du Canada (IRSC) (subvention de recherche à S.B. et Bourse de doctorat à S.V.).

Références

1. Satz P: Brain reserve capacity on symptom onset after brain injury: a formulation

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